Son regard est perçant. Entourés par les plis de la peau et d’épais sourcils, ses yeux expriment une intensité extrême, car c’est par eux que tout passe. Sous le front large et la chevelure rase, on devine une activité de tous les instants pour saisir et percevoir. La bouche enfin, qui disparaît sous la barbe abondante, signe que les mots sont impuissants et accessoires. Les oreilles, en revanche, sont bien dégagées, pour mieux capturer toute l’atmosphère d’un territoire.
Le peintre est là dans son temple naturel. Une longère simple, aux tons pâles comme la chair. Les volets, eux, se confondent avec l’environnement. D’un vert vif, ils apparaissent à peine au milieu d’une végétation grimpante qui s’attaque jusqu’aux ardoises du toit. L’intérieur est d’une grande humilité, ne serait-ce les toiles qui, partout, ont fait pénétrer dans la maison le jardin.
Il y a d’abord les fleurs d’amour, de bleu et de blanc, et leurs longs pétales escortés par une livrée verte, qui facilement fait des courbettes. Plus loin c’est la passion qui s’exprime dans le rouge le plus vif, dévoilant ses charmes dans les plis de sa robe. Les amarantes ne s’en laissent pas conter. Leurs lointaines origines les fait chercher le soleil autant que la pluie, elles qui poussent, telles des colonnes fluettes, vers ces cieux pourvoyeurs et inaccessibles.
Voilà celles qui ne vieillissent pas, aux coloris divers, ne redoutant pas l’hiver, venues des côtes mayas. Elles côtoient, dans ce petit coin de Normandie, d’autres étrangères venues de tous les pays. Fleurs nobles ou fleurs des champs, chacune apporte à la palette sa touche subtile, laissant autant d’empreintes sur cette toile fragile.
Le pinceau n’a-t-il pas là reproduit les anthémis, vivaces aux coloris denses, et chauds, aux doigts blancs et au jaune iris ? Ou a-t-il préféré ces lianes étranges, ou encore ces demoiselles exquises, qui bruissent avec le vent et qui font mériter au créateur des lieux toutes nos louanges ? Tout est ici affaire d’attention, d’élégance et de finesse, où soudain toute humaine pensée doit s’écarter devant les dons de la nature, si parfaite et si raffinée.
Le mythe enfin apparaît. L’étang, immortalisé dans un titre nymphéatique, étale ses nénuphars en une disposition énigmatique. Ce sont autant d’îles immergées, d’où sortiront comme autant de Vénus délicates ; autour on se presse pour le spectacle, et c’est à qui affichera les plus belles couleurs. Et tout se mêle, en un chef d’œuvre nouveau à chaque heure.
Partout la profusion, partout le spectacle. L’on s’y perd, comme dans un tableau du maître Monet, et c’est encore sans compter sur ces cadres que sont les arbres. En vrac viennent les ifs, les cerisiers japonais et les épicéas, les rhododendrons au nom si long, les saules enfin qui pleurent quand l’heureuse maison nous quittons. En sortant de Giverny, l’on sort du tableau ; celui-ci ne peut être accroché dans un musée, car il est et vit, évolue et se bouleverse au gré des coups d’œil et saisons.