Des grues partout. Au milieu du tissu déjà dense, ils poussent, ces géants qui grattent le ciel, et même le défient. Dans un même mouvement planétaire, la course est lancée. Le plus haut sera le mieux. Le plus haut sera le plus beau. Alors la ville grandit. Au sens littéral, elle croît, croyant atteindre les sommets qu’elle se promet.
C’est un chantier contemporain, une compétition d’architectes. Les formes, les couleurs, les effets, même les scintillements du soleil sur les parois vitrées donnent l’impression d’être calculés. A cette échelle surhumaine, l’ascenseur devient roi. En quelques secondes, les cieux sont atteints. Le lieu continue de poursuivre son destin.
Arrondis et lignes droites, bleus et noirs, tous ne connaissent qu’une seule direction. L’audace au service de l’argent dessine un nouveau visage à Londres-ville-monde, dont la City est le cœur palpitant. Et dans ce paysage émergeant comme d’une mer trop calme auparavant, l’émulation donne à l’ancien des airs de Nouveau Monde. Les noms comme les valeurs défilent, désignant en lettres d’or les codes d’un monde nouveau.
Par un étrange revirement, le temps qui semblait tout engloutir inverse sa course et bascule au siècle de l’Empire. La pierre remplace le verre, et fait le pied de nez à la brique qui règne partout ailleurs. Loin des tubes de la Lloyd’s, la mode est aux colonnes, semble t-il de Corinthe, aux frontons glorieux et aux statues équestres des généraux victorieux.
Entre ces éléments si massifs, l’on se rappelle que, plus avant encore dans le temps, ces ruelles furent la genèse de la pieuvre d’aujourd’hui. Quelques coupe-gorges, ici et là, maisons à colombages et devantures de bois ramènent l’homme à la réalité. Aussitôt révélée, aussitôt déniée. Saint Paul la majestueuse écrase de sa claire coupole l’horizon d’Albion.
Véritable phénix, l’antre du Cilicien se veut épigone de son condisciple romain. Formidablement imposante, la cathédrale est née du feu et y a résisté. En son sein elle accueille, maternelle et bonne fille, les conquérants et les défenseurs, ainsi que les amis artistes de son père architecte. Le caveau est immaculé, sobre, et les monuments s’y élèvent, tels les marqueurs bronzés de la grandeur.
En passant le portail marmoréen, c’est Londres que l’on retrouve. Tous les clichés reviennent tandis que la City retourne à son court repos de fin de semaine. Les chantiers, jamais arrêtés, poursuivent leur quête céleste, tandis que la bourse et la banque se regardent, attendant que le tumulte renaisse. Et Saint-Paul sonne, s’égosillant pour appeler les ouailles, bénissant au gré des ondes la belle de la Tamise, Londres.