Dans une atmosphère sombre et une humeur noire, le roi patientait. Ses yeux fixaient le rai de lumière filtrant par l’embrasure des portes tandis que, autour de lui, les gardes n’osaient ni bouger, ni respirer. Les jointures de ses poings craquaient à force de tension et son cœur battait à tout rompre car il se savait proche de sa vengeance. Furieux et silencieux, il désirait la mort dont il s’était fait apôtre durant les dernières années. Les portes s’ouvrirent soudain.
Aussitôt le roi s’était levé et s’était porté à la rencontre de son frère consanguin. Devenu affable, rieur, il exhibait sa bonne humeur comme on le fait de sa richesse : avec fierté et profusion. Don Fadrique était surpris de voir Pierre lui prodiguer soins et sourires. Il savait la haine que le fils légitime lui portait, il connaissait les rancœurs depuis longtemps accumulées. Logiquement il se méfiait. Pourtant par la surprise il fut porté.
Paré de pourpre et d’or, le roi Pierre attira son hôte vers les jardins. L’orbe céleste faisait briller les parures du prince, vêtu pourtant simplement. Il avait laissé couronne et sceptre dans la salle du trône. Fadrique, lui, avait revêtu son armure, chevalier de la reconquête, bardé de ferrailles et d’honneurs que le sang et le combat lui avaient valus. Et ainsi marchaient les deux hommes, côte à côte, taiseux, impatients, méfiants.
Aux premiers mots de son frère, Fadrique, cependant, se détendit. Tandis qu’ils gagnaient les parterres que le printemps finissait de fleurir, tandis que le chant des oiseaux composait une mélodie qui aurait convenu à une réconciliation, Pierre parla d’argent et d’or, de la fin des horreurs, du repentir qu’il éprouvait pour la mort de la mère de Fadrique dont sa propre mère avait été, il en était marri, l’odieuse responsable.
Il continuait, Pierre, de parler et, même, il riait, il riait de la paix retrouvée, et il promettait, Pierre, il promettait terres et châteaux tant en Castille qu’ici, à Séville, où le commandement de l’alcazar était à prendre. Il fallait, disait-il, ménager l’orgueil des frères de Fadrique, leur offrir les mêmes bonheurs, les mêmes estimes, et compter sur eux comme sur une armée de fidèles. Pierre n’arrêtait pas, caressant les orangers et les citronniers, cueillant une fleur pour la humer, nouvel adepte de ses possessions.
Que restait-il de son surnom de cruel ? Rien. Sans cesse il trouvait de nouveaux présents et Fadrique semblait croire à un avenir plus certain. Pierre s’assit au bord d’une fontaine dont l’eau coulait, vive et fraîche, comme la promesse des jours meilleurs. Il invita son frère à l’imiter, à goûter de sa main l’onde délicate dont eux seuls, car personne ne les accompagnait, pouvaient à l’instant profiter.
Ils sortirent, vive foudre d’un orage que rien n’annonçait. Une dizaine de gardes, sans armes ni armures, se précipitèrent vers Fadrique. Pierre, d’un bond, s’était écarté. Ils saisirent le bâtard et le plongèrent dans la fontaine. La surprise, puis l’étouffement, la noyade sûre, serrèrent le cœur de Fadrique. Ses jambes s’agitèrent, ne trouvèrent pas prise. Il mourait dans le jardin délicieux. Pierre, lui, regagnait déjà son trône dans un calme affreux.