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12 mai 2015 2 12 /05 /mai /2015 18:00

Cette nuit encore, il s’est levé en croyant entendre au loin les musiques qui accompagnent le roi. Mais dans l’obscurité, il n’a perçu que le hululement des chouettes, bruit étrange et effrayant, puis le bois du parquet qui craquait comme pour rappeler que l’immense château n’est pas fait pour un homme seul. Car sans François, ce géant qui est roi, l’homme n’est rien que le gardien d’un vaisseau vide.

La rencontre avait été fortuite. Et pourtant, quel destin s’ouvrait alors pour cet homme de peine, aux champs tous les jours, qui avait eu la chance que le roi gardât sur lui les yeux posés. L’Angoumois revenait de la chasse, éreinté et heureux, suant et fier, et avait demandé au milieu des masures qu’on lui portât un cruchon d’eau. Les mains rustres et les mains du prince s’étaient alors liées.

Délices capturés
Délices capturés

Le roi lui trouva une place au château, serviteur parmi les serviteurs, mais avec lequel les regards souverains étaient plus appuyés. Rarement le roi lui adressa la parole. Avec sa petite bande, François parcourait la forêt immense et s’en allait chasser le gibier. Toujours il en rapportait, et toujours on le fêtait. Quant à l’autre, l’ancien paysan devenu l’intime des pierres blanches, il veillait à ce que rien ne manque pour satisfaire jusqu’aux délices des saltimbanques.

Délices capturés
Délices capturés

Ce matin encore, il est sûr d’avoir entendu la troupe royale revenir des bois. Mais de la brume qui flotte sur les herbes humides de la rosée, aucun cheval hennissant ne surgit. Il a encore en souvenir les réceptions fastueuses où le roi et ses compagnons évoquent l’Italie, ce pays envoûtant qui ne produit rien que des images d’or. Le roi parlait des villes, de ses artistes et des femmes qu’il y eut. Il narrait aussi la guerre et s’enorgueillissait de ses victoires.

Délices capturés
Délices capturés

Pendant ce temps où le bon roi conquérait, lui demeurait dans Chambord qui s’élevait. Aux côtés des contremaîtres il passait, attentif aux détails et à cette œuvre d’art que bâtissait un formidable travail. Un jour les ouvriers ne revinrent plus : il en fut étonné : on annonça que François était prisonnier, et qu’à Madrid il était maintenait exilé. Alors, comme le château, l’homme attendit qu’on lui rendît son prince afin de reprendre vie.

Délices capturés
Délices capturés

François revint, et non pas amaigri comme il l’avait imaginé. C’était toujours un gaillard, plaisantant les dames et plaisant à leurs âmes, et à leurs corps aussi, et qui n’en finissait pas d’évoquer l’Italie. Milan, Marignan, et même Pavie. En même temps que le roi revinrent les bruits des tailleurs de pierre, des maçons et des marqueteurs. Et de nouveau ces regard entendus, cette amitié indicible qui jaillissait d’une attention marquée ou d’un mot honnête du roi.

Délices capturés
Délices capturés

Ce soir encore il lui semble que la grande salle est animée. Qu’on y fait flamber quelques bûches et qu’on trinque à quelque vin de Loire. Il lui parvient les rires de l’assemblée, les stupéfactions exagérées des dames au récit des batailles, et il entend même les accents italiens de ce peintre et inventeur que le roi appelle maître. Mais il est tard et, il le sait, le roi est mort. Ne restent plus à cet homme que sa deuxième naissance, et des souvenirs d’or.

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