Elle est là toute la journée. Guettant. Elle guette les navires qui vont et viennent jusque dans le port. Eux dédaignent la Scanie qui les appelle pourtant. L’île est plus accueillante, notamment grâce à sa présence. Elle guette aussi les flots, calmes d’habitude, que rien ne vient déranger. Délicatement, ils caressent son rocher, et elle semble du regard les dompter.
Son visage parait triste. Ses mains abandonnées le long du corps tiennent une étoffe incertaine tandis que ses jambes repliées se souviennent à peine de l’eau qui ruisselle encore sur son corps. Elle peine à sourire à ceux qui l’observent, tout le jour durant, scrutant ses traits fixes et ses yeux dans le vague. La sirène ne chante plus. Elle peut attirer sans cela.
Il veille sur elle, du haut de sa stature immense. Répondit-il à l’appel envoûtant que les marins redoutent tant ? A ce sujet, l’histoire est muette. Mais, plein de baraquements aussi hauts en couleurs que plein de soldats entrainés, le fortin veille, somnolant dans l’après-midi pluvieuse. Les canons pointent toujours dans la direction de la mer. L’ennemi ne viendra pas. Les canons pointent toujours.
Le crépi ocre des maisons ne s’usent pas sous la pluie. La timide éclaircie rajeunit les teintes, et tout semble s’embraser, derrière les fenêtres, comme aux temps où les marins débarquaient et y prenaient quartier. La toiture, très basse, veut toucher le sol. Elle n’y parvient pas, laissant les pavés du trottoir seuls, délaissés même par les pas des promeneurs égarés, comme une marque sacrée à respecter.
Les rues s’enfuient vers le palais. Le pluriel serait de mise, lui qui multiplie les grandeurs par deux puis par quatre, organisant son heureux calcul autour du cheval de bronze, montre du pouvoir. Amalienborg répond au marbre sis derrière, la coupole dorée de vert aux saints peints dans les tons de la grâce. Car le dôme coiffe la royauté, discrète à l’ordinaire mais orgueilleuse dans ses atours.
Les yeux fermés, le tournis ne prend pas. Seul demeure le sentiment d’être perdu, et de ne plus retrouver la porte qui se trouvera heureusement ouverte. Les façades, solennelles et classiques, sont comme des miroirs, l’une imitant les colonnes de l’autre. Même les gardes marchent au même pas, agitant leurs bas bleus et leurs toques velues sous des fenêtres opaques et impassibles.
Tableaux accrochés au mur, parquet ciré de frais, stucs savamment entretenus. La maison royale danoise souffle le chaud et le froid, jouant des températures, glaçant ses extérieurs et réchauffant ses intérieurs. Loin de ces habitudes confortables, elle reste là, toute la journée, la petite sirène, muette à jamais, sur ce rocher si loin, si loin des hommes et si loin des eaux.