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23 janvier 2022 7 23 /01 /janvier /2022 19:00

Les maudits mômes fuyaient en riant. Nicolas les poursuivait, le poing levé et la rage au cœur. Au pont, il arrêta sa course, essoufflé, écœuré. S’accroupissant contre le parapet, il tâta sa tête, puis son torse et ses épaules, et constata qu’il n’était pas blessé. Qu’aucune pierre ne l’eût atteint tenait du miracle. Lorsqu’il se releva, une charrette passa, faillit lui écraser le pied, qu’il écarta dans un réflexe. Décidément, il était en verve. Nicolas glissa alors la main dans la poche intérieure de son manteau. L’étrange pierre s’y trouvait toujours.

Nicolas l’avait trouvée un matin, au bord de l’Oise. Il venait de quitter le frère Jacques, duquel il avait appris qu’une pierre, que les livres appelaient philosophale, procurait à celui qui la possédait de fantastiques pouvoirs. Parmi eux, on pouvait espérer la fortune et la vie éternelle, auxquelles tout homme aspirait secrètement, se soumettant ordinairement à Dieu pour son élection à de telles bénédictions. Le frère Jacques tenait ces informations de traités qu’il avait consultés à Paris. Revenu à Pontoise, édifié par ce qu’il avait appris, le moine s’était confié à ce jeune garçon qu’il connaissait bien et qui portait, par une heureuse coïncidence, le même prénom que l’auteur de ces traités.

Contre fortune bon cœur
Contre fortune bon cœur

C’était un caillou minuscule, à l’apparence toute simple, sphérique, dont on devinait au toucher d’invisibles aspérités. Elle laissait sur les doigts comme une pellicule blanche, qui partait difficilement, même avec l’aide de l’eau, et c’est pour cette raison que Nicolas la gardait cachée dans une bourse de cuir, comme une relique précieuse que les regards eux-mêmes auraient contaminé. Dès qu’il l’avait découverte, Nicolas l’avait emportée chez lui, où sa mère se mourrait. Elle toussait et crachait du sang, suait comme une diablesse, suintait d’un liquide jaunâtre méphitique. Tandis qu’elle dormait, il avait apposé la pierre sur son front et, dès le lendemain, elle ne toussait presque plus.

Contre fortune bon cœur
Contre fortune bon cœur

Nicolas laissa derrière lui le pont où il s’était accroupi, et revint vers le quartier des bouchers où sa famille habitait. A mi-chemin, il obliqua dans une ruelle dans laquelle résonnaient les coups des forgerons. Devant leurs ateliers, Nicolas promena son regard. Il découvrit un morceau de ferraille chez l’un d’eux, qu’il ramassa aussitôt. Au bout de la rue, il s’agenouilla, et éprouva sa trouvaille avec son étrange pierre. Hélas pour lui, elle n’en fit ni de l’argent, ni de l’or.

Contre fortune bon cœur

En songe, Nicolas avait rêvé que sa pierre philosophale le rendrait riche. Il rentrerait, triomphant, dans son foyer, portant en ses mains un objet que d’aucuns auraient à peine regardé dans la rue, et que lui était parvenu à transformer en or. Le frère Jacques le lui avait bien dit : le sieur Flamel avait ainsi acquis maisons et honneurs à Paris. Chose extraordinaire, l’auteur des traités avait aussi vécu à Pontoise, et Nicolas se demandait s’il n’était pas la réincarnation de cet homme.

Contre fortune bon cœur
Contre fortune bon cœur

Quand il rentra chez lui, Nicolas rencontra d’abord le silence. Son père travaillait tout le jour. La découpe patiente et infinie de la viande le harassait, et pourtant cela ne suffisait plus à nourrir convenablement toutes les bouches du foyer. La corporation entière, jadis si puissante, souffrait des mêmes maux. Le père de Nicolas, davantage, souffrait que son fils ne se formât même pas au métier. De tous les châtiments, promis ou infligés, aucun n’avait pu ramener le fils à la raison et à la boutique. Nicolas quêtait une fortune insensée. Ainsi le père désespérait que le fils s’enfermât dans une folie dont ne le pourrait probablement délivrer que la mort.

Contre fortune bon cœur
Contre fortune bon cœur

Nicolas appela sa mère, mais elle ne répondit pas. Par habitude, il frotta encore sa pierre contre les ustensiles de cuisine, sans que rien ne se mît à briller. Inquiet de ne rien entendre, Nicolas alla dans l’autre pièce ; là gisait sa mère, masse informe que recouvraient des couvertures de tissu grossier. Elle ne respirait plus. Le garçon s’effondra. Les poings portés au visage, il sanglotait. Pourtant, s’il avait ouvert la main, Nicolas aurait vu, sur son étrange pierre, un superbe reflet d’or.

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14 juillet 2021 3 14 /07 /juillet /2021 18:00

Denecourt ose un sourire à la jeune femme, qui le lui rend. A sa droite, la mère ne s’aperçoit de rien. Ce n’est pas surprenant : elle garde ses grands yeux étonnés levés vers les arbres qui l’entourent et, là où, le matin encore, elle ne voyait que des épigones indistincts, elle perçoit à présent la diversité de ces feuillus et résineux desquels elle demande à Denecourt, le plus sérieusement du monde, le nom, l’âge et les caractéristiques remarquables.

Quant au père, il regarde ailleurs, il le faut absolument, sans quoi, marmonne-t-il, il y aura des morts. Denecourt l’agace prodigieusement et son épouse, qui a insisté pour venir, encore plus. À la décharge de ce bon monsieur de Paris, il faut dire que le voyage en malle poste a duré dix heures. La forêt de Fontainebleau n’est pas seulement inhospitalière. Elle est également fort loin des lieux de plaisirs véritables que constituent les cafés, les théâtres et les cabarets.

La voix à suivre
La voix à suivre

Monsieur s’ennuie ferme. Madame, elle, est toute à sa joie d’admirer enfin ce que des amies lui ont tant vanté. Quant à leur fille, elle trouve Denecourt plein de ressources, et les histoires qu’il conte s’arriment fermement à sa mémoire. La jeune femme ne doute pas que, sitôt la nuit tombée, ces histoires s’inviteront dans ses rêves. Denecourt leur présente un chêne. Cinq cents ans, au bas mot, et de ses feuilles comme de multiples yeux, il a vu les rois, les guerres et les petites gens. Pour un être comme cet arbre, l’Homme doit être un bien curieux animal, jamais rassasié de souffrances et pour lequel il est permis de douter qu’il est effectivement doué de raison.

La voix à suivre
La voix à suivre

Monsieur tique. Que ce Denecourt donne à des roches, à des arbres, les noms de héros mythologiques ou antiques ne l’a pas tellement dérangé jusque là. Mais que ce tout petit homme se permette de balayer la glorieuse Histoire de France au moyen d’une pathétique personnification d’un bout de bois est absolument déraisonnable. La guerre est chose à respecter, comme le roi et la nation, car c’est pour cela que tant de braves dorment désormais dans les souterrains de l’Europe. Denecourt opine, et récite une liste de batailles menées pour l’Empereur.

La voix à suivre

Près des lieux autrefois anonymes - Essling, Talavera - devenus désormais célèbres reposent des camarades du quatre-vingt-huitième. Monsieur comprend l’allusion et en ressent une certaine émotion, car il ne pensait point que leur pauvre guide avait, dans ses jeunes années, participé à la glorieuse aventure. Il en est quitte pour se taire, et se résigne à poursuivre la promenade parmi les pins et les grès. Cependant il demeure dans un grand trouble, car il voit, peintes sur les troncs des arbres, de larges flèches d’un bleu vif.

La voix à suivre
La voix à suivre

Denecourt marche en tête. Il reconnaît chaque endroit, et ne semble même pas réfléchir au chemin qu’il suit. A madame qui s’étonne qu’il n’use pas de la carte, il répond qu’il a lui-même établi ce document, et que les chemins eux-mêmes sont son œuvre. Par ailleurs, les esprits de la forêt lui parlent, et jamais ils ne l’ont trahi, au contraire des hommes qui se montrent parfois inconstants. Denecourt précise qu’il exclut de son propos le petit peuple de la forêt, bûcherons, carriers, glaneuses de bois mort, dont il n’a jamais eu l’occasion de constater la duplicité ou la vilenie.

La voix à suivre
La voix à suivre

On parvient enfin au lieu d’arrivée. Les dames sont comme enchantées ; elles jettent des regards ravis par-derrière leurs épaules, éprouvant l’ivresse que procure la découverte de lieux autrefois fantasmés. Monsieur, lui, est mortifié. Il a appris que le bleu des flèches peintes représente l’obédience républicaine de leur guide. Denecourt songe enfin à un passage que la nature, jusque là cachottière, lui a soudainement révélé durant la promenade. Pour autant, il ne néglige pas les politesses. Il raccompagne ses hôtes jusqu’à leur voiture, puis il disparaît dans la forêt.

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2 janvier 2021 6 02 /01 /janvier /2021 20:00

Mornes sont les jours depuis que vous êtes partis. L’hiver n’arrange rien. L’hommage populaire que vous avez reçu a seulement laissé une impression de chaleur, qui ne suffit pas à me consoler. Je demeure sur mon socle, le menton sur le poing et tous les muscles de mon dos tendus, saillants, beaux et terribles dans leur froide brillance. Je veille. Jamais je ne cligne des yeux, jamais je ne les ferme. Ma nature ne m’impose pas le sommeil. Elle ne m’interdit pas la peine, cependant.

Dans la nuit éternelle dans laquelle vous dormez, je suis votre gardien comme vous fûtes, jadis, mon créateur. Vous m’avez donné une vie bien étrange : immobile, impavide, je ne serai que le témoin de ce monde, sans pouvoir y agir en aucune façon. Je n’en verrai rien que ce bout de terrain, sis en une ville que vous nommiez Meudon lorsque vos mots vibraient encor. J’en entendrai néanmoins toutes les langues, et en verrai tous les pays, car votre renommée est telle qu’on accourra auprès des lieux que vous habitiez dans l’espoir d’y capter les derniers relents infimes et mystiques de votre âme. Témoin d’un souvenir : voilà ma tâche.

Les plaies pensées
Les plaies pensées

Aux sombres soirs de solitude se pressent en mon esprit les images heureuses de votre présence. Elles me viennent de tous les lieux et de toutes les époques, et me confondent, car pour nombre d’entre elles, je n’existais pas. Je pense - sans jeu de mots facile - que vous me les offrîtes en me façonnant. Car, étant né de votre âme, de votre génie diraient d’aucuns, j’en perçois tous les recoins, et aucun de ses secrets ne m’est inconnu. A travers moi, vous vivez.

Les plaies pensées
Les plaies pensées

Vous vivez comme vous n’avez jamais vécu, c’est-à-dire seul, c’est-à-dire contemplatif. Comme elles vous ont paru exaltantes, ces années passées me paraissent troublantes, car je vois auprès de vous des dizaines de visages auxquels, sans que je sache comment, j’attribue des noms. Au milieu des mâles expressions surgissent des fragrances délicates, des regards farouches et des lèvres endiablées : ce sont les femmes que vous aimâtes. Parfois elles pratiquaient votre art, parfois un autre ; mais celle que je pleure le plus intimement, c’est celle qui fut votre ombre.

Les plaies pensées
Les plaies pensées

Elle ne fut pas que cela. Domestique, intendante, lessiveuse, cuisinière : elle avait accumulé les fonctions. Mais il en resta une, secrète aux yeux de beaucoup, qui justifia qu’elle restât à vos côtés toutes ces années. Elle était votre socle. Pour vous elle se rapetissait, s’humiliait, et se rapetissant elle vous grandissait, et s’humiliant elle vous rendait glorieux. Aucun parmi vos amis n’auraient su endosser ce rôle. Pour eux, vous étiez auréolé d’une couronne de sainteté artistique. Eux, ils vous disaient les mots doucereux de la flatterie et les mots acerbes de la critique. Eux ne vous parlaient pas de l’ordinaire.

Les plaies pensées
Les plaies pensées

Il n’en faudrait pas conclure qu’ils ne vous servirent à rien. Au contraire, ils furent tout. Derrière moi, dans l’atelier, les statues d’argile que vous aviez modelées prenaient dimensions humaines à la faveur des plus expertes de leurs mains. Ils étaient sculpteurs, praticiens, fondeurs. Ils burinaient, posaient, patinaient. Vous étiez la tête et ils étaient les mains, et lorsqu’ils travaillaient, occupés tous les jours de la semaine, votre villa ressemblait à une usine. Et, malgré tout ce qui vous unissait, vous étiez le maître. Sans doute connaissiez-vous la solitude mieux que je ne l’aurais imaginé. Sans doute n’y étiez-vous pas pour rien.

Les plaies pensées
Les plaies pensées

Il me revient maintenant le souvenir de ce jeune poète. Vous vous admiriez. Vous l’accueillîtes en votre villa comme un fils. Il devint votre secrétaire, puis votre exilé, lorsque vous constatâtes qu’il nourrissait d’autres amitiés que la vôtre. Ainsi n’est-il peut-être pas surprenant que je me tienne, dans un isolement éternel, au-dessus de vos corps froids. Je ne fais que prolonger ce que vous incarnâtes : un art ouvert, un artiste hors de portée.

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17 juin 2020 3 17 /06 /juin /2020 19:10

La voiture impériale n’est déjà plus qu’un point infime sur la route de Paris. Ces messieurs du château de Saint-Germain sont restés dehors à la voir s’éloigner. Ils savent que cette visite bouleversera dès le lendemain, dès le soir, même, leurs existences et celle du château. Ce dernier ne doit pas s’en faire, il en a vu d’autres : des naissances royales, des parties de chasse endiablées, des fêtes somptuaires et même jusqu’aux détresses les plus solitaires.

La visite a été un succès, se félicitent ces messieurs. Une réussite, un honneur, une joie, un événement considérable ; ils n’en peuvent plus de synonymes et de superlatifs. Et, se le disant entre eux, ils se le disent à eux-mêmes. Chacun, d’ailleurs, est convaincu d’avoir davantage contribué que les autres à la grandeur de la France. Car, si les Anglais sont désormais des amis, il est toujours plaisant de leur démontrer la supériorité du continent.

Aux morts la dignité
Aux morts la dignité

Tous ces messieurs, qui sont l’élite du pays, discutent maintenant à l’air libre. Ils semblent prendre conscience du lieu où ils se trouvent. Sous les parquets usés et les tapisseries élimées se terre l’âme d’un monument qui doit être la fierté de la nation. Car, avant d’être jusqu’à ce jour un pénitencier militaire, Saint-Germain-en-Laye a été une pouponnière. De grands princes y ont passé leur enfance. Parmi eux, le grand Louis qui, sans nul doute, se flatterait comme ces messieurs que le château connaisse bientôt une renaissance.

Aux morts la dignité
Aux morts la dignité

Pouponnière, le château ne fut pas que cela. Il fut aussi mouroir, et pour un roi d’Angleterre, qui plus est. Jacques, vaincu sur les rives d’une rivière d’Irlande, y vint trouver une sénilité apaisée. C’est à cet hôte morbide, venu seize décennies auparavant, que l’on doit la visite impériale et que le château, par décret de l’empereur local, devra sa beauté retrouvée. A cette idée, ces messieurs sourient, avant de retrouver aussitôt leur sérieux.

Aux morts la dignité
Aux morts la dignité

Le travail qui les attend est faramineux. L’impératrice n’a pas pu se recueillir devant le tombeau de son aïeul, dans l’église communale. Celle-ci devra être comprise dans l’entreprise de restauration, il en va de la cohérence historique de celle-ci. Pour le reste, ce que ces messieurs pensent avoir accompli mérite des éloges. L’impératrice a été étonnée par la rapidité des travaux déjà menés, eu égard aux particularités des derniers occupants. L’un de ces messieurs tique.

 

Aux morts la dignité
Aux morts la dignité

Il est vrai que les précédents gardiens des lieux n’étaient pas tous très recommandables. Cependant, il s’agissait d’hommes, et non simplement de prisonniers dont la société pourrait disposer à sa guise. Ils n’ont pas choisi le lieu de leur détention. Ils n’ont pas non plus choisi d’être désormais exilés dans les nouveaux départements algériens, tels les témoins inconvenants d’une honte passée que l’on voudrait cacher. Ces messieurs se taisent d’abord, puis se gaussent. L’importun pensait leur faire la morale : il les amuse tout juste.

Aux morts la dignité
Aux morts la dignité

Tout cela est sans importance, assurent ces messieurs. Le château jadis si brillant avait assez subi de dégradations. Ç’a n’avait été qu’un lieu de pouvoir d’avant la Révolution. Il avait connu les ors, on lui avait donc fait connaître le désordre, et ceux qui le sèment. Aujourd’hui, on le découvrait mausolée d’un hôte illustre, et la visite impériale n’avait fait que mettre en lumière son destin injuste. Ces messieurs ont maintenant oublié la ridicule algarade. Après tout, la place est vide maintenant.

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13 décembre 2019 5 13 /12 /décembre /2019 21:50

Ils se tiennent gentiment la main. Lui, sans la presser trop fort, la tient de façon délicate et, cependant, tâche par le peu de pression qu’il y met d’assurer la jeune femme de son désir. Elle, sans se presser, dicte le pas du couple, le regarde avec des yeux innocents et, pourtant, espère que derrière la candeur, le jeune homme verra la promesse de l’ardeur. Charles et Germaine se connaissent depuis peu. Dans le parc et dans les couloirs du château, ils chuchotent, pareils à deux amoureux.

Bien sûr, il boite, et cela le rend odieux à beaucoup. Pourtant, son visage affiche de la noblesse, et il n’est pas rare qu’au cours des conversations animées du salon, il pique et défie son adversaire d’un œil sévère. Évidemment, elle est riche, et tout le monde le sait. Peu, néanmoins, lui pardonnent son physique disgracieux. Elle a pour elle la jeunesse, et l’audace, et la verve. Elle veut croire, sans doute avec raison, qu’elle effraie par sa valeur plus que par sa laideur.

Bot et laide
Bot et laide

Ils se sont croisés au château du Marais. Un salon nouveau y naissait ; alors, pour prendre l’air autant que pour s’y montrer, les deux futurs amants sont arrivés de Paris, séparément. Dans les couloirs, puis dans le vaste parc attenant, leurs regards se sont rencontrés. Plus encore, ce sont leurs voix, leurs pensées, leurs allures qui les ont condamnés à se parler ; d’abord publiquement, puis secrètement, lorsque leurs cœurs le leur ont ordonné. Le parc se révéla assez vaste pour accueillir leurs emportements.

Bot et laide
Bot et laide

Au salon, on ne fit guère attention à l’aventure. Somme toute, c’était assez commun et, par ailleurs, des pensées plus élevées retenaient les attentions. Réunion de mondanités, de sensibilités aussi, le salon réunissait autour de Madame de la Briche des hôtes badins et astucieux, et néanmoins brillants. Ils excellaient en poésie, en belles-lettres, en arts, en histoire, en science politique également. Tour à tour, les participants péroraient ou bien vétillaient ; l’opinion admise le matin pouvait fort bien, par la seule puissance du verbe, être honnie le soir. Les débats, qui se doublaient de duels personnels, devenaient des lices où s’entrechoquaient toutes les idées du temps.

Bot et laide
Bot et laide

Dans ce vase clos comme un bocal, Charles et Germaine se cherchent et se trouvent. Ils participent aux palabres, font montre de leur érudition, se font des œillades quand se terminent les discussions. Ils se séduisent et déjà se repoussent. Il lui murmure des mots sensuels et immoraux à l’oreille, puis se désole à voix haute que son père soit ce maudit Necker. Elle caresse son visage de ses doigts délicats, et se mord les lèvres qu’il ait pris la soutane et non l’épée comme il se doit.

Bot et laide
Bot et laide

Ils savent se tenir devant l’assemblée. Il faut dire que Germaine est jeune mariée, et que Charles se destine à l’épiscopat. Aimer est admis ; s’exposer est réprimandé. Au salon, on les tient en estime et, comme les autres, ils ont droit à leur célébration. On le flatte pour la précocité de sa carrière, pour sa charge d’agent général du clergé, pour sa science de la diplomatie grâce à laquelle il résout maints conflits. Quant à elle, on se surprend – certains vieux messieurs s’étouffent – de son omniscience, qu’elle manie comme une lame aiguisée pour détourner les hommages par trop grossiers.

Bot et laide
Bot et laide

Parfois, ils n’en peuvent plus et ils s’échappent. Abandonnant les affrontements littéraires, ils trouvent refuge sur un banc, à l’orée de la forêt toute proche, et ils se font des promesses et ils s’embrassent. Puis, le désir assouvi, viennent les reproches. Charles trouve Germaine un peu niaise et il rit de ce cœur qui s’enflamme rapidement, et menace de se consumer tout à fait. Elle lui dit qu’il est cynique et que son cœur, à lui, est de glace. Les frivolités la désespèrent quand elles le convainquent d’être les seules choses valables en ce monde. Bientôt, ils se séparent. Sans doute se reverront-ils, en ce salon ou dans un autre.

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10 juin 2019 1 10 /06 /juin /2019 18:00

Une voiture l’attendait en bas de chez lui. Laffitte, le célèbre banquier, y monta avec une agilité telle qu’on l’aurait cru rajeuni de trente ans. Il ne prit même pas la peine d’enlever son lourd manteau qui le protégeait de ce printemps encore glacial, car déjà il donnait une adresse au cocher et l’engageait à se presser. Enfin, il s’assit convenablement et souffla bruyamment, mais l’on ne sut si c’était de joie ou de fatigue. Il se rendait présentement chez le notaire pour y retrouver sa maison.

Lorsqu’il ouvrit la porte de l’étude, ayant en cela largement devancé le clerc qui n’osa véritablement se mettre en travers du chemin d’un homme tel que Laffitte, ce dernier vit le regard impatient du notaire. Les petits doigts boudinés du notable tapotaient avec rythme sur le bureau tandis que ses yeux ne cessaient de cligner derrière une paire de lunettes rondes et graciles. Devant le notaire, le frère du banquier se retourna et esquissa un sourire timide. Laffitte, comme toujours, avait du retard.

Un juste retour des choses
Un juste retour des choses

On ne pouvait pas dire que le notaire appréciait cette habitude. Oubliant les formules d’usage, il commença immédiatement sa lecture des documents officiels tandis que le banquier finissait de s’installer. Il marmonnait : « … vendu à monsieur Jean-Baptiste Laffitte le trente mai mil huit cent trente-quatre pour la somme de ... ». Il semblait à Laffitte que le notaire, homme du verbe, prononçait les chiffres en toutes lettres tandis que lui, homme des chiffres, aimait à prononcer ceux-ci avec rapidité afin que, circulant prestement, ils s’amassent de la même façon sur ses comptes. Le notaire commença alors la description du château.

Un juste retour des choses
Un juste retour des choses

Date de construction, propriétaires successifs (le notaire évoquait le nom du maréchal Lannes avec une admiration non feinte), caractéristiques diverses (Laffitte n’avait jamais retenu le nombre exact de pièces qui composaient le château de Maisons), description clinique du très vaste parc qui faisait le charme de la propriété. C’est ce parc, d’ailleurs, qui rendrait à Laffitte sa fortune disparue ; il avait le projet de le découper en lots et de le vendre à de riches acheteurs, qui y établiraient leurs maisons de campagne selon un cahier des charges établi par le banquier lui-même.

Un juste retour des choses
Un juste retour des choses

Le notaire termina sa lecture en annonçant le prix. Celui-ci importait peu. Laffitte n’avait pas vraiment vendu le château à son frère, quatre ans plus tôt ; il n’avait pas vraiment l’intention de le racheter. Habilement, Jacques et Jean-Baptiste avaient établi un montage complexe que les ennemis de Laffitte (il fallait comprendre : ses créanciers) n’avaient su empêcher. La situation du banquier ayant été rétablie, il retrouvait la propriété de ses biens, sans en avoir jamais perdu l’usage. Le notaire connaissait tout cela et il ne le désapprouvait pas. Ce qui le chagrinait davantage, c’était la personnalité de Laffitte.

Un juste retour des choses
Un juste retour des choses

On signa avant de parler. Les deux frères se serrèrent la main sans un mot, car tout cela avait été convenu entre eux quatre ans plus tôt lorsque Jacques, esseulé et presque ruiné, avait appelé son frère à l’aide et que, malgré les tourments qu’il subissait, il avait tout de même imaginé un stratagème qui lui sauvegarderait sa prestigieuse propriété. Le notaire, lui, ne se retint plus guère. Ôtant ses lunettes, il planta ses yeux dans ceux de l’ancien président du conseil. Il lui parla avec véhémence de ses choix politiques anciens, des trahisons multiples dont il s’était rendu coupable et du triste état de la France qui, selon le notaire, ressemblait à celui des finances du banquier.

Un juste retour des choses
Un juste retour des choses

Laffitte se rhabilla lentement et, au moment de sortir, se retourna pour répondre. Il réaffirma (car il avait déjà eu l’occasion de s’exprimer à ce sujet) ses regrets quant à ses anciens choix politiques, puis il dit qu’il n’avait trahi personne, sauf ceux qui avaient pensé de lui qu’il était leur créature. Quant à ses finances, Laffitte déclara dans un sourire qu’il refusait qu’on le plaignît. Une fois morcelé, le parc de Maisons me rétablira tout à fait, continua-t-il. Et j’ai encore quelques tableaux de maître qui valent une petite fortune. Ceux-là, soyez-en assuré, maître, je ne les découperai pas : ils sont ma garantie contre une future infortune. Là-dessus, il partit, pressé de rentrer enfin chez lui.

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2 décembre 2018 7 02 /12 /décembre /2018 19:00

Jamais la route de Paris ne lui avait semblé si cahoteuse. La voiture qui l’y conduisait, de laquelle il était déjà le prisonnier, semblait se faire une obligation que de buter sur chaque obstacle, petit ou grand, que la route recelait. Paul Poisson avait encore belle allure, le port altier et le vêtement doré, et d’ailleurs il ne soupçonnait pas que son arrestation ne soit pas, de façon sûre, une erreur. Car il avait servi le roi, et donc l’État, bien que, évidemment et avec fort peu de discrétion, il avait aussi servi sa propre personne.

 

La veille encore, c’est au château de Champs qu’il avait dîné. Un dîner fort humble, au demeurant, où il avait invité une vingtaine de convives autour d’une table où les ors et la finesse de la vaisselle suscitaient l’admiration au moins autant que la délicatesse des mets et la profusion des vins. On avait mangé jusque fort tard, épuisant jusqu’au dernier domestique, vidant jusqu’à la dernière bouteille.

Poisson en prison
Poisson en prison

La voiture approchait de Paris. En ce matin déjà doré d’un été prometteur, la voiture progressait de plus en plus difficilement. Les paysans de la plaine Saint-Denis accouraient vers la capitale avec leurs chargements de légumes et de fruits, chacun attentif à ce que rien ne soit dérobé ou que rien ne tombe de la charrette modestement chargée. A la vue de ces victuailles en devenir, Paul Poisson ne saliva pas. Il avait trop mangé la veille. Et les événements de la matinée lui coupaient l’appétit.

Poisson en prison
Poisson en prison

La voiture entrait péniblement dans la capitale du royaume. Paul Poisson songeait aux amitiés qui lui seraient utiles. A plusieurs reprises, Monsieur avait dîné dans cette charmante maison de campagne qu’était Champs. Le frère du roi avait goûté les broderies exquises, les soies et les boiseries raffinées qui peuplaient encore le château. Les meilleurs artisans s’étaient déplacés pour satisfaire le goût de Poisson. Généreux, ce dernier l’avait été pour les moindres pièces de la demeure.

Poisson en prison
Poisson en prison

On entrevoyait maintenant la Bastille. Fièrement campée sur ses grosses tours rondes, la prison faisait l’effet d’un terrible retour en arrière, au temps des rois les plus barbares, au temps des penchants les plus mesquins. Le cœur de Paul Poisson palpitait pour de bon, car il savait qu’il n’aurait probablement guère l’occasion de s’expliquer sur toutes ses manœuvres financières. Il s’indignait véritablement : les charges qu’il avait payées l’avaient presque ruiné, et cela au bénéfice du roi. Maintenant qu’il s’était refait, certes avec succès et promptitude, mais pas sans honneur, on tâchait de le tondre à nouveau.

Poisson en prison
Poisson en prison

Paul Poisson comprenait bien, cependant, que son cri resterait – il le devait ! – intérieur. Les portes de la Bastille s’ouvrirent et le vacarme de Paris se tut soudain. Il se rappelait les soirées où le beau monde accourait. Dans la grande salle, tout le monde se taisait soudain lorsqu’il faisait son entrée. Sans l’imposer (cela aurait été trop vulgaire), il aimait ce cérémonial. Il l’avait observé dans sa jeunesse lorsque, laquais pour un traitant, ce dernier faisait irruption dans un foyer qui était en dette. Paul Poisson se refusait à croire que cela lui était désormais interdit.

Poisson en prison
Poisson en prison

Un garde-chiourme l'attendait devant une table de bois usée. L’atmosphère sombre et humide ainsi que l’air mauvais de l'homme inquiéta Paul. Mais il se ravisa : la promesse d’un cadeau attendrissait le cœur de tous les hommes. Soit qu’il le niait soit qu’il ne s’en souvenait plus, Paul Poisson omettait de penser que, de biens, il était dépourvu. Les hôtels parisiens, les maisons, les charges et, surtout, Champs-sur-Marne, tout cela ne lui appartenait plus. Laquais il était, prisonnier il était devenu.

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11 juin 2018 1 11 /06 /juin /2018 18:00

Valentin émergea lentement d’un lourd sommeil. La porte de sa cellule allait s’ouvrir ; le grondement métallique de la serrure qu’on travaillait l’avait prévenu. Péniblement, il se redressa, passa machinalement une main dans ses cheveux et frotta de sa paume sa nuque endolorie. Trois soldats entrèrent. Le dernier d’entre eux brailla un ordre. Il fallait que Valentin se lève. Résigné, ce dernier se leva. L’un des soldats s’approcha de lui. Il ricanait sournoisement.

Le soldat leva la main puis l’abattit avec force sur Valentin. Celui qui avait ordonné qu’il se lève réitéra son ordre, alors Valentin lui obéit à nouveau. Le troisième soldat, qui n’avait encore rien fait, le poussa sur sa paillasse, qui était humide et sale, et lui intima de respecter l’ordre de son supérieur. Valentin connaissait la douleur de ces traitements. Il en avait subi de plus terribles, dans les jours qui avaient suivi son arrestation. Son corps, dès lors, n’était plus devenu qu’une immense plaie.

Sauveur des imbéciles
Sauveur des imbéciles

A nouveau debout, Valentin vit s’approcher près de lui celui qui semblait être le plus haut gradé. En français, ce dernier lui demanda si c’était bien lui, Valentin, qui devait sauver la France. Toujours en français, il faisait semblant de rendre hommage à Valentin qui était le sauveur, celui qui allait libérer son pays, celui qui rendrait sa liberté à son peuple. Puis il se tourna vers ses deux acolytes, leur traduit en allemand ce qu’il avait dit à l’instant, et tous trois éclatèrent de rire. Prenant prétexte de l’honorer, ils molestaient encore plus Valentin, le pinçant, le griffant, le giflant, le frappant de la paume et du poing, de l’ongle et puis des doigts.

Sauveur des imbéciles
Sauveur des imbéciles

Tout à coup, le chef exigea le silence. Une dernière fois, il intima l’ordre à Valentin de se lever, et, ajouta-t-il, de les suivre. Valentin était humilié, mais non point vaincu. Sa bouche cherchait un nouveau souffle quand son regard ne cillait pas. Il regardait l’horizon, signifié par cette simple porte ouverte sur l’extérieur, comprenant donc que sa dernière heure était venue. Il suivit ses bourreaux, en silence, boitillant cependant du fait des tortures qu’il avait endurées. Il allait vers la mort, à trente-trois ans seulement.

Sauveur des imbéciles
Sauveur des imbéciles

Pour la dernière fois, il voyait le jour se lever. L’aurore était belle et il faisait déjà chaud. Valentin traversait la cour du fort du mont Valérien, sa vieille veste élimée sur le dos, se souvenant de son dernier repas qu’il avait pris, la veille. Affaibli par les mauvais traitements, Valentin chuta une première fois. Il s’écorcha les genoux. On vint aussitôt le relever, de façon brutale, et en le poussant dans le dos pour qu’il marche à nouveau. Autour de lui, Valentin ne vit aucun visage éploré, aucun regard empathique : la guerre avait raflé la moindre parcelle d’humanité.

Sauveur des imbéciles
Sauveur des imbéciles

Valentin chuta une deuxième, puis une troisième fois. Epuisé, il traînait maintenant des pieds, moins par mauvaise grâce que par la lassitude profonde qui avait conquis son corps. En sa mémoire lui revint le moment de son arrestation, après la tentative de sabotage, et aussi tous les combats, officiels ou secrets, qu’il avait menés durant ces deux dernières années. Il revit les visages aimés, ceux des proches, ceux des compagnons. Il regarda autour de lui : des visages durs, des regards sans compassion.

Sauveur des imbéciles
Sauveur des imbéciles

Comme un signe de victoire, il écarta les bras. Valentin avait maintenant face à lui le peloton d’exécution. Du bout des doigts, il sentait un vent léger se faufiler dans ce lieu si bien gardé tandis que, fermant les yeux, ses paupières ressentaient la chaleur du soleil qui commençait à exprimer toute sa puissance. Epigones immobiles, ses bourreaux se tenaient face à lui. Ils l’avaient mis en joue. C’est pour eux que je meurs, pensa-t-il, pour leur humanité. Il le leur dit. Il le leur cria. Une salve retentit : son corps chuta. Définitivement. Ses mots, eux, planèrent encore dans l’air de ce matin de juillet.

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6 janvier 2018 6 06 /01 /janvier /2018 19:00

Il ne pouvait pas voir le visage de l'homme devant lui. Ce dernier baissait la tête. Ainsi, tout ce que le premier voyait était la chevelure blonde et clairsemée ainsi que les épaules que recouvrait un fin linge de lin blanc. Il sentait toutefois le contact des mains de l'homme qui lui lavait les pieds, geste d'humilité exceptionnelle, d'autant plus que l'homme agenouillé était le roi. Un roi qui avait tenu des calices et des épées, un roi dont les mains se faisaient délicates quand elles ne devaient pas être sévères.

Le roi termina et passa au voisin. Dans le silence monastique, les douleurs revinrent alors en mémoire et au corps de l'homme. Celui-ci tint bon puis, d'épuisement, il s'écroula. Les frères se rassemblèrent autour de lui et, sans échanger une parole, le portèrent en sa cellule. A son réveil, deux frères le gardaient encore. Il se leva avec prestance, apeuré par le Rappel qui le priverait peut-être de l’œuvre de sa vie.

Vita scriptoris
Vita scriptoris

Les Anciens appelaient cela une encyclopédie. Lui préférait le terme de miroir car en s'y mirant par la lecture, un homme y trouverait les causes profondes de son caractère et la vérité sourde du monde. Un tel assemblage de livres représentait la somme du savoir qu'en l'an de grâce mil deux cent soixante, les hommes, dans leur maigre orgueil, possédaient.

Vita scriptoris
Vita scriptoris

Évidemment, le frère Vincent avait déjà écrit d'autres livres que des scribes, en d'autres abbayes mais aussi en la sienne, c'est-à-dire à Royaumont, recopiaient avec précaution. Mais ce grand miroir qu'il façonnait à force de patience était son legs ultime au monde, tentative certes puérile de prétendre tout dire et tout connaître, que le Très Haut comprendrait néanmoins comme un immense cadeau.

Vita scriptoris
Vita scriptoris

Assurant ses deux protecteurs qu'il se portait mieux, il se dirigea vers son pupitre où, reprenant la plume, il retourna à son labeur. Toute l'après-midi, et encore tout le jour suivant, il ne quitta son ouvrage. Lorsque enfin, à bout de forces, l'esprit vide et ahuri à cause de la concentration que cela demandait, il consentit à sortir, ses yeux furent éblouis par une telle lumière qu'il en tomba d'inanition. A nouveau on le porta sur sa couche. Et, à le voir comme tel, immobile et les yeux clos, on pouvait le croire mort.

Vita scriptoris
Vita scriptoris

Un futur saint le réveilla. Par son regard, la douceur de son visage, la prévenance de ses gestes, le  roi signifiait à son aîné (par l'âge et, pensait Louis, en savoir) son inquiétude et son admiration. Le frère Vincent était usé, il marmonnait souvent d'incompréhensibles sermons où il semblait mesurer l'infinie tâche qui l'attendait encore. Dans le cloître, il parlait peu, songeant aux mille problèmes que la vie pose et qu'il désirait faire entrer dans son miroir de prose.

Vita scriptoris
Vita scriptoris

Il réservait sa haute voix pour la lecture des textes lors des offices. Souvent les moines le voyaient s'arrêter et réfléchir, ayant trouvé dans ce qu'il venait de prononcer quelque matière à ajouter à la somme qu'il constituait. Un matin, après leur avoir lavé les pieds à tous, le roi partit. Vincent, qui avait de l'affection pour cet homme qui, malgré les combats qu'il devait mener, n'était rempli que de dévotion, ne prit pourtant pas la peine de le saluer. C'est que, l’œil rougi et la main endolorie, il n'avait pas entendu le roi se préparer.

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22 juillet 2017 6 22 /07 /juillet /2017 18:00

C’est dans un bourg de l’autre côté du fleuve qu’on surprit le traître. Tandis qu’entouré de sa cour, il se pavanait, nos troupes entrèrent et s’en saisirent. Il ne se débattit pas, lâche et odieux, laissant pour ses misérables compagnons un simple : adieu. Alors que le prince du lieu bénissait notre action, nous repassions en France afin de le juger correctement. Sur la route il fit des difficultés : il savait que sa conduite ne résisterait pas à la vérité.

On le présenta à ses juges, hommes nobles et magnanimes. Tous provenaient de la noblesse la plus pure, celle des armes, qui sur les champs d’Europe avait fait montre de sa droiture. Et lui, malgré son nom, il tremblait de tous ses membres tel un pauvre petit garçon. On lui présenta les griefs, à savoir sa trahison et son complot contre l’empire. Il bredouilla quelques explications dans le but de nous séduire. Mais, inflexibles, nous prononçâmes sa condamnation.

Saint traître
Saint traître

Alors qu’on le menait devant le peloton, il se tourna plusieurs fois pour négocier sa libération. Cependant la justice nous animait, et la fidélité, principes essentiels que lui-même avait reniés. Nos visages fermés le convainquirent de notre décision. Sûr de son rang, et se croyant le roi, il voulut encore rencontrer l’empereur, puis commander le feu. Excédé par sa suffisance, notre lieutenant refusa ses exigences et fit taire l’orgueilleux.

Saint traître
Saint traître

Les rumeurs lui étaient déjà parvenues lorsqu’ils forcèrent la porte de son hôtel. Face à eux il se dressa, capturé mais point vaincu. Toisant ceux qui le saisissaient, il demeura stoïque quand on lui lut les actes qui l’accusaient. On parlait de trahison : il évoqua davantage l’amour et la raison. Mécontents de son assurance, ses ravisseurs le poussèrent dans une voiture, cahotante et ouverte à tous les vents, dans laquelle il traversa le pays pour y subir un certain tourment.

Saint traître
Saint traître

On ne laissa pas le duc se remettre de son voyage. Un prétendu tribunal avait été constitué qui d’Enghien voulait faire sa proie. Ce dernier, transi de froid, eut à peine les forces pour se justifier. Il faut dire qu’il se trouvait face à d’indignes assaillants. C’était à qui aurait le lignage le plus obscur. Se disaient juges des fils de marchands et de fripiers, ce qui était en soi pour le duc une vive blessure. Face à ses arguments, ils restèrent sourds et c’est une condamnation qu’ils prononcèrent, telles des bêtes voulant plaire à leur maître.

Saint traître
Saint traître

Alors qu’on le menait devant le peloton, il voulut, question d’honneur, interroger ledit empereur. Le nabot Léon n’était pas à Vincennes, mais en galante compagnie à applaudir quelque comédien sur scène. Alors, sachant son sort scellé, le duc en appela à l’humanité de ses bourreaux et voulut choisir le moment de son trépas. Cela aussi, on le lui refusa, alors il releva la tête et cria aux soldats de viser le cœur. Ils ne le ratèrent pas.

Saint traître
Saint traître

Dans la boue, sous la pluie de mars était étendu son corps. Il fumait encore des balles qui l’avaient pénétré. Duc l’instant d’avant, il n’était plus qu’un homme inerte, froid, mort. Sans souffle ni mouvement, il n’était plus un danger. Les soldats, muets un moment, s’avancèrent pour le relever et le porter en sa tombe. C’était un simple trou, comme on en creuse pour un chien aimé, et comme tel on l’y déposa.

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