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1 février 2019 5 01 /02 /février /2019 19:00

A l’époque, quand il travaillait, Joseph possédait plusieurs surnoms. Jo était le moins inventif et Rateau était le plus commun. Même les jeunes recrues, année après année, l’appelaient comme cela, sans trop savoir le pourquoi du comment. En vérité, Joseph tenait ce surnom d’une confidence qu’il avait faite un jour à ses collègues, par rapport à la décontraction et à l’évasion que lui offrait le balayage des feuilles mortes en automne. Aujourd’hui, Joseph ne travaille plus, mais il vient quand même, deux à trois fois par semaine, dans le jardin des serres d’Auteuil où il a usé tant de semelles.

Il s’y promène avec son épouse, Olga. Elle, c’est une enfant du quartier, si l’on ose dire. Elle est née dans l’union des républiques socialistes et soviétiques, dernière d’une fratrie de trois enfants. Ses parents ont fui vers la France, effrayés par la perspective kolkhozienne de leur avenir. Elle a grandi à Paris, a appris la langue française sans oublier la langue russe, et se promenait, petite, près de la grande serre de Formigé.

Pour la beauté du sport
Pour la beauté du sport

Joseph et Olga se sont rencontrés dans le parc. Elle s’y baladait, à l’aube de ses dix-huit ans, lui y travaillait comme jeune jardinier, apprenant auprès des aînés les techniques ancestrales de l’horticulture. Ils se sont plu, se sont fréquentés, se sont mariés. Ils ont fait leur vie, comme tout le monde, et maintenant qu’ils sont vieux, infiniment vieux, ils continuent de marcher dans le jardin des serres d’Auteuil, tout près de l’énorme ville, tout près, aussi, des courts de tennis.

Pour la beauté du sport

Le tennis, Joseph n’en est pas fada. Olga non plus, d’ailleurs. Ils regardent seulement la compétition, entre la fin du mois de mai et le début de celui de juin, sur la télévision publique, les fenêtres de leur appartement ouvertes pour essayer de capter les clameurs que les ronronnements des voitures couvrent malgré tout. La balle jaune sur ou à côté de la ligne blanche et, dans ce cas, du bon ou du mauvais côté, les bras tendus des juges, le score qui, de jeu en jeu et de set en set, construit un petit bout d’histoire. Les meilleurs éliminent les plus faibles, une surprise s’invite dans le dernier carré ; oubliée la finesse d’antan, le tennis moderne passe en force.

Pour la beauté du sport
Pour la beauté du sport

La balle jaune, justement, a atterri un jour dans les serres. Au milieu des palmiers, des succulentes et des bégonias, ce n’est pas la couleur qui jurait. Non, c’était la matière, le manque de souffle, l’absence de vie, le contact neutre. Certains, habitants ou non du quartier, ont pris la balle jaune et l’ont renvoyée sur le court ; les joueurs en avaient sûrement besoin. Mais la balle jaune est revenue avec des projets. Elle était armée de plans dessinés, de plans de financement et de plans juridiques pour régler la question devant les tribunaux.

Pour la beauté du sport
Pour la beauté du sport

Dans le jardin, entre les serres centenaires, une bataille silencieuse s’est alors engagée. Dans les allées, on respire toujours le parfum envoûtant de ces plantes qui parlent des forêts américaines, asiatiques ou africaines. La ville, avec ses régiments de véhicule, ses cohortes de piétons affairés, ses tournois internationaux où le panama blanc est de rigueur, paraît encore lointaine. Olga et Joseph continuent d’arpenter le jardin, de préférence le matin ou en soirée lorsqu’ils sont comme deux humains esseulés face à la nature. Mais, bientôt, la parole envahit les lieux.

Pour la beauté du sport
Pour la beauté du sport

Des mots brutaux sifflent dans les allées. Extension, démolition, construction. De jolis mots aussi, qui cachent, sous des atours rassurants, de vilaines intentions. On dit : patrimoine, on dit : préservation, on dit : remarquable, unique, richesse. C’est ce dernier qui fait sens, avec sa connotation double qui parle de ce qui ne se dit pas. Olga et Joseph voient les engins de chantier s’installer. Leurs promenades sont interrompues par des barrières, par des bétonneuses, par des gens pressés qui passent sans les regarder. Le match est plié. Le jeu de la balle jaune ne connaît que des vainqueurs et des vaincus.

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26 janvier 2019 6 26 /01 /janvier /2019 19:00

L’officier de justice en a assez. La petite salle de bois sombre où ils sont assis, lui et le plaignant, étouffe sous la chaleur de ce mois d’été. En face de lui, le plaignant est un homme jeune qui n’a de cesse de répéter la même histoire, sans que l’officier, qui est d’un âge honorable, n’en comprenne un traître mot. Alors, une dernière fois, l’officier demande au plaignant de relater son récit. Tout commence par une idée.

L’idée consistait à voir les autres autrement : soit en plus petit, soit en plus grand. L’officier ne comprend pas cette idée originelle, mais il n’insiste pas : il n’a pas envie que l’autre se lance dans des considérations philosophiques. Le verre permettait de réaliser cette idée, si on savait l’utiliser sciemment. Mon père possédait ce savoir, dit le jeune homme : il savait façonner le verre, le polir, le contraindre à offrir ses pouvoirs.

Plaidoyer pour un inventeur
Plaidoyer pour un inventeur

Le vieil officier n’en peut déjà plus. Il pense au dîner que lui et son épouse donneront ce soir aux notables de la ville, et il doit se retenir pour ne pas se lever et quitter la salle. Le jeune homme, habillé en artisan verrier, n’a pas remarqué l’ennui chez son interlocuteur et il poursuit. On a volé l’idée de mon père, annonce-t-il. Qui donc l’a volé ? demande l’officier, soudain ravivé par cette affaire de vol. Mais, ses rivaux, bien-sûr, répond le jeune artisan.

Plaidoyer pour un inventeur
Plaidoyer pour un inventeur

En vérité, mon père a inventé une lunette capable de voir l’infiniment petit dans chaque objet. Le principe en est simple : deux lentilles de verre répercutent l’image d’un objet, l’éclairent et, finalement, l’agrandissent. L’utilité, vous vous en doutez monsieur l’officier, réside dans l’usage qu’en font les gens de guerre et les gens de science. Cela ne me regarde point, mais je sais par nombre de mes amis et de mes clients que cet objet, appelé microscope, est encensé jusque dans les plus prestigieuses universités.

Plaidoyer pour un inventeur
Plaidoyer pour un inventeur

Ainsi parle le jeune artisan. L’officier de justice de la ville de Middelburg ne comprend pas ce qu’on a volé au père du jeune homme. De plus, ce dernier, dénommé Zacharias Janssen, s’est fait connaître, jadis, pour des larcins et autres comportements inavouables avant de s’établir en la capitale de Zélande. Le voleur volé ? L’officier de justice n’en a cure. Le jeune artisan concède : son père a commis des erreurs dans sa jeunesse. Le jeune artisan persiste : l’honneur de Zacharias Janssen doit être levé et son génie reconnu.

Plaidoyer pour un inventeur
Plaidoyer pour un inventeur

Le vieil officier baille. Voilà plus d’une heure que le dénommé Johannes Sachariassen évoque son père et sa prétendue découverte, les heures de travail, de recherche, tous ces essais menés patiemment et sans assurance de réussite aucune. Son récit devient décousu. Johannes évoque maintenant la garnison italo-espagnole de Middelburg, les artisans des deux péninsules venus avec les soldats, les techniques nouvelles du travail du verre, les liens que son père a entretenus avec ces gens.

Plaidoyer pour un inventeur
Plaidoyer pour un inventeur

Le jeune artisan s’emmêle et s’emporte tout à fait. Sans doute, la fatigue y est pour beaucoup, ainsi que le fait d’avoir face à lui un officier de justice qui ne semble pas éprouver le moindre intérêt pour son histoire. Une dernière fois, Johannes Sachariassen l’affirme : son père a inventé, seul absolument, le microscope. Il supplie : cela doit être noté, de façon officielle, cela doit devenir une vérité juridique. Le vieil officier de justice n’en peut plus. La chaleur, la journée interminable, la perspective d’un dîner mondain le font vaciller. D’une plume tremblante, il signe l’acte que le greffier lui présente. Et le fils s’en retourne, content.

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20 janvier 2019 7 20 /01 /janvier /2019 19:00

Le chevalier devait maintenant s’expliquer. S’étant retiré dans son cabinet du fort Saint-Louis, il s’était assis à une petite table de bois que seules quelques fines sculptures, principalement sur les pieds, distinguaient des tables communes dont disposait la garnison. Le chevalier était encore fiévreux à cause de la bataille qui s’était déroulée la veille, et il éprouvait, à ce moment même, des sentiments mêlés de triomphe et de honte.


Le gouverneur général des îles était malade, certes. Mais, de toute évidence, il serait très curieux de savoir pourquoi le drapeau ennemi, celui des Provinces-Unies, avait été hissé sur le fort. Le chevalier considérait qu’il lui faudrait peut-être venir en personne à Versailles pour se justifier devant le roi. Tout cela, commença-t-il après les formules de rigueur, était dû à une erreur d’appréciation. De façon plus poétique, pensait-il, les oreilles avaient trompé les yeux.

La honte et le triomphe
La honte et le triomphe

A plus de soixante ans, le chevalier tremblait encore du sort qu’on lui réserverait. Traître ou héros, cela dépendrait probablement de ses mots. Oui, les tonneaux de rhum que les Hollandais avaient fait rouler pour se cacher derrière lors de leur retraite avaient produit un tintamarre extraordinaire, et l’on avait cru alors arrivée l’heure de l’assaut final. La scène avait du être bien curieuse, d’ailleurs, et le chevalier avait trouvé près du fort une femme encore bouleversée par le nombre de morts pour la lui conter. Oui, devant la menace d’une attaque ennemie, et d’un massacre de ses troupes, le chevalier avait fait mettre haut les trois bandes : la rouge, la blanche et la bleue, tandis que le blanc fleurdelisé avait été soigneusement plié.

La honte et le triomphe
La honte et le triomphe

Le chevalier ne narra pas, dans sa missive, l’affreuse nuit passée dans l’attente. Les hommes se regardaient, hallucinés, priant, pour certains, que les Hollandais se contentassent de la reddition. Quelques-uns avaient entendu parler de prises d’assauts sanglantes, alors que les assiégés avaient rendu les armes. De rage et de peur, dans la torpeur moite de l’été martiniquais, le chevalier avait fait taire toutes ces mauvaises langues. Et, au petit matin, il avait, le premier, vu la rade désertée. Solennellement, il avait proclamé la victoire des Français.

La honte et le triomphe
La honte et le triomphe

Il en avait terminé avec le passage honteux. Il fallait maintenant dire par quelle ruse les Hollandais avaient été dupés, et quels dégâts on leur avait infligés pour qu’ils partissent aussi précipitamment. En vérité, la veille, à l’aube, le chevalier avait vu, devant le fort Saint-Louis, principale place forte de l’île de la Martinique, une escadre formidable qui, pareille à un prédateur, observait sa proie. Des dizaines de vaisseaux, des centaines de canons et même des brûlots qu’on enverrait se briser contre les trop rares opposants. Le chevalier disposait, quant à lui, de moins de dix navires, dont deux vaisseaux de guerre, et d’une centaine d’hommes. Lorsque la canonnade républicaine commença, le chevalier hésita même à faire dire une messe pour l’âme des futurs morts.

La honte et le triomphe
La honte et le triomphe

Les Hollandais débarquèrent près de la savane, récemment asséchée. On leur envoya moult boulets qui les décimèrent. Après la bataille, on avait compté environ mille tués de leur côté. Toutefois, dans le feu de la bataille, les ennemis ne reculèrent pas et menacèrent le fort. A force de tension et de réflexion, le chevalier eut une idée. A ses hommes, il commanda de sortir du fort et d’y rentrer par deux portes différentes. Le chemin entre les deux portes étant caché aux Hollandais par la configuration des lieux, ces derniers crurent alors que la forteresse abritait une solide garnison.

La honte et le triomphe
La honte et le triomphe

Une centaine d’hommes, armés et casqués, procédèrent à cet étrange ballet. Pour que l’artifice ne se trahisse pas, le chevalier ordonna qu’on y mît fin rapidement. Bien qu’ils fussent dominés par la présence imposante du fort et démoralisés par le nombre considérable, et néanmoins faux, de Français se trouvant à l’intérieur, les Hollandais combattirent encore. En réalité, ils attendaient l’ordre de retraite. Et tandis que les Français étaient terrés dans la nuit, l’amiral de Ruyter, dépité, abandonna sur place les corps de ses compatriotes, dont celui du comte de Stirum qui, dans l’euphorie du départ en Hollande, avait été nommé gouverneur de l’île. Quand il eut fini sa relation, le chevalier cacheta la lettre. Il espérait maintenant que les oreilles du roi y entendraient davantage le triomphe que la honte.

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14 janvier 2019 1 14 /01 /janvier /2019 20:15

Allons-y, dit le curé de Saint-Ouen, et tous se mirent en route autour de lui. Le vieillard redoutait cette journée autant qu’il l’espérait, car ce moment de fête pourrait être à tout moment troublé par les hommes des autres paroisses. Le vieil homme prit donc la tête de la procession et demanda à ce qu’on lève bien haut la statue du saint. Bien que ce dernier fut la cible de nombreuses convoitises, il devait cependant être exhibé.

 

L’avant-veille, une délégation des trois autres paroisses de Pont-Audemer s’était présentée à celle de Saint-Ouen. Solennellement, elle avait demandé à ce que la statue du saint soit conduite par leurs bras dans leurs paroisses respectives. Ils arguaient du fait que le saint protégeait la ville entière et non une seule paroisse et que, par conséquent, le saint pouvait être porté par tous.

La bataille des soutanes
La bataille des soutanes

Le curé de Saint-Ouen allait d’un pas lent qui convenait à ce genre de cérémonie. Pourtant, il aurait souhaité que la journée se termina rapidement. A la réunion des paroisses, il n’avait su que répondre aux délégués et, sur le point d’accepter leur point de vue, il avait été coupé dans son élan de générosité par son vicaire, un homme encore jeune et particulièrement vigoureux qui avait opposé, lui, une fin de non-recevoir. La réunion s’était terminée par une volée de quolibets qui avait laissé le vieux curé abasourdi.

La bataille des soutanes
La bataille des soutanes

La procession allait donc dans Pont-Audemer, tranquillement, repoussant par sa présence celle de la peste que, par ailleurs, nul n’avait ici connue. On arriva bientôt à l’un des ponts de la ville. De l’autre côté, une masse sombre se tenait, comme une menace non voilée qui tenait lieu d’interdiction de passage. Le cruciféraire regarda, inquiet, le vieux curé. Celui-ci lui fit signe d’avancer. Du coin de l’œil, il vit le vicaire gonfler la poitrine et sourire d’un rictus mauvais.

La bataille des soutanes
La bataille des soutanes

Autour du vieux curé, les acolytes se pressaient. Ils formaient ainsi une garde rapprochée dont le jeune âge garantissait encore les velléités de bataille et l’orgueil de la force virile. Ceux d’en face défendirent d’aller plus loin. On commença donc à s’échauffer. D’abord, on s’indigna de l’offense faite à saint Sébastien, puis on en appela aux âmes non encore protégées des autres paroisses, puis, en toute fin, on passa aux insultes personnelles.

La bataille des soutanes
La bataille des soutanes

A défaut d’oiseaux, leurs noms volaient dans le ciel. Le vicaire, en première ligne, tonnait de sa voix grave et claire. A ses côtés, un jeune cérémoniaire oubliait sa timidité pour vociférer toutes les vilaines choses qu’il avait de sa vie entendues mais que, jusque-là, il avait tues. On ne sait d’où vint le premier coup. Toujours est-il qu’il fut lancé et qu’on y répondit, de part et d’autre, dans un furieux charivari. La tentation à laquelle ces bonnes gens étaient soumises était trop forte : sur le pont se livrait une véritable bataille.

La bataille des soutanes
La bataille des soutanes

Le vieux curé, prudemment, s’était mis à l’abri de la mêlée. Le vicaire, pareil à un roi, agitait sa main comme un panache auquel ses troupes se rallieraient. Au milieu de tout ça, un bruit étrange se fit entendre. Aussitôt, le vieux curé accourut. Le cœur serré, il vit s’éloigner, depuis le pont, le saint Sébastien qui dérivait au fil de l’eau. Son cri de détresse mit fin à la bataille. En attendant de récupérer leur protecteur, les habitants invectivèrent le clergé qui laissait à la peste la possibilité d’investir la cité.

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7 janvier 2019 1 07 /01 /janvier /2019 21:20

L’aube se lève sur les bords de Loire. Aucun homme ne foule les berges du fleuve. La faune locale s’éveille, découvrant ce nouveau monde que le soleil lui donne. Pépiements, bruissements, cris sauvages, on entend aussi le souffle discret du vent dans les feuilles des arbres et le clapotis des eaux qui viennent soupirer sur le rivage. Une belle lumière, douce et chaude, remplit les lieux. Au loin, un train passe. C’est le signe que les hommes ne sont pas morts, bien qu’ils s’entretuent.

 

Le temps passe. Plus au sud, toujours sur les bords de Loire, le train s’arrête une première fois. Durant son parcours, il s’arrêtera à nouveau deux ou trois fois, pour des raisons connues du seul machiniste. On dit les voies encombrées. On dit l’arrivée de l’armée ennemie imminente. Au départ du train, on a dit l’urgence, on a dit le caractère précieux du contenu de ce train. La richesse a parfois d’autres atours que les apparats clinquants. Parfois, la richesse, ce sont des bouts de papier.

Sur les voies un train piégé
Sur les voies un train piégé

Plus au sud encore, toujours sur les bords de Loire, l’horloge a dépassé midi. Le train s’arrête en pleine voie. Il est quinze heures. Le panneau indique : La Charité-sur-Loire. A quelques centaines de mètres de là, un pont permet encore le passage des civils ou des troupes, des affaires de famille et des armes de combat. À l’entrée du pont, un groupe de tirailleurs sénégalais est chargé de le garder. Ils patientent, pareils aux héros littéraires qu’on a affectés sur une frontière. La différence avec ces héros, c’est, ici, que la guerre va venir et les prendre.

Sur les voies un train piégé
Sur les voies un train piégé

Le train ne repart pas. Une heure passe, puis une deuxième, une troisième encore. Rien ne bouge dans la gare, ni dans le train. Dans le ciel, les avions grognent méchamment. Leurs hurlements stridents se font entendre, de temps à autre, et l’on devine alors qu’ils piquent vers le sol pour y chasser leur gibier. Le machiniste apprend qu’il n’avancera plus aujourd’hui. On parle de combats, de bombardements, mais personne ne sait rien, réellement. La journée est terminée et le chargement du train doit patienter.

Sur les voies un train piégé
Sur les voies un train piégé

Une petite troupe allemande s’approche du train. Ils sont méfiants et, pourtant, ils prennent la peine de saluer. Quelques fonctionnaires, qui accompagnaient le machiniste, descendent vers eux. Ces messieurs sortent de leurs poches des papiers, tous officiels, tous signés et tamponnés. Le chef de la troupe affiche une mine dubitative. Ich will, commence-t-il, et l’on comprend qu’il souhaiterait inspecter les marchandises transportées.

Sur les voies un train piégé
Sur les voies un train piégé

La lourde carcasse de métal du premier wagon est ouverte d’une main par l’un des soldats. Quelques soldats et leur officier y rentrent pour fouiller le contenu. Les fonctionnaires, eux, sont livides. Ce n’est pas la chaleur qui est en cause, mais bien plutôt l’inéluctabilité de la découverte. A moins qu’ils ne soient totalement idiots, les Allemands vont bondir de joie. Avec une sobriété toute militaire, l’officier ressort du wagon, le rictus aux lèvres. Il jubile, certes, mais il pense aussi à cette découverte fortuite, qui est trop importante pour un si petit officier. Là, dans le wagon, se trouvent les archives diplomatiques du gouvernement français.

Sur les voies un train piégé
Sur les voies un train piégé

Il lui a suffi de lire quelques papiers seulement. Lui, le francophile, le juvénile admirateur des Lumières devenu, trentenaire, membre de la Wehrmacht, a déchiffré les mots secrets que les officiels s’envoient en secret. Il a vu le nom du général suisse mais ne comprend pas encore l’impact que cette découverte va avoir. Il en soupçonne seulement l’immense intérêt et, à titre personnel, se voit déjà quitter ce pays jadis idéalisé pour retourner dans le sien, tranquille dans un bureau tandis que d’autres se battent. Le jour tombe et le silence revient. Tout près de là, sur les bords de la Loire, la faune locale reprend ses droits.

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1 janvier 2019 2 01 /01 /janvier /2019 19:00

Devant la mine soucieuse du roi, les échevins s’inquiètent. A tout le moins, c’est la nourriture qui est en cause. Les mets sont pourtant excellents et les vins, provenant des côtes de la Meuse, le sont tout autant. Dans ce banquet organisé pour l’occasion, chacun semble prendre un peu de plaisir. Mais le roi demeure impassible. Il triture du bout de son couteau les viandes rôties et les légumes qui baignent dans la sauce épicée. Les échevins redoutent quelque mauvais coup.

 

Ils n’ont pourtant, pensent-ils, aucune raison de craindre cela du roi. Tout ce que ce dernier voulait, il l’a obtenu. A présent, il mâchonne un bout de viande que, de la pointe de son couteau, il a extirpé négligemment de son assiette. Il préside, mais son air absent ôte toute solennité à l’instant. Quelques heures auparavant, Toul s’est officiellement rangé du côté du roi de France. La ville a tourné le dos à l’est et regarde maintenant vers l’ouest. Et pourtant le roi est sombre.

Les bras ouverts
Les bras ouverts

Au moment où l’un des échevins se décide à montrer de l’intérêt pour l’humeur maussade d’Henri, une première délégation entre dans la salle. Ce sont les députés des bourgeois de la cité qui viennent demander la garantie de leurs privilèges. Après eux viendront de nombreuses délégations, issues de toutes les corporations, de toutes les espèces d’association auxquelles le pouvoir impérial avait concédé ou préservé des avantages. Le roi s’est redressé et, de son regard perçant, il scrute les requérants.

Les bras ouverts
Les bras ouverts

Les hommes parlent fort pour bien se faire entendre du roi. Pourtant, dès que le visage du roi marque quelque contrariété, ou que son regard, subitement, se détourne pour quelques secondes, ces hommes se font humbles. Ils baissent la voix, hésitent, trébuchent sur les mots. Ils disent sire à chaque phrase, comme pour stimuler à nouveau l’attention du souverain. Et, quand il les regarde à nouveau, ils reprennent leurs airs audacieux et confiants.

Les bras ouverts
Les bras ouverts

Tandis qu’on palabre, nul ne peut effacer de son esprit l’image d’Henri entrant en souverain dans la cité. La mise en scène a impressionné la population, déjà vivement émue par la présence devant les murs d’une armée considérable d’hommes en armes, de chevaux cuirassés mais aussi de cuisiniers en marmites et tabliers, de juristes en livres à peine froissés, de financiers aux billets à peine empruntés. Comme si une ville nouvelle était née devant Toul, un campement avait crû et maintenant menaçait.

Les bras ouverts
Les bras ouverts

La vieille ville-évêché connaît les prétentions du Français. Les échevins savent quel monde nouveau apparaît, quelles puissances formidables les entourent et les convoitent. Ils regrettent sûrement le vieux monde, l’équilibre d’autrefois, les rivalités locales, la puissance perdue. Ils jalousent cette armée formidable devant leurs murs apparue, mais ils n’ont d’autre choix que de se taire. Sur la route d’Allemagne, les Toulois sont déjà Français.

Les bras ouverts
Les bras ouverts

Ils taisent leurs dissidences d’autant plus qu’ils n’ont opposé aucune résistance. A peine les rumeurs des armes cliquetantes leur étaient parvenues que déjà, auprès du futur maître, on dépêchait des messagers. Sans un regard entre eux, sans un mot qui aurait consacré leur abandon, les échevins ont offert la cité. Et Henri, qui a toujours le regard sombre, a pris ce fruit mûr d’une main négligente. Car le roi le sait : son voyage de conquête ne fait que commencer.

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26 décembre 2018 3 26 /12 /décembre /2018 19:00

Elle y a cru, la belle. Parmi toutes les autres, c’est elle qu’on avait choisi. Elle qu’une main, belle aussi, chargée de bijoux, aux ongles polis, avait désigné. Elle y a cru, la belle, pendant quelques années. Et elle a tout perdu. D’un coup, d’un seul, tout est parti. Il n’y avait plus rien pour la contenter, la belle. Il y avait tout pour l’attrister.

 

Pour avoir les honneurs, la belle s’était distinguée. Elle était élégante, et d’ailleurs elle l’est toujours, mais d’une élégance plus humble, plus provinciale diraient certains comme pour la rabaisser, car c’est bien de cela dont il s’agit, et son élégance se voit immédiatement, c’est tellement une évidence, car tout ce qu’elle représente est de bon goût et bien proportionné.

La belle capitule
La belle capitule

Sa beauté est à la fois assumée et cachée. Il y a la beauté qui se donne, s’offre à qui veut la voir, en prendre un morceau, et la beauté qui se mérite, la beauté qui se love dans un repli secret, celle que l’on devine si l’on sait chercher. Elle est comme ça, Mechelen (c’est son nom) : sa générosité n’empêche pas le mystère. Mais la belle avait d’autres atouts. Elle était riche, la belle, et nul doute que cela a joué lorsqu’elle fut choisie.

La belle capitule
La belle capitule

Nul doute, qu’en haut lieu, on a pensé à tous les bénéfices qu’on pourrait en tirer. A elles viennent ceux qui créent : artistes, artisans, commerçants. Ils se pressent autour d’elle comme on se presse auprès d’un feu au cœur de l’hiver, ils tendent leurs mains vers elle comme on tend ses mains vers le feu pour qu’il les réchauffe. La belle a donné, et elle continue de le faire, mais plus modestement, selon ses nouveaux moyens. Car elle a tout perdu, la belle. Elle a tout perdu.

La belle capitule
La belle capitule

On a d’abord dit que les plus hauts personnages viendraient chez elle. Elle les a accueillis avec la joie de qui se sait honoré, en mettant les formes, en redoutant de décevoir. Avec les éminences politiques sont venus les intellectuels, les artistes, les esprits brillants, en somme, et une cour se forma, ruche bruyante et splendide, grand catalyseur de goûts, d’idées, d’or aussi, car c’est bien ce qui faisait, et faire encore, tourner le monde.

La belle capitule
La belle capitule

La belle connut des déceptions, bien-sûr, des drames aussi, comme le jour de l’explosion de la tour de poudre, qui laissa morts un très grand nombre de ses enfants, plusieurs centaines en tout, et défigura un temps son visage. Mais le coup le plus rude intervint lorsque la même main, noble, chargée de bijoux, aux ongles polis, détourna son doigt de la belle et désigna une autre, belle aussi, cela va sans dire, élégante aussi, c’est une évidence, et dont le destin se scella définitivement par ce choix, une autre face à laquelle il fallut s’incliner.

La belle capitule
La belle capitule

Mechelen s’inclina, donc, puisque le choix avait été ainsi fait, et Mechelen resta là, interdite, meurtrie, silencieuse. Les éminences, les altesses, les professeurs, les génies, tous partirent, en chaises à porteurs et en bagages lourds, regardant la nouvelle maison que la main indiquait, évitant de se retourner pour n’être pas changés en statue de sel, laissant la belle à sa vocation nouvelle de maîtresse abandonnée. La belle n’était plus capitale. L’idylle avait duré moins de cent ans.

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20 décembre 2018 4 20 /12 /décembre /2018 19:00

L’enfant n’écoutait pas la leçon du maître. Cette leçon portait sur la grammaire. La grammaire, qui d’habitude le passionnait, laissait aujourd’hui l’enfant indifférent. Il avait pourtant les yeux rivés sur le maître, qui pérorait depuis plus d’une heure, détaillant avec soin les figures de la rhétorique que les grands maîtres des universités avaient pris soin de répertorier. Mais l’enfant pensait à tout autre chose.

 

Il pensait au grand événement qui se tenait tout près de là. A quelques toises de cette salle sombre mais néanmoins saine, on célébrait le rappel auprès du Très Haut de celui qui avait été comme un père pour la cité. Le cardinal Gauvain était mort et il avait choisi, pour sa dépouille mortelle, le lieu de son enfance. Mortemart accueillait donc quelques-unes des plus éminentes autorités de l’époque. L’enfant savait tout cela.

La dévotion filiale
La dévotion filiale

A vrai dire, il en savait encore plus. Lire et écrire étaient devenus des actes familiers pour lui. Le père de l’enfant était modeste ; quant à sa mère, elle gardait quelques nobles traits mais la pauvreté matérielle qu’elle et sa famille subissaient (on disait, à cette époque, que cette famille connaissait la disgrâce, au sens religieux du terme) la rendait encore plus humble que son mari. L’enfant connaissait encore la grammaire et le latin, possédait des rudiments de science et de mathématiques et il récitait de mémoire des passages entiers des Écritures.

La dévotion filiale
La dévotion filiale

L’enfant espérait donc trouver, dans la noble assemblée, un bienfaiteur ému par sa condition. De la même façon, il avait trouvé dans le collège où il se trouvait présentement un bienfait immense qui l’extirpait, pour quelques heures par jour, de sa condition d’enfant pauvre. L’enfant rêvait donc de découvrir les royaumes et les empires, les cités fières et indépendantes, les cours précieuses et fastes.

La dévotion filiale
La dévotion filiale

Son cœur bondissait à l’idée de joutes intellectuelles dont il aurait été le vainqueur. Il enviait les débats doctes que, dans les grandes villes, on menait, et il s’imaginait déjà comme le conseil discret et inestimable d’un puissant protecteur. Puis, en grandissant, ses amitiés se feraient plus nombreuses, plus solides, plus avantageuses aussi. Il enseignerait les arts libéraux ou bien le droit canon, il écrirait des traités reconnus et estimés, on l’appellerait aux honneurs. Il les accepterait.

La dévotion filiale
La dévotion filiale

Emporté dans cette vie nouvelle, grâce à laquelle son nom résonnerait durant l’éternité des siècles, l’enfant n’oublierait cependant pas ses origines. Il ferait des dons, il fonderait des monastères, il soutiendrait un hospice, il tendrait la main, et même les deux, à ceux qui seraient dans le besoin. La piété filiale et l’humilité que tout homme devrait ressentir l’y obligeraient. Et, peut-être, dans une salle sombre mais néanmoins saine, reconnaîtrait-il un jour un enfant pareil à celui qu’il avait été, qu’il était aujourd’hui.

La dévotion filiale
La dévotion filiale

La vie que l’enfant rêvait avait été celle du cardinal qu’on enterrait. Le collège pour enfants pauvres était l’un de ses bienfaits. Et l’enfant, perdu dans ses errances oniriques, s’aperçut bientôt du silence qui pesait dans la classe. Le maître l’interrogeait sur un sujet qu’il ignorait à cause de sa distraction. Le maître le rudoya puis se tourna vers un autre élève, lequel répondit correctement. Que la route est longue, songea l’enfant ; et elle l’était d’autant plus que ce n’était point une question de chemin à parcourir (le choix du lieu d’inhumation du cardinal en était la preuve), mais, bien plus, d’idéal à imiter.

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14 décembre 2018 5 14 /12 /décembre /2018 19:00

Au centre était l’architecte, et autour de lui s’agitaient tous les autres : des nonnes, des évêques, des historiens, des historiens de l’art, d’autres architectes, parfois de papier, des universitaires aux spécialités absconses, des personnalités politiques d’influence locale, régionale et même nationale, et de simples citoyens intéressés par le débat. La lumière était braquée sur l’architecte, qui gardait le silence. Dans la salle, les questions continuaient de fuser.

 

Pour ce débat, on avait convoqué les plus grandes sommités, chacune en leur domaine, et on les installa confortablement, dans des chaises dont on applaudissait encore le design audacieux, face à l’architecte qui continuait de se taire. Sans doute réfléchit-il, proposa l’animateur du débat, que ce silence inquiétait cependant, car il fallait que l’architecte parlât, qu’il argumentât, qu’il expliquât enfin au public et au monde qui le regardait les raisons de ses choix.

Du caractère sacré
Du caractère sacré

Puisque le monument dont il était question était une chapelle, toutes les questions et toutes les réponses tournaient autour du même thème : la définition du caractère sacré. Et chacun, du sommet de sa spécialité, à force d’avoir manipulé intellectuellement ce concept durant de nombreuses années, chacun, donc, tenait à faire savoir à l’assemblée de doctes à quelles conclusions il était parvenu. Naturellement, ces conclusions n’appelaient pas de débat. Le débat concernait uniquement les choix de l’architecte.

Du caractère sacré
Du caractère sacré

La dimension sacrée, dans le cas de la chapelle Notre-Dame-du-Haut, dans le village haut-saônois de Ronchamp, revêtait trois dimensions. Il y avait d’abord le lieu, chargé par essence d’une spiritualité qu’on ne pouvait nier, à moins d’être le plus insensible des agnostiques. Il y avait ensuite la nature : elle enveloppait ce lieu, isolé sur sa colline, et renvoyait aux origines de l’humanité et aux divinités telluriques. Il y avait, enfin, la figure tutélaire de l’architecte précédent, icône intouchable à l’accent suisse et dont le travail ne pouvait être remis en cause.

Du caractère sacré
Du caractère sacré

Ce qu’on reprochait à l’architecte, c’était son audace. Que l’on bouleverse la nature, soit. Qu’on ne dessine rien qui ressemble à un temple, c’était entendu, puisque la chapelle était déjà bâtie. Non, la querelle portait décidément sur l’injure faite au grand créateur, au génie, à celui qui avait pressenti le grand courant du siècle. La chapelle se suffit à elle-même, s’exclama une architecte. Limpide, direct, définitif : le verdict était alors rendu.

Du caractère sacré
Du caractère sacré

L’architecte continuait de se taire. Il encaissait les coups et écoutait avec attention chaque mot qui lui parvenait. Il entendait les critiques, il les comprenait. Il remit ses choix en question. Se promit de revenir sur la colline, de marcher en ce lieu pour en ressentir les énergies que tous, ici, lors du débat, décrivaient. Il réfléchissait et dessinait, déjà, en esprit pour le moment, les plans qu’il conceptualisait, cependant que la tempête des mots rudes tourbillonnait toujours autour de lui.

Du caractère sacré
Du caractère sacré

L’architecte pensait maintenant que son empreinte à lui devrait être la plus discrète possible. Il fallait, pour que le projet fut accepté, que l’on ne vît même pas son œuvre, qu’on ne la soupçonnât pas et que, cependant, pour ceux qui accepteraient qu’il laissât sa trace sur la colline sacrée de Ronchamp, cette œuvre respectât les vœux de son illustre prédécesseur. Il fallait un lieu de prière et un lieu de paix. Tandis que le débat s’éternisait, l’architecte se dit que, finalement, cette colline pourrait bien lui apporter une joie intérieure.

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8 décembre 2018 6 08 /12 /décembre /2018 19:00

C’est la fin du mois d’octobre. Si dehors règne le crachin, en dedans souffle une tempête. Des bourrasques d’impuissance et des flots de rage bouleversent les deux hommes. Ils sont assis dans une salle haute de l’une des tours. Ce n’est pas la plus grande, ni la plus somptueusement décorée. Simplement, c’est la mieux chauffée, leur a-t-on assuré. Quelques bûches flamboient dans la cheminée et éclairent un intérieur austère où, hormis les deux chaises occupées, une table et un coffre constituent le mobilier.

 

L’un de ces deux hommes est un roi ; l’autre est son favori. Edward et Hugh se connaissent depuis quelques années. Ce sont de vrais compagnons. Partageant le goût du pain et celui, âcre, des batailles, ils ont régné. L’un murmurait à l’oreille de l’autre, tandis que ce dernier agissait, édictait, tranchait. Edward et Hugh n’ont guère vécu de jours l’un sans l’autre depuis qu’ils se connaissent. Ils recherchent sans cesse leurs propres compagnies. L’épouse du roi, la Française Isabelle, a d’ailleurs mal pris la chose. Fille, épouse et mère de roi, elle a maudit son éviction et traîné sa misère.

Amis à mort
Amis à mort

C’est elle qui les poursuit, désormais. Les messagers la disent à des lieux de Caerphilly mais la crainte qu’elle leur inspire, elle, est tout près d’eux. Cette peur habite la pièce où ils se trouvent. Quand ils se déplacent, elle se déplace avec eux. Elle ne les quitte pas, se divise même lorsqu’ils se séparent pour s’assurer que ni Edward, ni Hugh ne l’oublient. C’est la peur d’être arrêtés, la peur d’être renversés, la peur d’être exécutés. Ils redoutent autant d’être décollés que d’être pendus, tels des vilains, à la branche d’un chêne.

Amis à mort
Amis à mort

Les jours passent lentement dans le château de Caerphilly. Les minutes semblent des heures. Les deux ou trois premiers jours, Edward et Hugh ont senti l’épuisement qui avait conquis leurs corps. Ils ont ressenti l’amertume de l’échec, inhérente à cette tentative ratée de se réfugier sur cette île au large de la côte des Cornouailles. Certains, dans leur suite, y ont vu un signe divin. Eux ont préféré n’y comprendre qu’un hasard, malheureux, de la nature, l’une de ces tempêtes que même les meilleurs marins ne peuvent pas prévoir. Ils ont frôlé la mort sur mer ; ils l’attendent maintenant sur terre.

Amis à mort
Amis à mort

L’humeur d’Edward est changeante. Tantôt il paraît enjoué, imagine des plans et forme des projets de reconquête dans lesquels il parvient à recruter une puissante armée et à rallier à lui les nobles du royaume. Il énumère, dans l’ordre, les cités qu’il prendrait par la force, et celles qui le rejoindront sans hésiter. Dans ces cas, Hugh acquiesce et participe activement, rappelant ici une cité oubliée, gonflant là le nombre d’hommes que tel lord lui apportera.

Amis à mort
Amis à mort

Le plus souvent, l’abattement gagne le roi. Il maudit ceux qui l’ont abandonné, il pense même à se livrer. Envers Hugh, il se montre parfois injuste. Il lui reproche des décisions passées, il le rend responsable de sa rupture avec Isabelle. Il lui rappelle l’épisode écossais, pendant lequel sa femme, prise en tenaille par ces Calédoniens, a failli mourir. C’est lui, Hugh, hurle le roi, qui n’a pas voulu lui porter secours. Puis la tension retombe et Edward se laisse tomber sur une chaise, apathique pour quelques heures, la bouche sèche et le regard vague.

Amis à mort
Amis à mort

Un matin - cela fait une semaine qu’Edward et Hugh campent, tels des palefreniers, dans les écuries de Caerphilly -, un messager leur annonce la venue prochaine d’Isabelle. Tout le camp s’affole. Edward et Hugh montent en hâte leurs chevaux que les lads tiennent prêts en cas d’urgence. Les sergents se regardent puis finissent par emboîter le pas au roi, qui se trouve déjà sur la route de l’ouest. Un véritable trésor est abandonné sur place : or, argent, documents. Un sergent s’en émeut auprès du roi. Celui-ci ne répond pas : ses yeux trahissent déjà son absence.

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