Le soleil se couche et une main se lève. Dans l’horizon aux teintes chaudes se devine un salut amical, tandis que se ternit l’émeraude. Le frêle esquif, poussé par la force humaine, esquive habilement jusqu’à son ombre même. Il glisse sur l’eau, rentrant au port, quittant pour une nuit le marais qui déjà dort.
L’océan n’est pas loin. On voudrait sentir ses embruns salés, mais rien ne parvient dans ce marais poitevin. Le jour est revenu, et avec lui la vie qui fourmille. A chaque instant son bruit : branche qui craque, feuille qui tombe, vent qui caresse. A chaque moment son cri : les rongeurs qui grignotent, les carpes qui remontent, les oiseaux qui pépient.
Univers clos, labyrinthe d’eau. Les canaux sont les rues d’une ville de nature, dont les rives fragiles sont les trottoirs et les arbres solides les immeubles. Par-dessus les têtes, les ramifications enferment le ciel. Cependant son absence impossible garantit la douceur d’un après-midi hors du temps.
Quelques vaches, ici et là, qui sont les seules habitantes visibles. Prisonnières de leur enclos sans clôture, elles ont accepté leur sort pour autant que soit assurée leur quotidienne ration. Le regard vague, la mâchoire ruminante encore, elles voient les curieux passer tandis qu’elles paissent.
Inlassablement, le pigouilleur remue la vase. Au fond, probablement, une tempête déclenchée régulièrement. Le rythme régulier de ce long bâton berce l’embarcation d’un balancement calme et nonchalant. Et quand il sort des abîmes où il était plongé, l’outil provoque un léger clapotis ; ce sont les gouttes solitaires qui retournent à leur immensité.
Sur les îlets abandonnés, la berge ne masque pas les exubérances. Parfois même, elle les contient à peine ; des troncs courageux tentent d’établir des ponts vers ces autres mondes. Cependant c’est à l’approche des quelques villages qui émaillent le marais que des ponts, réels, indiquent la promiscuité des demeures humaines et la fin proche de cet unique écosystème.
La barque accoste enfin sur le ponton. Retrouver la fermeté peut s’avérer périlleux car les flots, bien que paisibles, s’octroient souvent le spectacle d’une danse hasardeuse. Retrouver les maisons, c’est oublier cette verdure, cadeau si apaisant de la nature. C’est aussi garder le souvenir des mystères de la proximité, des invisibles tumultes et des terres séparées.