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30 décembre 2021 4 30 /12 /décembre /2021 19:00

Les premiers touristes de la saison flânent encore sur le port. Dominant celui-ci, l’église sonne sept coups. Francis vide son verre d’un trait. Allez les gars, on y va, maintenant, déjà que la route va être bondée ! T’en fais pas mon Francis, s’écrie Paul, tandis que, le visage joyeux, il dévore une poignée de cacahuètes. On va pas le louper ton match, et la finale non plus, on va pas la louper. Les gars rient, portés par la bonne humeur de Paul et par l’espoir d’assister à une grande soirée. Seul Jean-François demeure soucieux. Il n’a pas même goûté à son anisette.

Qu’est-ce qui te tracasse autant, Jeff ? C’est Marseille, avec leurs titres, avec leurs stars, leur Boli, leur Papin ? Mais ils ne feront rien, tes Marseillais, ce soir, ce soir c’est historique, le Sporting va leur marcher dessus. Ou alors tu doutes de ton équipe, Jeff ? Tu ne crois pas que nos gars, nos onze gars, sont capables de battre le plus grand club français ? Ou alors, c’est plus grave, Jeff, bien plus grave, c’est que tu supportes Marseille, que tu es inquiet pour eux, que tu vois la catastrophe arriver pour eux, et si c’est ça, Jeff, tu ne te trompes pas.

Tribune maure
Tribune maure

Le serveur passe, les mêmes garçons ! Francis se ronge les sangs. Et la route de Furiani, pleine de chez pleine, et pour trouver de la place, il va falloir se garer sur la route, et on montera les derniers dans la nouvelle tribune, hein, Jeff, la nouvelle tribune, du beau boulot que t’as fait là. Jean-François relève la tête, il a la trouille, vraiment, que cette tribune lâche, montée n’importe comment, et les commissions qui n’ont pas approuvé. Quoi ? Une demi-finale de coupe de France, et tu ne voudrais pas y assister ? Stéphane secoue la tête. On y sera, Jeff, la finale, elle est à nous. Juste le temps de passer un coup de fil à ma femme, Stéphane s’excuse, Francis peste.

Tribune maure
Tribune maure

San Ghjuvà sonne la demie. Paul se lève d’un bond, prétexte une brise un peu fraîche pour nouer autour de son cou l’écharpe bleue à la tête de maure. En voiture, lance-t-il d’autorité, et les gars acquiescent, et les gars suivent. La 205 de Francis est à deux rues, et, se laissant distancer, Paul vient à hauteur de Jean-François. Tout de même, le Préfet ne laisserait pas jouer si le stade n’était pas sûr. Et les pompiers, ils auraient posé leur veto. Et les dirigeants du Sporting, ils sont un peu comme des pères pour les supporters. Et les entrepreneurs niçois, ce sont de grands professionnels. Pour monter une tribune en une semaine, il en faut, du savoir-faire. Jean-François ne répond rien.

Tribune maure
Tribune maure

Stéphane, que les autres ont oublié dans leur départ, les rejoint en courant. Le souffle court, la mine défaite, il annonce la mauvaise nouvelle. Sa femme, qui est aide à domicile, doit intervenir en urgence. Stéphane est marron : c’est devant la tévé, avec les cris des mômes, qu’il la passera, sa soirée. Paul s’esclaffe. Ne t’inquiète pas pour ta voix, tu la perdras quand même. Seulement, ce sera pour forcer les enfants à se coucher. Même Jean-François sourit ; après tout, Paul doit avoir raison. De temps en temps, il faut bien faire confiance aux autorités.

Tribune maure
Tribune maure

Pour ne pas perdre totalement la face, Stéphane déclare qu’il peut bien les accompagner, au moins jusqu’à leur voiture. Devant la 205 couverte d’autocollants aux couleurs du Sporting, Stéphane a un pincement au cœur. Le poissard, qu’on le surnommait au lycée. Sûr que cette réputation ne risque pas de lui échapper. Les portières claquent, les fenêtres s’ouvrent et laissent passer des mains qui le saluent. Du port à Furiani, un quart d’heure de route suffit. À sa montre, Stéphane a dix-neuf heures quarante-cinq. Si la circulation n’est pas trop dense, et si Francis trouve une place rapidement, les copains seront au stade vers vingt heures quinze.

Tribune maure
Tribune maure

Stéphane retourne chez lui à pied. Il repasse sur le port, remonte vers San Ghujà. Aux restaurants, les serveurs s’activent pour apporter les anchoïades et la soupe de rascasse aux clients attablés. Stéphane se presse, les enfants l’attendent, et TF1 prend toujours l’antenne quelques minutes avant le coup d’envoi. Avec un peu de chance, la caméra balaiera la nouvelle tribune, et les trognes de Francis, Paul et Jean-François apparaîtront peut-être à l’écran. De son immeuble, Stéphane monte les marches quatre à quatre. Arrivé devant la porte d’entrée, il entend ses enfants qui se chamaillent. La soirée promet d’être pénible.

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commentaires

B
Encore un moment de notre histoire. Stéphane ne le savais pas, mais il n'est pas poissard sur ce coup la....<br /> Merci pour tous vos textes et image. Bonne continuation pour 2022
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L
Merci pour vos appréciations, toujours sympathiques et bienveillantes. Bonne année 2022 à vous !

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