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6 décembre 2021 1 06 /12 /décembre /2021 19:00

Réveille-toi mon garçon ! Allons, debout ! Es-tu donc sourd ? Tu dors lorsque tes camarades montent déjà aux remparts ... Debout ! Arme-toi, prend ton morion et ta pique, hâte-toi près des créneaux. Prends ta place, joue des coudes, que vois-tu ? Ces étendards, ne sont-ce pas ceux des Français ? Combien sont-ils, à ton avis ? Je te le dis : quinze mille hommes au bas mot, dont mille soldats d’élite. Ne crains rien, le droit, le roi et le Seigneur sont de notre côté. Souris, mon garçon. La gloire te tend les bras.

Allons, qu’as-tu, mon garçon ? Tu trembles comme un vieillard. Cesse de regarder par-dessus ton épaule. L’heure est à la guerre. Je sais ce que tu penses. Tu voudrais retourner aux activités indignes de ton rang. Si l’on te laissait, tu balaierais la cour, comme tu l’as fait hier après-midi, tu jouerais au palefrenier aux écuries, tu courrais à la boulangerie ou à la laiterie, aux cuisines aussi, quémander à ceux dont c’est l’office un peu de pain ou un bout de fromage, pour attendre le repas du soir le ventre rassuré. Oublie cela, descends les marches, trouve de quoi tirer et reviens te placer près de tes frères d’armes.

Bon soldat
Bon soldat

Tu plies les genoux, tu bouches tes oreilles. La poudre et les boulets t’effraient. Ils ne te feront rien. Salses est une forteresse solide. Vois l’ennemi qui monte à l’assaut. Admire la bravoure de ces hommes qu’une telle ruée condamne. Tire ! Voilà qui est bien. Un homme est tombé à côté de toi. N’est-ce pas lui qui, comme toi, vient de Gérone ? Ton cœur s’affole. Le sang coule. Il souille la tunique de cet homme, mais rassure-toi : une fois descendu dans la cour, il sera soigné par l’un de ces barbiers qui considèrent la guerre comme leur alliée. En revanche, ils ne pourront rien faire pour cet autre, sans visage. Les morts ne sont utiles à personne.

Bon soldat
Bon soldat

Pourquoi ne dors-tu pas ? Tu crains tes propres rêves, sans doute. Les entends-tu, dans la plaine, qui préparent la journée de demain ? Car c’est ici, à Salses, le point de rencontre inéluctable entre nos deux royaumes, là où les velléités hégémoniques se confrontent et se contraignent et se contrarient, c’est ici que sont écrites les lignes que liront nos enfants dans les siècles à venir. Ces terres sont nôtres, n’en doute point. Les bruits que tu entends sont ceux des envahisseurs illégitimes. Tes camarades dorment tranquillement, car ils ont pour eux la conscience et la morale. Imite-les. Dans certains cas, le repos du corps importe plus que la foi de l’âme.

Bon soldat
Bon soldat

Cesse de crier, et prête tes bras à l’effort. Si seulement tu avais dormi cette nuit, au lieu de rêvasser, tu n’attendrais pas ainsi les ordres, tel un gamin terrifié. Saisis ta dague, porte-toi au devant des Français, imite tes aînés qui, au corps-à-corps, éprouvent leurs destins. Va, défends ton roi, défends ta vie ! Sois sûr qu’ils te tueront, ô s’ils te prennent, ils te questionneront de la plus douloureuse des manières, si tu ne les frappes pas, ils te perceront, t’écorcheront, t’ébouillanteront. Ô si tu les laisses faire, ils te rendront traître, à toi-même et aux tiens.

Bon soldat
Bon soldat

Recule, idiot ! Les Français ont gagné le passage ! Fuis, cours, ta carcasse froide vaut moins qu’un poing de poudre humide. Ne pars pas trop loin, tu peux encore te rendre utile. Vois ces camarades qui piègent la barbacane en la tapissant de poudre. Déroule le fil, ne tremble pas. Maintenant, retire-toi, retirez-vous, ne laissez rien d’espagnol en ces murs. Patiente, désormais. Les Français ont conquis. Comme ils sont fiers. Ne trouves-tu pas cela étrange ? ils triomphent, et ils meurent en même temps. Allume la mèche, maintenant. Allume, te dis-je ! Que n’obéis-tu pas ? N’écoute que ma voix ! Feu !

Bon soldat
Bon soldat

Allons, mon garçon, réveille-toi ! Tu m’as fait peur ! J’ai cru que tu étais mort. Va voir ceux qui le sont pour de bon. Contemple ton œuvre, surmonte ta stupéfaction. Quoi ? Des morts, tu en as déjà vus, non ? Peut-être pas autant d’un seul coup, il est vrai. Mais songe que ceux-là, aux corps dévastés, aux visages ravagés, ceux-là t’ont défié. Songe, mon garçon, que nul homme n’a ton pouvoir ici-bas. En une seconde, tu as tué cinq cents hommes. Sois fier, mon garçon ! Ici, d’entre tous, vivants ou morts, tu es le meilleur.

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