D’une falaise à l’autre, la même blancheur majestueuse se hérisse en un accueil qui n’en a pas l’air. La mer en personne n’ose pas s’approcher des hauteurs abruptes qui cernent l’île. L’Angleterre est là, défendant déjà son insularité si bien préservée au fil des époques et faisant face à un continent qui l’attire et duquel elle se défie.
Les murailles naturelles sont à peine franchies que le pays se démarque déjà. Entre les pierrailles et les landes battues par la violence d’Eole, une immobile silhouette rouge. La porte est fermée et les vitres salies ; sa présence, pourtant, annonce déjà les accents de Shakespeare et les intonations de Byron.
Les honneurs, néanmoins, reviennent à Chaucer. Sa bonne ville de Canterbury n’est plus guère protégée que par quelques portes fortifiées mais les façades serrées content toujours des histoires fantastiques. Des fleurs aux balcons, des couleurs aux devantures : la cité s’offre avec joie aux pacifistes assaillants.
Couleurs et éclectisme ; aux pans de bois succèdent les briques, évidentes ou peintes, qui dessinent une ville tantôt médiévale, tantôt industrielle. Là, une église ; ici, un vieil hôpital, qui se côtoient le long de canaux abritant une flore dense et dansante. Et toujours, sous l’apparente austérité des façades, une expressivité débordante qui ne souffre d’aucune contrainte.
A force de tourner au gré des rues et ruelles médiévales chères à Chaucer, l’inévitable paraît, exaltant déjà, avec le portail, sa puissante créativité. La cathédrale, qui vit mourir à ses pieds Thomas Beckett en 1170, est un remarquable éloge à l’art gothique qui se plaît, sur l’édifice, à jouer avec les codes esthétiques. Face à la dentelle des tours et du clocher, les contreforts semblent bien nus et, dans le cloître, la quiétude du lieu contraste avec l’exubérance des arcades et des pinacles.
L’intérieur est d’une grande clarté. Piles et élévations soutiennent un ciel de pierre précieusement ouvragé. L’antagonisme entre la terre et le ciel, entre le profane et le sacré, est marqué par une complexité croissante des décors. Plus remarquable encore est la séparation entre la nef et le chœur, prouvée par le jubé surélevé et veillé par saints et évêques, impassibles dans leur morgue millénaire.
Ville de contes et de merveilles, Canterbury vit dans le souvenir de Beckett et de Chaucer. La cathédrale, épicentre des attentions, exhibe force et finesse, grandeur et délicatesse. Ainsi la cité s’articule t-elle autour de son joyau ; dans les rues règne une agitation joyeuse dont les témoins sont ces maisons basses et belles. Par l’éloquence de son ornement urbain, Canterbury reste, pour les voyageurs que nous sommes, une source fertile pour l’imagination de contes modernes.