On me l’a vantée fière et impétueuse. On m’a dit d’elle qu’elle venait de loin, que de pauvre hère elle était devenue guerrière. On m’a dit d’elle sa force et son dévouement. On me l’a vantée sincère et pieuse, intransigeante avec l’ennemi et généreuse envers les siens. On me l’annonce toute proche, à quelques lieues maintenant. Je sens mon cœur battre.
Comment est-elle, qui est-elle, je ne sais pas. Il n’y que son nom que je connaisse, Jeanne, mais qu’importe le nom quand le visage est absent ? On l’a informée de ma venue à Chinon, et elle court désormais rencontrer son roi ; je suis celui-là, mais que faire si, au moment de faire son choix, elle ne me désigne pas, moi ?
J’ai prétexté quelque ennui, pour qu’enfin on me laisse libre de faire quelques pas. La cité est déjà un fouillis de marchands, d’artisans, de vagabonds, de femmes et d’enfants qui envahissent chaque parcelle de rue ; mais tous s’écartent quand mes pages le leur intiment, et tous vont à ma rencontre me porter leurs hommages. Quand je reviens de mes pensées, je suis déjà près de la rivière, et alors je songe à mon royaume par les Anglais occupé.
De là je vois mon château, ma forteresse. L’Anglais veut Orléans, me veut à Bourges. Mais c’est à l’abri de ces hauts murs que je les attends, à moins qu’ils ne surgissent dès à présent. Jamais je n’avais quelqu’un tant attendu, mais sans la couronne, que suis-je, sinon un petit seigneur de plus ? Enfin le clairon sonne, annonçant l’arrivée de cette étrange pucelle, que déjà le peuple ovationne.
Pressé par le temps et par la guerre, je traverse Saint-Georges pour me trouver au milieu. Les gardes me saluent, et dans leurs yeux je distingue l’excitation qui moi aussi m’étreint. Les hommes en livrées et avec leurs épées s’inclinent à mon passage. Avant d’entrer j’en reconnais certains parmi les plus braves et les plus sages.
Le logis atteint, je file vers ma chambre ; j’y croise mes fidèles lieutenants, qui semblent plus inquiets que confiants. Que diable ! Moi le chef, je ne sombre guère, plaisantant un peu, la mine décidée et fière. Mes tourments me reprennent, je m’éloigne un instant de l’élite de ce règne. Seul mon devoir me rappelle ; et quand le chambellan derrière moi clôt la porte, c’est le sceau du secret qu’il appose.
La rencontre m’a plu. Soumise à son roi et promise à son dieu, Jeanne m’a convaincu d’aller à Reims me faire sacrer et pour son commanditaire rencontrer. Je m’en remets à elle et à sa conviction : de bouter les Anglais j’en fais sa mission. Quant à moi je reste à Chinon profiter de la Touraine malgré la mauvaise saison. Le royaume n’est pas encore anglois ; de dauphin, je deviendrai bientôt roi.