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5 juillet 2022 2 05 /07 /juillet /2022 21:00

La chambre, bien que simplement meublée, est plutôt confortable. En tirant le rideau, Hans peut voir l’aube iriser la mer, et au large, distinguer les côtes de Bjarnø. Du broc de fer blanc, il se verse un filet d’eau glacée sur la tête, qui retombe dans une petite cuvette de faïence. Puis il enfile une chemise blanche, et un veston bleu ciel, un pantalon de toile, des godillots neufs et cirés. A l’aubergiste, il demande la note, assure de l’excellent accueil qu’il a reçu, demande à ce que l’on descende ses bagages pour le soir-même et paie. Sa montre indique neuf heures. Il admet qu’il est encore un peu tôt et s’en va marcher sur le quai du port.

Deux heures passent, à écouter les histoires des marins, lamentations usuelles ou vantardises qui ne le sont pas moins. Hans laisse une oreille traîner en espérant rapporter, comme dans un filet, les prémices d’un conte enfantin. Lorsqu’il atteint la maison Voigt, midi sonne. Christian vient lui ouvrir. Il est élégant et enjoué, comme à son habitude, et presse son hôte d’entrer. Il glisse, avec un sourire appuyé, que Riborg se promène au jardin, qu’elle veut confectionner un bouquet mais qu’elle ne sait pas quelles fleurs choisir. Les fleurs rouges lui plaisent beaucoup, mais elle n’ose se fâcher avec les blanches. Hans se tait ; il est inquiet.

Deux yeux marrons
Deux yeux marrons

La mère de Christian et de Riborg se joint à eux pour déjeuner. Leur père, agent royal à Fåborg, se trouve en ville pour régler plusieurs affaires. Depuis que la mère a appris que Hans écrit des poèmes, elle le questionne souvent sur l’inspiration qui le saisit, sur les sources de celle-ci. L’amour, répond Hans, car les mots agissent comme le truchement agit entre deux peuples étrangers, les reliant, les rapprochant. Riborg rougit, et Christian, aussitôt, s’enquiert des fleurs qu’elle a cueillies. Sont-elles rouges, sont-elles blanches, se moque-t-il tendrement, mais la sœur ne répond pas à son frère. Elle regarde ailleurs, à la fenêtre par exemple, car un oiseau vient de passer.

Deux yeux marrons
Deux yeux marrons

A la fin du repas, Hans propose de se promener. Christian se lève, guilleret, va vers sa mère pour l’aider, mais celle-ci décline. Après que Riborg se soit préparée, les trois jeunes gens s’enfoncent dans la forêt voisine avant de couper par les champs pour revenir en ville. Dans la rue commerçante, on s’écarte pour les laisser passer. Modeste entre ses amis, Hans attire à lui les regards curieux des habitants. Pour lui, cependant, peu lui importe, et les échoppes lui paraissent propres, et les étals lui semblent rangés. Et tandis qu’il détaille sa vie à la capitale, il imagine ce que celle-ci pourrait être dans ce joli coin de Fionie.

Deux yeux marrons

Parce que Riborg exprime quelque fatigue, Hans et Christian trouvent un banc pour s’y asseoir. Et, profitant que son ami les délaisse pour aller saluer l’une de ses connaissances, Hans tire de sa poche un feuillet plié. Deux yeux marrons, lit-il, qui sont mon cœur et ma maison. Le visage rivé sur son poème, il ne peut voir la réaction de Riborg, dont l’éducation interdit tout soupir. Après la lecture, les deux jeunes gens demeurent muets, alors que leurs cœurs hurlent. Quelques minutes après, Christian revient.

Deux yeux marrons
Deux yeux marrons

Fåborg est une toute petite ville, et Christian, Hans et Riborg sont obligés de passer à nouveau par les mêmes rues, devant les mêmes commerces. Ils parlent, certes, mais de rien qui intéresse vraiment Riborg ou Hans. Les pluies récentes, la future rentrée universitaire de Christian, ou encore les publications de Hans à Copenhague sont des mots vains et absurdes quand approche l’heure de la séparation. Hans et Riborg marchent côte à côte, mais ils ne vont pas au même endroit. Au détour d’une rue, les trois jeunes gens s’arrêtent devant une boutique.

Deux yeux marrons
Deux yeux marrons

Un joli garçon en sort, bras de chemise et large sourire. Il s’avance vers Riborg, lui prend les mains, se réjouit de la surprise qu’elle lui fait de le venir visiter. Alors qu’il invite sa future épouse, son beau-frère et leur ami à entrer quelques instants, Hans, poliment, déclare qu’il doit partir. Les adieux sont brefs et respectueux ; l'amour est parfois une potion amère qu’il faut savoir boire sans grimacer. A la réception de l’hôtel, Hans trouve ses bagages, et une voiture le vient chercher presque aussitôt. Deux à trois journées de voyage suffiront pour rallier Copenhague. Quant au temps qu’il faudra pour oublier les yeux désirés, Hans ne le saurait compter.

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