C’est un colosse de pierre qui s’étire infiniment. Dans les écrits les plus divers, les superlatifs ne manquent pas pour le qualifier. A celui qui ne l’a pas vu, il serait difficile d’imaginer la puissance du lieu. Puissance du lieu qui amène celle d’une époque, d’un pays et d’un roi aux désirs de grandeur. Un relais de chasse transformé en la plus belle résidence royale d’Europe.
Château ou palais, la différence est ténue et la simplicité avec laquelle on la dépasse ne traduit finalement que le prestige absolu ainsi que tous les symboles liés à l’édifice. Dans ce xviième siècle finissant, quelques-uns des plus grands esprits allièrent leurs talents à la gloire d’un monarque d’exception.
Versailles ; le nom lui-même semble prédestiné à désigner quelque noble entreprise. L’Histoire n’aura pas failli à sa tâche. Le paradigme du classicisme français est une ode à la méthode artistique et à la rigueur esthétique. Face au château, l’individu s’efface. Il est aspiré par les points de fuite qui désignent l’entrée, laissant de côté la chapelle royale attenante au palais sévère.
Les intérieurs sont un capharnaüm magique où se mêlent richesses et fantaisies fantasmagoriques. L’or et le stuc se séduisent, dérangés heureusement par les marbres et les essences rares. Les tissus fins se joignent aussi à la partie : l’enivrement féerique est à son comble. L’art au service du prince, le prince au service de la postérité. Le Brun et ses disciples sont les flamines d’un culte encore très largement célébré.
Côté jardin, l’impression de gigantisme n’est que plus marquée. Le rythme des fenêtres et des pilastres paraît imperturbable. Les pierres se parent d’une tunique à peine dorée pour illuminer un peu plus en contrebas les parterres fleuris. Au milieu des plans d’eau dans lesquels le royal reflet se mire, des sentinelles de bronze, tantôt ébahies, tantôt en majesté, peuplent la première terrasse.
Au loin, le grand bassin trompe les aventuriers d’un jour qui ne pensent pas à la magnifique illusion qui s’étend sous leurs yeux. Avant d’y parvenir, des fontaines et des buis, des vases et des arbustes forment une allée princière d’où s’échappent des chemins impétueux. D’autres palais et d’autres merveilles pourraient nous y attendre.
Dix lettres pour un symbole de l’art français. Le pari, osé, a tenu ses promesses. Le Brun, Le Nôtre et Le Vau ont bien travaillé : ils ont construit la religion royale. Indépendamment de ce qui s’y passa de décisions politiques et de jeux de pouvoirs, de jalousies et de réceptions somptueuses, Versailles étonne toujours car il est un espace d’art total bâti pour la légende d’un seul et pour la fierté de tous.