Sur le canal, un bateau passe. L’embarcation semble fragile ; à vrai dire, elle n’apparaît guère sous les mains agitées qui nous saluent. Une voix de métal inintelligible guide la troupe heureuse, qui tourne la tête ci et là à chaque injonction brailleuse. Encore quelques regards hasardeux, et l’esquif se perd enfin sous nos pieds.
L’horizon éclairci, la sombre lagune reflète désormais les hautes tours d’un clocher d’albâtre. La flèche déchire le ciel et parait en fouiller les entrailles mystiques. Comme elle, d’autres pointes, d’autres angles rudes se lancent à la conquête de l’immense vide. Seule, au bord de l’eau et loin de ces luttes silencieuses, la paix végétale se baigne telle une nymphe insoucieuse.
L’odeur des gaufres réveille quelque appétit jusque là discret. Bruges se fait aussi gourmande, à l’ombre des géants d’émeraude et de rubis. Mais ces relents s’estompent à l’entrée de la place immense, et se perdent tout à fait au contact des mousses bulleuses qui, partout, la bordent. Au liquide d’or répondent les aspérités de gueule et de briques, toutes parées et joyeusement garnies.
Les pieds plantés sur le pavé, la tête tourne, ne sait plus où s’arrêter ni quoi contempler. Des masses menaçantes, des monts de pierre ciselée et des braves de bronze se dressent comme autant de frontières infranchissables. De nouveau des tours, symbole de puissance dans un plat pays, qui voient loin et imposent la paix.
Une ambiance de conte saisit l’air frais de cette contrée septentrionale. Le charmant et la princesse manquent certes au récit, mais tout, les couleurs, les formes, la présence muette des quatre éléments, tout dessine les contours d’une ville merveilleuse. Des pavillons d’or apparaissent, et des palais gothiques, et le poids des colonnades achèvent de compléter le tableau magique.
Mais le cadre ne nous arrête pas, et la peinture continue de se répandre sur toutes les façades de la cité. Même l’hospice, de cette teinte sombre indéfinissable, se plait à se grimer de touches écarlates pour mieux se mirer dans l’onde ici-bas. Seule la cathédrale garde un semblant de pudeur, elle qui rechigne aux fantaisies pour mieux se consacrer à Lui.
La toile de terre cuite trouve enfin ses limites dans les eaux qui la ceignent. Et toutes ces briques qui saignent y laissent tomber un peu d’elles-mêmes, qui se dilue dans des jeux de miroirs charmants. Dans les airs et dans l’eau se retrouvent alors le feu et la terre, parfois de façon claire, parfois de manière trouble. Oubliant le reste, l’on se penche sur l’onde, quitte à tomber dans le conte un peu plus profondément.