Lors des soirs d’orage, on dirait une toile de peintre prête à être déchirée. L’œil critique dirait que les tons sont alors surchargés, qu’on n’y distingue aucune forme ni qu’on ne devine le dessein de l’artiste. L’œil romantique prétendrait y voir les caprices d’une nature toute-puissante, ou bien la révélation de quelque divinité oubliée, antédiluvienne et enragée.
Au centre de la toile, une ville. On n’en distingue que le corps, avec les toits qui se dressent comme des poils hérissés, avec en son centre une forteresse qui domine et rassure. Le ciel est un mélange de couleurs sombres avec, par touches fugaces, des éclairs de lumière qui font mieux briller les ténèbres. Mais c’est le noir qui domine, venu d’outre-tombe, venu d’outre l’imaginaire.
La toile happe qui la scrute, comme une ville longtemps désirée et désormais livrée. On se découvre dans une salle, dans une suite de salles, où tour à tour le même thème est déchiffré. C’est une recherche, une lutte longue contre des idées anciennes et fausses, un débat intérieur craché sur le lin frais, comme une insulte et une offrande à la fois. Chaque trait dévoile un tourment, chaque œuvre révèle de son maître la voie du soulagement.
Il est facile, alors, de plonger absolument dans les secrets des tracés et des couleurs. Les lignes et les reliefs, les contours et les effets dessinent des parcours cubiques, promettent des découvertes de trésors historiques. Tout à coup la cité semble se dresser face à nous, et sous l’outre noir jaillit le rouge des envies, les ocres de la terre et les sinoples de la vie.
Les doigts hésitent à s’approcher de ces crêtes obscures, sommets à jamais dégagés qui narguent ceux des Causses tout proches, et que l’hiver emprisonne parfois dans de longs sommeils. Ces accidents réveillent les souvenirs des pavés imparfaits, ceux des rues et ceux de la cathédrale où les piliers retiennent toutes les attentions. Les pieds se tordent, comme l’esprit se distord, devant les vitraux hurlants de vie, puisqu’il s’agit ici de son temple.
Par intermittence, de grands traits blancs brisent la horde de l’apparent néant. Les vitraux avaient les mêmes illuminations errantes. Du fond des âges on les voyait surgir. Les mots étaient les mêmes, mais les images différaient. Puis c’était la pénombre, les vieux termes architecturaux, la pierre qu’on n’ose toucher de peur de l’effriter. Et, de nouveau, le saisissement par les visages, par cette coruscation violente qui finissait de convaincre de l’existence d’une lumière autre.
Percevoir le noir, c’est voir ce qui l’entoure. Dans le Rodez contemporain, l’outre noir est enfermé en un lieu sûr et beau pour ne pas envahir la cité et l’assurer de son prestige si haut. Pourtant son ombre plane, malgré la lutte, rue à rue, qu’impose la chaleur des tons cinabrés. Alors, les soirs d’orage, le pays, et l’artiste, prennent leur revanche. Les nuages lourds désignent le vainqueur. Seul le soleil, le lendemain, ou l’autre semaine, fera basculer le combat de l’autre côté.