L’agitation budapestoise se calme lentement au fur et à mesure que sont traversées ces banlieues rectilignes qui ceignent la capitale hongroise. Avec ses airs ligériens, le Danube balade sa silhouette boisée qui bénit l’Europe centrale et orientale jusqu’à la mer Noire. En amont des charmes de la capitale, le fleuve s’arrête faire escale à Szentendre.
A vrai dire, le village ne s’embarrasse pas d’un fleuve qui ne fait que l’effleurer. Il naît dès les douces berges et s’élève lentement pour mieux se prévaloir des caprices de la majesté naturelle. Et ainsi, comme le paisible pêcheur, Szentendre s’est installée au bord de ce vivier insaisissable sans jamais vouloir le franchir.
Les premières maisons affichent leurs couleurs. Des jaunes pâles puis de l’orange entourent là une modeste blanche. Sur les toits, point de différence : les tuiles rouges couvrent sans distinction ces petits palais populaires. La modestie est la norme ; portes et fenêtres se succèdent, chacune veillant à ce que la charpente au-dessus n’écrase pas les voisines.
La couleur : elle anime tout et dirige les regards. Un feu brûle ici, un cours d’eau semble venir l’apaiser par là. Les tons vifs bousculent les plus discrets et, quand ils pensent avoir pris le dessus, voient arriver vignes vierges et grappes de verdures qui envahissent soudainement les horizons immédiats.
L’illusion festive enchante pareillement les façades des églises. Leurs bulbes cuivrés jouent de rondeurs aux parfums exotiques. Les hauts clochers paraissent se tordre en leurs extrémités mais leurs raideurs colorées ajoutent quelque rigueur à l’ensemble virevoltant. Les arbres eux-mêmes, naguère si conquérants, s’inclinent devant les élans exubérants.
Le jour semble ne jamais décliner dans le village. L’ambiance baroque capte chaque rayon de lumière et les répercute sur les pavés ainsi que sur les gerbes délurées. Dans la ruche magyare, quelques passages se faufilent habilement, débouchant sur des rues et des places où les maisons, soudainement plus hautes, rivalisent de volutes et d’opulence.
On n’entend pas le Danube couler et pourtant, des influences serbes ont su remonter son cours pour s’établir, à Szentendre, en un havre où le calme n’est qu’apparence. En effet, les rues bigarrées attendent, dans la torpeur des étés chauds, la renaissance des karikázó d’antan et leurs rondes incessantes. Des danses qui s’uniraient à merveille avec les façades rigoureuses et généreuses à la fois. Avec, dans un lointain murmure, le souvenir de Béla Bartók.