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10 février 2017 5 10 /02 /février /2017 19:00

Trois coups venaient d’être frappés à la porte et personne ne s’était encore levé pour aller ouvrir le réfectoire au visiteur inconnu. En vérité, personne n’avait même osé lever les yeux pour regarder en direction de ladite porte, car chacun savait que le seigneur abbé s’irritait fort qu’on dérangeât le repas. Ainsi on entendait encore les bruits des bouches qui mastiquaient et ceux des écuelles qu’on déposait sur le bois de la table.

De nouveau, des coups se firent entendre. L’abbé, brisant la règle d’or, celle du silence qui était le seul présent que l’on pouvait offrir à la Providence pour les pauvres aliments, se leva d’un seul coup, le visage rouge. Il étouffait de rage et demanda, ou plutôt hurla à l’assemblée, qu’un des frères délaisse son si précieux repas pour qu’enfin on puisse connaître la cause du tracas. Plusieurs frères se levèrent alors, causant un brouhaha infini, finissant d’agacer le sire abbé.

Grâce aux hommes
Grâce aux hommes

A la porte cependant patientait le peintre. Il avait terminé son œuvre, disait-il, et souhaitait désormais partager le pain et le vin. A sa vue, l'abbé s'adoucit car il connaissait le caractère de son hôte qui savait le surpasser en colère. Ainsi le peintre ne devrait-il se sentir ni en inquiétude ni en faute. Du pain blanc, quelques légumes bien cuits et une coupe d'un vin clairet lui furent apportés et la cérémonie recommença, chacun observant son assiette avec minutie comme pour y lire les événements de l'avenir.

Grâce aux hommes
Grâce aux hommes

Quand la collation fut prise, la communauté se dirigea vers l'abbatiale. A la tête de la quiète expédition figurait l'abbé et le peintre, taiseux comme jamais. Le premier redoutait un résultat qui pût le décevoir ; le second, qui ne craignait que l’ire de son maître, désirait toutefois que les heures passées au plus près du ciel rencontrent les grâces de son commanditaire. A deux ils ouvrirent les lourdes portes, et précipitamment entrèrent.

Grâce aux hommes
Grâce aux hommes

Le mutisme n'empêcha pas l'admiration. Le sire abbé pénétrait lentement dans son abbatiale, qu'il connaissait pourtant bien, mais il est probable qu'il avançait prudemment pour ne pas trébucher sur une mauvaise dalle. A sa suite, la congrégation levait les yeux au ciel, vers la voûte maintenant peinte, d'où les anges et les prophètes les fixaient aussi, jaugeant ceux qui les priaient d'ordinaire, curieux d'observer leurs zélés laudateurs.

Grâce aux hommes
Grâce aux hommes

Seul le peintre gardait les yeux baissés, en signe évident d'humilité. Nul doute, pourtant, qu'en son cœur battait une indicible fierté, bien que l'orgueil figurât parmi les plus odieux péchés. Dans le silence froid de Sant-Savin, sous la voûte deux fois consacrée, par la bénédiction originelle et par la figuration des exemples essentiels, résonnait une litanie de noms. C’était les moines reconnaissant leurs saints patrons.

Grâce aux hommes
Grâce aux hommes

Ils restèrent là des heures, à s’en tordre le cou et à s’en faire pleurer les yeux. Les vêpres sonnèrent, mais nul n’y prêta attention. Un murmure de plus en plus épais emplissait la longue nef, et bien que les mots sacrés ne fussent jamais prononcés, c’était une dévotion vraie et enfiévrée qui jaillissait de ces poitrines d’habitude muettes. Le sire abbé était introuvable ; on percevait seulement sa voix, émue et tremblotante quand elle était autrefois forte et tonnante. Cependant les frères ne le cherchaient plus. Ils goûtaient à l’exaltation dans la paix.

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6 août 2016 6 06 /08 /août /2016 18:00

 

Il avait vu les lagons bleus et infinis du Pacifique et les plaines immenses et herbues de Sibérie. Il avait croisé au large de l’embouchure de l’Orénoque, et avait admiré les danses des derviches dans la Sublime Porte. Il rêvait aussi de l’aride Puntland, et des Alpes enneigées, et de la Sérénissime République qui séduit tant l’Adriatique. Aujourd’hui, c’est sur les bords de la Charente qu’il se reposait.

Disparue, l’île de Malte natale ; oubliés les Highlands mystérieux ; doux souvenirs que les dômes bleutés de Samarcande. Nul n’aurait pu dire que c’était un vieil homme. Simplement, il avait le visage comme un vieux parchemin et c’est sur ses traits que se lisaient les voyages et les aventures qu’il avait connus dans sa jeunesse. Il avait vu tant de soleils et tant de mers qu’il avait fini par les aimer tous. Mais la Charente, elle, l’apaisait.

Dernier port pour le gentilhomme
Dernier port pour le gentilhomme

 

Ses beaux cheveux noirs d’antan, dans lesquels les femmes prenaient tant de plaisir à glisser les doigts, étaient devenus blancs, comme les voiles de ses anciens gréements. Sa casquette était usée, rongée de sels et de vents, et elle avait l’odeur des luttes passées et des grands espaces libres qu’il avait sillonnés. Il ne fumait qu’à peine la cigarette qu’il avait aux lèvres, et ne la gardait que pour le goût du tabac qu’autrefois, il adorait presque autant que les femmes.

Dernier port pour le gentilhomme
Dernier port pour le gentilhomme

 

Là à Angoulême, ses jambes ne le portaient presque plus. Il se souvenait qu’en son jeune temps il bondissait sur les toits des maisons, souvent pour s’échapper de quelque piège, et ses poings l’avaient tant et bien servi que leur peau était devenue cassante, comme une vieille carte que personne ne consulte et qui reste, près de la boussole et du compas, les instruments de tout véritable marin.

Dernier port pour le gentilhomme
Dernier port pour le gentilhomme

 

En ville, on le connaissait de renom. Ses exploits avaient été ébruités, non par lui-même, car il demeurait profondément humble, mais par les médisants et les admirateurs qu’il ne manquait pas de rencontrer. Une fois, l’un d’eux avait désiré dessiner ses récits, et alors il en avait tout dit. C’était un Italien, il s’en rappelait maintenant, car les contes de Venise l’avaient émerveillé plus que tous les autres.

Dernier port pour le gentilhomme
Dernier port pour le gentilhomme

 

Que restait-il de ces époques révolues ? Aucun portrait de femme aimée, aucun article de presse, même vieux et jauni, encore moins d’objets rares ou de reliques précieuses : il avait tout perdu au gré de ses errances, car il n’avait aucune maison où déposer les preuves de sa vie. Aujourd’hui encore, dans cette ville qu’il prenait plaisir à découvrir en marchant, il allait de chambre en chambre, comme jadis de port en port.

Dernier port pour le gentilhomme
Dernier port pour le gentilhomme

 

Ce qui l’attristait davantage, c’était d’avoir oublié les formules magiques que partout, dans le monde, il avait entendu et dont il avait si souvent éprouvé les bienfaits et la force. Désormais, il attendait la Grande Inconnue, avec la certitude de l’avoir bien des fois toisée, et crainte, et à laquelle il avait offert tant de mauvaises âmes qu’il pensait bien qu’elle le prendrait, lui, avec tendresse. Mais, pour cela aussi, c’était un rêveur.

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19 janvier 2016 2 19 /01 /janvier /2016 19:30

 

Sur les bords de la Charente, un homme erre. Il marche vite, court presque, et lève sans cesse la tête vers le ciel. De ce fait, il trébuche, manque plusieurs fois de tomber aussitôt. Ceux qui le croisent s’en écartent et, sitôt qu’il est passé, se retournent et en rient. Lui semble ne soucier de rien d’autre que de son obscure pensée. Peut-être même parle-t-il seul, car on le voit agiter les bras et s’en prendre à un invisible compagnon. On le moque ou on le plaint. C’est le sieur Palissy, qui lutte contre sa propre damnation.

Revenu à la raison, comme s’il avait été délivré d’un enchantement, il longe les bords de la rivière et prend le temps, comme un poète, d’en admirer les ondes et ses millions de scintillement. Son voyage sans but n’est pas terminé, mais au moins l’entreprend-il car il l’a décidé. De nouveau on le croise, sans plus s’en inquiéter. Voulant un moment traverser le pont, il oblique et se rend à la colline. Le chemin, espère-t-il, lui offrira quelque révélation.

A la folie
A la folie

 

Il ne vit que pour la terre, les couleurs et le verre. Sa jeunesse fut passée aux côtés de son père dont il apprit le métier. Puis il quitta son pays et s’installa à quelques lieues de la mer. En créant le feu, qui nait aussi de l’air, il dominait les quatre éléments. Son souvenir de la terre blanche ne résisterait pas alors à cette réunion et à son talent. Et pourtant il résistait.

A la folie
A la folie

 

Ses forces et sa fortune diminuaient. Aux lamentations de son épouse il fallait ajouter les siennes propres, dans son esprit enterrées, bien plus cruels reproches que ceux qu’elle, douce et bonne, lui faisait. Devant le four à la chaleur intense, il demeurait, la figure exsangue, redoutant que le résultat ne déçût sa patience. Dans un carnet, il grattait, à la plume, les mélanges qu’il élaborait puis, souvent, d’un trait rageur, barrait la formule dont, quelques instants plus tôt, il souhaitait une récompense.

A la folie
A la folie

 

Un soir, le voilà qui échoue encore. Son corps tremble. Il saisit l’œuvre mort-née. Il la brise. Ses doigts sont brûlés. Il tourne la tête, pareil à un dément. Ses yeux sont extirpés, il halète. Brusquement il se lève. Il cherche du bois. Une idée lui a traversé l’esprit. Il cherche du bois, sec et bon, et qui flamboiera. A mains nues. Il arrache son plancher. A mains nues, il enfourne ces planches. D’un œil, il fixe les flammes. De l’autre, il surveille sa préparation. La condamne aux enfers. Triomphe.

A la folie
A la folie

 

Mais la gloire est courte car l’assiette, pure et blanche, se brise. Palissy entrevoit une folie plus grande encore : au rêve flou et chimérique a succédé la certitude d’avoir réussi et les regrets de n’avoir su conserver cet autre que majolique. Le plancher de sa maison a un trou, son épouse le poursuit de mauvais noms et quelques fois de coups ; mais Palissy est déjà dans un autre monde, perdu entre la mémoire et l’espoir.

A la folie
A la folie

 

Ses mains créent pourtant encore. Il survit par les commandes de céramique qu’il exécute avec précision mais sans passion. Le souvenir de la terre blanche le hante, et plus encore celui du moment où, de l’âtre infernal, était apparue cette divine vision. Les soirs où il n’en peut plus, harassé et déchiré, il s’échappe dans la ville, et prie ce dieu qui ne le voit plus. En cette ville, Saintes, il se persuade qu’il parviendra à l’absolu.

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29 juin 2015 1 29 /06 /juin /2015 18:00

Ses yeux s’ouvrent sur une chambre plongée dans le noir. Un instant de calme. Brusquement il se lève. Court vers les volets qu’il balance plus qu’il ne les ouvre. Est aveuglé par le soleil. Titube jusqu’à ses affaires. Soudain une douleur. Dans la tête. Violente. Intolérable. Impitoyable. Mais il n’a pas le temps pour guérir. Il enfile bas et souliers, enfile une veste qu’il ajuste en dévalant les escaliers. En bas l’aubergiste lui réclame son dû.

Dans les rues qu’il parcourt, on le prend probablement pour fou. C’est qu’il halète, et que ses souliers claquent sur les pavés. Il est pourtant fort bien mis, car son éducation lui a interdit de se présenter négligé. Mais son chef est de travers, sa veste est mal boutonnée. Cela lui importe peu en ce moment. Il s’occupe plutôt de ne pas tomber, car les encombrants ne manquent pas. Enfin le voilà. Le navire aux fûts.

Fûts à flots
Fûts à flots

Il a encore la poitrine en feu. Son souffle est court, sa bouche est sèche. Mais il est soulagé. De l’extérieur, rien ne saurait le trahir. Il tient à garder la bouche fermée, et se permet simplement de rester quelques instants accoudé au pont. Il regarde défiler la Charente, ses eaux d’un vert pâle et ses berges où un pêcheur, de temps à autre, les salue. Bientôt l’Atlantique, et puis Londres. La mission est réussie.

Fûts à flots
Fûts à flots

Employé dans une grande maison, il avait été chargé d’une affaire spéciale. Une commande gigantesque, nécessitant au moins deux navires. Si le porto recueillait de son peuple les suffrages, le cognac ne continuait pas moins de recevoir de nombreux hommages. Et dans la ville éponyme, tout s’est si bien accordé qu’à la fin, il avait envisagé de se laisser quelque peu aller.

Fûts à flots
Fûts à flots

C’était la veille. Le départ prévu pour ce matin, les cales remplies de ce nectar titrant si fort et une dernière soirée qui lui appartenait ainsi qu’aux marins. S’étant éclipsé d’un dîner, il avait voulu voir Cognac de plus près cependant qu’en de nobles tonneaux on le transportait. Depuis l’hôtel particulier il avait longé les quais puis était passé sous les tours. C’est là que quelques marins l’avaient pris pour frère, pressentant que le marchand voulait s’encanailler auprès des femmes et du bon vin.

Fûts à flots
Fûts à flots

Dès lors sa bourse s’était déliée. N’oubliant point ses principes, il se montra généreux, ne refusant aucune invite. Il n’osait non plus se soustraire à celles qui lui étaient proposées. En bref il se comporta en gentilhomme, cependant que sa langue, parfois, le trahissait. Et ainsi passa la nuit, et même dans des établissements de peu de foi dont, par la patronne, il fut promptement chassé.

Fûts à flots

Il rentra, on l’imagine, en son hôtel en fort mauvais état. Sa tête, pareille à un alambic, chauffait si fort qu’il la crut traversée par d’odieuses piques. Son regret, car il en avait un, fut de n’avoir conservé que peu de souvenirs de la ville. Son oncle l’avait dite si belle : il ne se rappelait que les portes dissimulées et les auberges enfiévrées. Mais son succès en commerce était acquis, et il était certain de pouvoir revenir afin de se livrer à des détours plus intellectuels.

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4 janvier 2015 7 04 /01 /janvier /2015 19:00

Cher tous. Nous voilà arrivés dans notre petit paradis. Le voyage, bien que long, s’est fort bien passé même s’il s’en est fallu de peu qu’il ne soit interrompu par une panne mécanique. Heureusement l’auto a tenu bon, et d’ailleurs, nous n’aurions su que faire avec tous ces bagages que nous avons pris. A peine devant la maison, nous les avons débarqués ; rien ne saurait maintenant nous inquiéter jusqu’à la fin de l’été.

Comme à son habitude, papa a été malade sur le bateau. Les enfants et moi avons beaucoup ri, honte à nous, de son mal être pour un si court voyage. Pense que nous n’avons le temps que de respirer qu’un peu de cet air marin qui nous manque tant dans notre grisaille quotidienne, et aussitôt le quai apparaît. Tout de même, tu aurais du le voir, tantôt blanc comme un linge, tantôt titubant comme un jeune mousse.

 

Carte aux trésors
Carte aux trésors

Sitôt arrivé, notre malade, accompagné de Laurent et Thierry, est allé chercher les bicyclettes. Tu connais notre fameuse équipée : de nouveau les enfants ont pris un malin plaisir à faire la course jusqu’à la maison, prenant garde à ne renverser ni les bagages, ni mon précieux vanity. Quelle belle impression, en arrivant, de retrouver les odeurs et les objets que nous avions laissés là l’été dernier. Rien ne bouge, préservant, d’un été à l’autre, nos habitudes et notre tranquillité.

Carte aux trésors
Carte aux trésors

Les premiers jours, nous sommes restés à l’abri de nos volets que papa veut faire repeindre en bleu. Il tente de me convaincre que cela ira avec la mer, mais je tiens à son vert, ne lui laissant aucun argument. Il s’est alors consacré aux menus travaux et à la cuisine, quant à moi, dans le jardin, je taille et m’échine.

Carte aux trésors
Carte aux trésors

Le soleil ne manque pas d’accompagner nos siestes ni nos promenades, que nous avons commencées la semaine dernière. Nous avons d’abord visité les deux phares, qui font face au continent, puis avons longé la côte pour nous retrouver sur une plage, les pieds dans le sable et l’esprit content.

Carte aux trésors
Carte aux trésors

C’est une chose formidable que de découvrir chaque année cette île. Aix est magique, disent mes aînés, mais elle n’est pas docile. Les chemins tout tracés ne nous satisfont pas toujours ; alors, laissant contre un arbre nos vélos, nous passons les barrières pour nous perdre parfois tout le jour. C’est ainsi qu’hier, nous avons gagné la citadelle ; Thierry devant, Laurent à sa suite ont pénétré dans l’enceinte avant d’être sermonnés et poursuivis par quelque géant dont nous avons entendu les grognements.

Carte aux trésors
Carte aux trésors

Chaque jour est une aventure, et je plains ceux qui, le matin débarqués, doivent le soir songer au retour. L’île est à nous quand se couche le soleil, que sur chaque fleur il laisse un peu de couleurs, qui ne sont jamais vraiment pareilles. Dans le bourg, les maisons s’éclairent et c’est merveille que de voir les ombres nous laisser à la grâce de l’océan. Je vous quitte et vous embrasse bien fort. J’ai tant de choses à faire en ce décor si plaisant.

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4 juillet 2014 5 04 /07 /juillet /2014 18:00

Mi sol sol sol fa mi, si si la sol sol sol fa mi … A peine passé, l’hiver est vite oublié. Les notes surgissent, comme les bourgeons éclatent, et tout s’illumine. L’hirondelle passe, le soleil déchire le rideau grisâtre et froid, les notes montent, montent tout en haut de la gamme. Elles la dépassent, et leur tintement se perd entre les feuilles nouvelles et les pétales novices.

Le jardin renait. A ses pieds, mère nourricière, l’eau calme qui coule, offrant aux fines fleurs le reflet de leur beauté. Bien délimitée, l’onde dessine des arrondis gracieux, qui collent à la partition du Vénitien qui a choisi l’harmonie. Son morceau faiblit parfois, comme la saison nouvelle qui subit quelques gelées, et repart en des envolées autant musicales que florales.

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Mi ré mi ré mi si ré do la, do mi la si, mi sol si do … Dans l’écrin qui se découvre, un jeune homme est assis sur les bords du canal qui perce vers la forêt. Il vient d’écrire une lettre pour son aimée, sur un coin d’un guéridon, au château de la Roche-Courbon. La fiancée est allemande, et elle est loin. Mais les jeunes âmes savent s’affranchir des obstacles et des lieues.

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Dans sa missive, il a tout dit de son sentiment amoureux. Les mots, trop faibles toujours, s’inspiraient directement de la profusion d’autour. La plume, grattant toujours trop lentement, traçaient en noir des promesses aux vives couleurs. Et toujours en tête le doute que ces protestations ne suffisent pas à rassurer sur l’heure.

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Mi la do la mi, mi la do la mi, mi si do si mi, mi si do si mi … Alors le ciel semble se couvrir de nuages aussi lourds que les voiles de l’âme. Elle, là-bas, que le souvenir fait tellement désirable, se remémore-t-elle les douces journées passées auprès des roses et des parterres multicolores ? Se souvient-elle de la fontaine, des pyramides de buis et des lions du domaine ? A-t-elle oublié la pierre blanche, les empressements aimables, les déclarations franches, les canetons adorables ?

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Le cœur s’endurcit quand il se laisse aller à la détresse. Le regard cherche un allié dans la tristesse, outrepasse le rouge flamboyant qui pourtant annonce le printemps, et la passion, s’accroche aux tours grises et aux rudesses de la bâtisse. Ce n’est plus dans la chambre qu’il veut être maintenant, c’est dans la bibliothèque entouré des sages et des poètes de l’accablement.

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Ré ré mi fa ré, sol la sol la la sol la la si la sol … Soudain les notes, qui à nouveau tout éclairent. C’est le seigneur irlandais qui donne l’orchestre dans l’après-midi finissant. A nouveau il aime, car tout l’y pousse, depuis les escaliers d’eau jusqu’aux bois où brillent les premiers flambeaux. La lettre prendra le temps, mais elle lui parviendra, et en sortiront ces images et ces senteurs du printemps.

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25 janvier 2014 6 25 /01 /janvier /2014 19:00

Le fatras de l’immeuble détruit avait produit de l’art. Les vies piétinées mènent à la grande vie, celle de château, où l’on se presse sans se presser. Les gravas ont l’innocence des choses sans passé, bien que cela ne soit pas vrai. Et cette allée si pleine d’histoires, si vide d’importance, laisse bientôt la place à des parterres fleuris, herbeux et ombragés.

Le pavillon central est caché par deux ailes aux tours rondes et féminines. Son dur fronton, triangulaire, est à peine adouci par les multiples digressions de pierre rivées aux fenêtres et aux portes. Le château se décline même en trois couleurs, dont l’une rappelle le ciel et l’autre annonce les ors des intérieurs. La troisième est le pigment du sang et, partant, de la vie.

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Sous les arcades, d’étranges chevaux montent la garde. Pour leur échapper, on est happé par une porte de côté, débouchant sur un labyrinthe dont on ne voudrait plus sortir. Les murs et les parquets, les stucs et les cheminées paraissent annoncer la normalité. Mais le lieu surprend, parce qu’il prend à revers toutes les attentes. Seuls le baroque de quelques salles maintiennent l’illusion de la demeure princière ; le reste la déforme, et forme une étrange réalité.

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Une douce folie envahit le lieu. Une rumeur, dans un couloir : « Nous boirons à Oiron ». Les murmures gagnent en fréquence, s’éteignent brusquement lorsque l’on passe une porte. Aux murs, des services tatoués d’anonymes profils. Tel au long nez, tel au front dégagé, comme autant de fantômes attendant de paraître.

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Les couloirs s’allongent, distordant les distances aussi facilement que les esprits. Des cercles bleutés se mettent en forme, avant de s’égarer sur la blancheur des parois. Les détours apportent quelques certitudes : des peintures anciennes garantissent une ancienneté tangible. Très vite cependant, de nouveaux éléments de vertige ; photos d’enfants sur les murs mêlés aux toits à la française, brûlures quotidiennes du soleil sur de grands panneaux blancs. Oiron 843

Oiron 840

Les pièces continuent de proposer quelque défi intellectuel à ceux qui les investissent. L’esprit, en conflit avec le regard, s’abstient de tout jugement. La trahison n’est jamais loin ; les cadres vides de tableaux proposent des thèmes sans sujets. Mais dans une galerie, tout reprend forme : les plafonds peints reprennent les symboles connus, marques du bucolique et de l’ésotérique.

Oiron 846

Ce qui fut demeure de l’art le restera. En cela Oiron est à la hauteur de sa réputation. Plus encore, car les œuvres exposées induisent un caractère insaisissable. C’est, en fait, un parcours qui commence au parc et suit les détours hasardeux de volontés démentes ou géniales. Ce circuit, pour rassurer, a laissé les grandeurs du passé. Cela vit, et plutôt bien. Cela étourdit et fait le lien.

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2 août 2013 5 02 /08 /août /2013 18:00

Le soleil se couche et une main se lève. Dans l’horizon aux teintes chaudes se devine un salut amical, tandis que se ternit l’émeraude. Le frêle esquif, poussé par la force humaine, esquive habilement jusqu’à son ombre même. Il glisse sur l’eau, rentrant au port, quittant pour une nuit le marais qui déjà dort.

L’océan n’est pas loin. On voudrait sentir ses embruns salés, mais rien ne parvient dans ce marais poitevin. Le jour est revenu, et avec lui la vie qui fourmille. A chaque instant son bruit : branche qui craque, feuille qui tombe, vent qui caresse. A chaque moment son cri : les rongeurs qui grignotent, les carpes qui remontent, les oiseaux qui pépient.

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Univers clos, labyrinthe d’eau. Les canaux sont les rues d’une ville de nature, dont les rives fragiles sont les trottoirs et les arbres solides les immeubles. Par-dessus les têtes, les ramifications enferment le ciel. Cependant son absence impossible garantit la douceur d’un après-midi hors du temps.

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Quelques vaches, ici et là, qui sont les seules habitantes visibles. Prisonnières de leur enclos sans clôture, elles ont accepté leur sort pour autant que soit assurée leur quotidienne ration. Le regard vague, la mâchoire ruminante encore, elles voient les curieux passer tandis qu’elles paissent.

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Inlassablement, le pigouilleur remue la vase. Au fond, probablement, une tempête déclenchée régulièrement. Le rythme régulier de ce long bâton berce l’embarcation d’un balancement calme et nonchalant. Et quand il sort des abîmes où il était plongé, l’outil provoque un léger clapotis ; ce sont les gouttes solitaires qui retournent à leur immensité.

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Sur les îlets abandonnés, la berge ne masque pas les exubérances. Parfois même, elle les contient à peine ; des troncs courageux tentent d’établir des ponts vers ces autres mondes. Cependant c’est à l’approche des quelques villages qui émaillent le marais que des ponts, réels, indiquent la promiscuité des demeures humaines et la fin proche de cet unique écosystème.

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La barque accoste enfin sur le ponton. Retrouver la fermeté peut s’avérer périlleux car les flots, bien que paisibles, s’octroient souvent le spectacle d’une danse hasardeuse. Retrouver les maisons, c’est oublier cette verdure, cadeau si apaisant de la nature. C’est aussi garder le souvenir des mystères de la proximité, des invisibles tumultes et des terres séparées.

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11 février 2013 1 11 /02 /février /2013 21:47

C’est un appel lointain qui pousse à prendre la route. A l’écoute du cœur, la décision est prise : passer les monts et remonter le temps vers le bout du monde. Le chemin est long, les embuches ne manquent pas. Ainsi les refuges sont bons et l’envie ne disparaît pas.

Entre Saintonge et Angoumois, c’est un chemin noir qui file vers la lumière. Brûlant l’été, scintillant l’hiver, il libère le bouillon de l’âme et l’ardeur du corps. Etape après étape, guidés par quelque saint vers une saine catharsis, Saint-Jacques nous apparaît comme un cicérone improvisé.

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Une tour comme repère. Le vestige est nu : un symbole de pureté. Elancée, haute et de soleil inondée, l’ancienne abbaye de Charroux a plié sous le poids des années. Autour, un village a vu le jour ; sous les halles, calmes dans la torpeur dominicale, se sont arrêtés quelques oiseaux inconnus.

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La voie revient à la mer, comme le fil d’une Ariane atlantique. Un bourg simple, le silence qui accueille. La solitude, inévitable écueil ? Plutôt imprévisible chance, qui sourit soudain : rien ne s’oppose à l’incommensurable orgueil de traquer la beauté et de faire fi des années. Les morts ne protestent pas, le Fils ne bouge plus. Un chat se faufile et disparaît dans la rue.

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Avant d’entrer, le portail impose sa majesté. Détails en profusion, le paradis en procession. Aulnay, lieu oublié, a délaissé ses prétentions, se réserve désormais aux prières et aux génuflexions. Quand on s’y plonge, le roman s’assombrit malgré les vives éclaircies du dehors. Dans l’ombre des chapiteaux patientent les anges.

Eglises romanes 265

Autre ville, autre étape. Sur le bas-côté de l’éternel refuge, un cavalier toise le pèlerin infidèle. Le défi intimide, l’audacieux reflue vers le centre. Melle est riche de maisons et d’hôtels particuliers, dont les maîtres ont trépassé. Peut-être craignent-ils toujours la divine senestre.

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Saint-Jacques est loin, si loin. Une poignée de toises en terres poitevines, et la promesse d’un voyage infini qui se découvre. La foi en le beau, l’espoir en l’homme, l’illusion qui fait s’élever les pierres et les esprits. Sur la placette, un arbre bruisse.

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25 février 2012 6 25 /02 /février /2012 18:33

Le clapotis de l’eau contre le quai fait s’échapper les vapeurs iodées qui nous parviennent aux narines. Les flots sont calmes, ils sont doux comme l’est un vêtement qui nous enveloppe. C’est encore le matin et les murmures de la ville respectent le silence de la nuit qui n’est plus.

Dans le port piaffent les ailes blanches. Qu’est-ce qui les fait s’agiter ? L’avidité, la curiosité, l’insupportable inaction … En contrebas, elles voient les flotteurs blancs, dorlotés par le rythme lent des assauts marins. L’écume se presse contre ces boîtes de luxe qui restent vide, dans l’attente d’une promenade.

La Rochelle 179

Un battement et il file, l’oiseau, vers les portes de l’océan. Deux illusions qui subissent les outrages incessants des flots et du sel. Les pierres s’enfoncent dans un lointain qui nous échappe et s’élèvent vers un infini que l’on envie. Entre le ciel et la mer, entre l’imminence et l’inconnu. Un horizon qui file vers des mondes nouveaux.

La Rochelle 203La Rochelle 183

Elle se pose, la mouette, sur ce mur brisé par les vents. Elle y lance son regard oblique, dans ce qui fut travaux, château, cachot.  Elle y voit les traces des enfermés, les témoignages des forcenés, les arts des désespérés. Telle ville gravée, tel bateau oublié, telles lettres à demi effacées. La souffrance des uns, la loi des autres.

La Rochelle 191La Rochelle 229

De là haut, elle l’observe, sa ville, qui s’anime quand le soleil s’éveille. Sur les remparts, on découvre les êtres qui fourmillent et les commerces qui s’ouvrent. On sent la vie qui renaît et qui passe, sous les toits rouges déjà brûlants. La mer cajole les rivages, les hôtels particuliers cherchent l’ombre, la pierre se pare d’or, places et venelles communiquent par la lumière partagée.

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Un nouveau coup d’ailes. Les cloches sonnent depuis la forteresse fidèle. Un bloc de classicisme tout empreint de religiosité. Elle reprend ses divagations, à terre ou en l’air, vers les ruelles insoupçonnées. Aucun espoir d’y trouver quelque subsistance mais la recherche d’une tranquillité qu’elle n’a pas ailleurs. Sa halte, la dernière avant de revenir vers le large, est un édifice aux angles durs dont les parois sont ornées de mystérieux symboles. Puis le vent la rappelle.

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La vie est bruyante. Elle s’échappe des murs, émerge de l’océan, s’invite partout et ne déserte nulle part. Sur le port, elle s’exalte et magnifie son beau patrimoine et ses caractéristiques sacrées. C’est le cœur de La Rochelle qui bat ici, délivrant à la ville sa noblesse et sa joie.

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