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24 mars 2017 5 24 /03 /mars /2017 19:00

Jacques est un vieil homme. Il porte sur la tête un béret au motif écossais et sur les épaules une courte veste d’un bleu qui rappelle celui que, jeune homme, il endossait en tant qu’ouvrier. Epoque bénie, époque maudite, celle de la jeunesse et celle du bruit, des machines, des dix heures à trimer. Il se souvient qu’il voulait être gardien de phare en ce temps. Ou partir à la pêche à la baleine. Il ne sait plus très bien.

Jacques s’occupe de son jardinet, en été comme en hiver. Là c’est l’automne, alors il ratisse les feuilles mortes, les entasse en un petit tas qu’il emportera, plus tard, sur son tas de fumier. Le temps est doux, il en profite. Sa femme, si elle était encore là, lui dirait qu’il faut se couvrir. Elle s’inquiéterait. Elle n’est plus là, sa veste est ouverte et le vent s’y glisse. C’est si agréable de travailler en plein air.

Des pages d'écriture
Des pages d'écriture

Les oiseaux batifolent dans le tas de feuille. Vous allez voir ce que vous allez voir, dit le vieux paysan. Il leur promet la bêche, la fourche, tout, enfin, qui pourrait les faire fuir. Les blesser, il ne veut pas. Simplement leur faire passer le message que le jardin n’est pas un terrain de jeu. Le voisin de Jacques passe la tête par-dessus le muret et le salue. Jacques le salue en retour. Pour faire le portrait d’un oiseau, lui dit-il, il faut peindre d’abord une cage avec une porte ouverte. Le voisin est un homme étrange.

Des pages d'écriture
Des pages d'écriture

Il est étrange car il est connu. Ou peut-être est-ce l’inverse. Étrange : Jacques se reproche de qualifier ainsi ce voisin, un poète, croit-il, qui, à vrai dire, est charmant en toute occasion. Toi aussi, on t’a qualifié d’étrange. Etrange étranger, qu’on le désignait, à Alicante, lorsqu’il était marin et qu’il s’y arrêtait pour se reposer et pour se divertir. Pour aimer aussi, de belles femmes brunes à la peau mate et à l’odeur enivrante, des femmes comme il n’en avait jamais vu ni à Omonville ni dans toute la Normandie.

Des pages d'écriture
Des pages d'écriture

L’une d’elles l’avait marqué dans sa chair. Barbara. Barbara. Parfois il se répète ce nom qui éveille les soirées délicieuses, le temps perdu dans les draps trempés, tout ce temps gagné à aimer cette femme. Barbara. En rentrant, il était rentré dans le droit chemin. Dans ses tristes soirées, il y pensait comme à des sables mouvants dont il ne pouvait s’extraire. Puis il avait eu des projets plein la tête, dont le plus fou était de commencer l’école des Beaux-Arts. Et la vie l’avait rattrapé.

Des pages d'écriture
Des pages d'écriture

Aujourd’hui, il ne regrette rien. Il possède sa maison, il jouit de sa liberté. S’il a beaucoup aimé les femmes, il s’est aussi toujours méfié des hommes. Seul son voisin, l’homme étrange, qui noircit d’écriture des pages blanches et compose de la musique avec des mots, l’attire comme un feu, immense et rouge, crépitant dans l’âtre aux soirs glacés. Le voisin est également un amoureux tranquille, un démiurge du quotidien, un laborieux vieillard.

Des pages d'écriture
Des pages d'écriture

Jacques essaie d’entamer une conversation avec son voisin. Il s’appelle Jacques, lui aussi. Jacques, l’ancien ouvrier, l’ancien marin, ne sait pas parler aux gens. Il dit que c’est bien, et aussitôt jette des regards autour de lui. Vous n’êtes pas bavard, lui dit l’autre. Je suis comme je suis, répond-il, comme un cancre des relations sociales. Vous pourriez venir boire un café, un jour ou l’autre, dans ma maison. Sans faute, répond Jacques. Puis il reprend son râteau, et continue son calme combat contre les oiseaux.

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