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22 juin 2019 6 22 /06 /juin /2019 18:00

Honorine et Marie sont petite-fille et grand-mère. Aujourd’hui est le jour de la foire aux cheveux. Tôt ce matin, elles se sont mises en route depuis leur petit village du plateau des Monédières ; elles rallient Treignac, à quelques lieues de là. Le jour se lève à peine mais déjà, l’été se rappelle à elles. Par les chemins qu’elles empruntent, aux ornières entretenues par les pérégrinations millénaires, cela sent le pin et la bruyère. Elles aperçoivent quelques geais qui virevoltent et des pinsons qui pépient, et une mésange leur a même cédé le passage avant de prendre son envol.

Les premiers camelots sont déjà installés quand les deux femmes arrivent. Les étals se parent de mille richesses qui suscitent l’envie d’Honorine, surtout, et de ceux et de celles qui, instinctivement, calculent ce qu’ils pourront se procurer d’ici la fin de la journée. Là sont les étoffes qui serviront à la confection des gilets et des châles, ici sont étalés les draps qu’on coudra pour le linge de lit. Les mères des futures mariées n’hésitent pas à passer la main sur les textiles ; elles ne souffriraient pas que la dot soit suspecte ou raillée. Les camelots n’attendent rien de ces premières heures. Il est normal que les clients se fassent leur idée.

Des tresses en tas
Des tresses en tas

Un peu plus loin, sur le grand terrain communal, quelques paysans ont mis des bêtes à vendre. Ovins pour la plupart, ils paissent tranquillement, ne redoutant point leur sort : ils sont rares ceux qui viendront aujourd’hui jauger leur laine ou examiner leurs yeux. Honorine en est encore à regarder les tissus ; les couleurs sont sobres, certes, mais les robes sont à peine tissées, et les tons paraissent éclatants. Marie vient la chercher. La jeunesse veut son loisir avant le travail. L’expérience vient donc la rappeler à l’ordre.

Des tresses en tas
Des tresses en tas

Honorine a pris la main de Marie. Autour d’elles, plusieurs femmes se pressent vers la même grande tente, véritable château dans la foire, où l’on a installé deux chaises. Deux hommes d’âge incertain, aux hoquetons grossiers et aux moustaches bien fournies, ont retroussé leurs manches. Ils tiennent chacun à la main ce qui ressemble à une tondeuse que l’on utilise pour les moutons. Une femme, allant en sens inverse de cette foule féminine, bouscule Honorine, et pour cause : elle baisse le regard, pressée, sûrement, de retrouver la sécurité de son foyer.

Des tresses en tas
Des tresses en tas

Honorine et Marie attendent devant la tente plusieurs minutes. D’abord, elles ne voient rien puis, au fur et à mesure, l’horizon se libère. Leurs mains gauches, puissantes, aux doigts écartés, tenant les crânes baissés, les deux hommes coupent les cheveux. Pour chaque femme, ils passent quelques minutes tout au plus, manipulant avec vigueur cette boule d’os qui leur est soumise. Le geste est sûr et, pourtant, il paraît presque brutal. A leurs pieds s’amoncellent des tas de cheveux. Deux jeunes garçons, leurs aides, trient tout cela selon la couleur et l’épaisseur.

Des tresses en tas
Des tresses en tas

Ta chevelure blonde plaira aux Allemandes, assure Marie, tandis qu’Honorine peine à détacher son regard de cette séquence ininterrompue pour regarder sa grand-mère. Et, ce disant, Marie passe sa main dans la chevelure de celle qui, seize ans auparavant, n’était qu’une minuscule enfant. Tu en tireras un bon prix, dit encore la vieille femme à la chevelure blanche, mais soyeuse et longue, qu’elle sait qu’elle vendra aisément ; tu achèteras de quoi te faire un joli foulard, et encore une robe pour les fêtes de l’été.

Des tresses en tas
Des tresses en tas

La tête tondue, Honorine et Marie repartent. La jeune fille a les mains qui tremblent et le regard qui fuit. Ses jambes courent presque pour retrouver son village. Quelques quolibets, au passage, écorchent ses oreilles. Jalousie, siffle Marie, bientôt essoufflée par la course de sa petite-fille. Et tes achats, demande-t-elle. Honorine ne répond pas. L’année prochaine, tu seras habituée, tente de la rassurer Marie. Les deux femmes s’en repartent ainsi. Impassibles dans leur mastication, les ovins les observent s’éloigner.

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