Les maudits mômes fuyaient en riant. Nicolas les poursuivait, le poing levé et la rage au cœur. Au pont, il arrêta sa course, essoufflé, écœuré. S’accroupissant contre le parapet, il tâta sa tête, puis son torse et ses épaules, et constata qu’il n’était pas blessé. Qu’aucune pierre ne l’eût atteint tenait du miracle. Lorsqu’il se releva, une charrette passa, faillit lui écraser le pied, qu’il écarta dans un réflexe. Décidément, il était en verve. Nicolas glissa alors la main dans la poche intérieure de son manteau. L’étrange pierre s’y trouvait toujours.
Nicolas l’avait trouvée un matin, au bord de l’Oise. Il venait de quitter le frère Jacques, duquel il avait appris qu’une pierre, que les livres appelaient philosophale, procurait à celui qui la possédait de fantastiques pouvoirs. Parmi eux, on pouvait espérer la fortune et la vie éternelle, auxquelles tout homme aspirait secrètement, se soumettant ordinairement à Dieu pour son élection à de telles bénédictions. Le frère Jacques tenait ces informations de traités qu’il avait consultés à Paris. Revenu à Pontoise, édifié par ce qu’il avait appris, le moine s’était confié à ce jeune garçon qu’il connaissait bien et qui portait, par une heureuse coïncidence, le même prénom que l’auteur de ces traités.
C’était un caillou minuscule, à l’apparence toute simple, sphérique, dont on devinait au toucher d’invisibles aspérités. Elle laissait sur les doigts comme une pellicule blanche, qui partait difficilement, même avec l’aide de l’eau, et c’est pour cette raison que Nicolas la gardait cachée dans une bourse de cuir, comme une relique précieuse que les regards eux-mêmes auraient contaminé. Dès qu’il l’avait découverte, Nicolas l’avait emportée chez lui, où sa mère se mourrait. Elle toussait et crachait du sang, suait comme une diablesse, suintait d’un liquide jaunâtre méphitique. Tandis qu’elle dormait, il avait apposé la pierre sur son front et, dès le lendemain, elle ne toussait presque plus.
Nicolas laissa derrière lui le pont où il s’était accroupi, et revint vers le quartier des bouchers où sa famille habitait. A mi-chemin, il obliqua dans une ruelle dans laquelle résonnaient les coups des forgerons. Devant leurs ateliers, Nicolas promena son regard. Il découvrit un morceau de ferraille chez l’un d’eux, qu’il ramassa aussitôt. Au bout de la rue, il s’agenouilla, et éprouva sa trouvaille avec son étrange pierre. Hélas pour lui, elle n’en fit ni de l’argent, ni de l’or.
En songe, Nicolas avait rêvé que sa pierre philosophale le rendrait riche. Il rentrerait, triomphant, dans son foyer, portant en ses mains un objet que d’aucuns auraient à peine regardé dans la rue, et que lui était parvenu à transformer en or. Le frère Jacques le lui avait bien dit : le sieur Flamel avait ainsi acquis maisons et honneurs à Paris. Chose extraordinaire, l’auteur des traités avait aussi vécu à Pontoise, et Nicolas se demandait s’il n’était pas la réincarnation de cet homme.
Quand il rentra chez lui, Nicolas rencontra d’abord le silence. Son père travaillait tout le jour. La découpe patiente et infinie de la viande le harassait, et pourtant cela ne suffisait plus à nourrir convenablement toutes les bouches du foyer. La corporation entière, jadis si puissante, souffrait des mêmes maux. Le père de Nicolas, davantage, souffrait que son fils ne se formât même pas au métier. De tous les châtiments, promis ou infligés, aucun n’avait pu ramener le fils à la raison et à la boutique. Nicolas quêtait une fortune insensée. Ainsi le père désespérait que le fils s’enfermât dans une folie dont ne le pourrait probablement délivrer que la mort.
Nicolas appela sa mère, mais elle ne répondit pas. Par habitude, il frotta encore sa pierre contre les ustensiles de cuisine, sans que rien ne se mît à briller. Inquiet de ne rien entendre, Nicolas alla dans l’autre pièce ; là gisait sa mère, masse informe que recouvraient des couvertures de tissu grossier. Elle ne respirait plus. Le garçon s’effondra. Les poings portés au visage, il sanglotait. Pourtant, s’il avait ouvert la main, Nicolas aurait vu, sur son étrange pierre, un superbe reflet d’or.