Il avait fait le voyage depuis l’Italie. Interminable. Il était remonté par la Vénétie puis le Tyrol et la Hongrie, et était enfin parvenu à Cracovie en pleine nuit. Reçu avec de grands égards, il devait rencontrer le roi le lendemain. Un Vasa. Suédois. Pour l’heure, la fatigue l’avait terrassé et de son pays il rêvait cependant qu’il était entouré de Polonais.
La cérémonie avait été brève mais fastueuse. Le souverain entouré de conseillers paraissait austère, et Giovanni Trevano avait cru un moment être en un procès tant la royale moustache frissonnait parfois de déplaisir. On lui avait finalement proposé, dans un italien affreusement coupant, la mission qu’il attendait. Il lui fallait rebâtir le palais.
Plus qu’un château c’était une caserne où l’on croisait davantage de capitaines que de pages. La musique était celle des épées, les chansons celles des canons que tantôt on essayait. L’aile nord avait brûlé quelques mois auparavant, et Giovanni Trevano soupçonna que ce ne fut quelque tour qui fut à l’origine de l’accident. Forteresse de contrôle, Wawel avait cette vilaine balafre sur le visage, et c’était à l’Italien que de procéder aux embellissements d’usage.
Ses questions – car Giovanni Trevano était un homme curieux – restèrent sans réponse. Tant de fois il interrogea sur les causes du sinistre, et tant de fois on lui opposa un haussement d’épaule non dénué de cynisme. A la fin un ouvrier évoqua un dragon. Un dragon ? Oui, un dragon, comme celui qui vécut sous la colline il y a des siècles. L’autre partit en riant. Quant à Giovanni Trevano, jamais plus il ne s’aventura vers la Vistule sans quelque compagnon pour le protéger du monstre volant.
Se souvenant de son pays, il avait tracé de magnifiques croquis. Il voyait grand et antique pour cette citadelle, cœur d’un Etat aux si vastes limites. Une galerie haute puis des colonnes fines pour alléger l’ensemble recouvert de peintures allemandes. Le roi fut enthousiaste : on commença l’entreprise dès que l’Italien se fut assuré de sa possibilité : rien ne tarda alors pour, en quelques mois, être achevé.
Sans cesse, Giovanni Trevano allait et venait sur le chantier, jouant du pinceau puis de la voix, glissant puis tonnant soudainement. Les soldats n’osaient guère faire plus de bruit que les manœuvres, et l’on se crut parfois sur le chantier d’un palazzo entre les peintres et les orfèvres. Giovanni Trevano ne manquait pas non plus de se rendre à la cathédrale. Son dôme doré l’appelait souvent, et il s’y rendait tantôt pour confesse, tantôt pour recevoir du Seigneur son assentiment.
Giovanni Trevano fut heureux du résultat. L’aile nord était plus belle encore que le reste du corps. Toutefois, il le savait, là ne serait plus le roi ni le cœur du pouvoir, qui se déplaçaient au nord. Alors Giovanni Trevano resta. Habitué aux hommes et à la langue, il s’amusait maintenant de sa terreur du dragon dont il caressait les os quand il allait retrouver le silence de la nef, auprès des tombeaux. C’étaient ceux des rois d’ici, et peut-être songea-t-il au sien. Désormais, il serait Trevano le Polonais.