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2 juin 2014 1 02 /06 /juin /2014 20:00

Sur le canal, un bateau passe. L’embarcation semble fragile ; à vrai dire, elle n’apparaît guère sous les mains agitées qui nous saluent. Une voix de métal inintelligible guide la troupe heureuse, qui tourne la tête ci et là à chaque injonction brailleuse. Encore quelques regards hasardeux, et l’esquif se perd enfin sous nos pieds.

L’horizon éclairci, la sombre lagune reflète désormais les hautes tours d’un clocher d’albâtre. La flèche déchire le ciel et parait en fouiller les entrailles mystiques. Comme elle, d’autres pointes, d’autres angles rudes se lancent à la conquête de l’immense vide. Seule, au bord de l’eau et loin de ces luttes silencieuses, la paix végétale se baigne telle une nymphe insoucieuse.

Bruges 495

L’odeur des gaufres réveille quelque appétit jusque là discret. Bruges se fait aussi gourmande, à l’ombre des géants d’émeraude et de rubis. Mais ces relents s’estompent à l’entrée de la place immense, et se perdent tout à fait au contact des mousses bulleuses qui, partout, la bordent. Au liquide d’or répondent les aspérités de gueule et de briques, toutes parées et joyeusement garnies.

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Les pieds plantés sur le pavé, la tête tourne, ne sait plus où s’arrêter ni quoi contempler. Des masses menaçantes, des monts de pierre ciselée et des braves de bronze se dressent comme autant de frontières infranchissables. De nouveau des tours, symbole de puissance dans un plat pays, qui voient loin et imposent la paix.

Bruges 589Bruges 585

Une ambiance de conte saisit l’air frais de cette contrée septentrionale. Le charmant et la princesse manquent certes au récit, mais tout, les couleurs, les formes, la présence muette des quatre éléments, tout dessine les contours d’une ville merveilleuse. Des pavillons d’or apparaissent, et des palais gothiques, et le poids des colonnades achèvent de compléter le tableau magique.

Bruges 574Bruges 575

Mais le cadre ne nous arrête pas, et la peinture continue de se répandre sur toutes les façades de la cité. Même l’hospice, de cette teinte sombre indéfinissable, se plait à se grimer de touches écarlates pour mieux se mirer dans l’onde ici-bas. Seule la cathédrale garde un semblant de pudeur, elle qui rechigne aux fantaisies pour mieux se consacrer à Lui.

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La toile de terre cuite trouve enfin ses limites dans les eaux qui la ceignent. Et toutes ces briques qui saignent y laissent tomber un peu d’elles-mêmes, qui se dilue dans des jeux de miroirs charmants. Dans les airs et dans l’eau se retrouvent alors le feu et la terre, parfois de façon claire, parfois de manière trouble. Oubliant le reste, l’on se penche sur l’onde, quitte à tomber dans le conte un peu plus profondément.

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27 mars 2013 3 27 /03 /mars /2013 18:11

A s’en tenir aux livres, on ne le croirait pas. Les pages retiennent le bruit, et il n’y a dans l’air que le vague pépiement des oiseaux et les murmures de la ville apaisée. Pourtant, l’enfer fut ici. A grands coups de bombes, à grands coups de couteaux, on tua et on s’entretua pour une terre retournée et déchirée. Le langage était commun : celui des obus aveugles qui étripent et mutilent, celui des prétentions nationales qui suicident et attristent.

Contrairement aux hommes, l’urbain mort renaît. La terre s’égalise, les arbres repoussent, les herbes reprennent bientôt leur dû. Ce qui n’a pas succombé est renforcé et ceux qui disparaissent sont remplacés. Ypres, ville de guerre, nom de terreur, a pansé ses plaies mais garde ses cicatrices.

Ypres 922

Le minéral est de nouveau le  maître. Même la brique a oublié ses origines, et s’est élevée vers le ciel pour ne plus se mêler à la terre. La pierre se donne des formes strictes et rejette toute espèce de laisser-aller.  Rondeurs oubliées, fantaisie méprisée, rigueur adorée. Il résulte des années de martyre l’héritage de la violence, l’attachement à la contrainte.

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Les rues pétillent, pourtant, et le hiératisme des formes se voit contester son hégémonie. Parfois, l’on perçoit quelque repentance excentrique, cachée derrière l’obstination frivole d’un arrondi ou d’une envolée. La grisaille attriste ? Le rouge, et le vert, et les bruns et les ocres viennent offrir au soleil une raison de briller.

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Hormis l’obus ostracisé, les armes ont imprimé à Ypres leurs empreintes tranchantes. Les maisons sont hérissées de piques, les cloches déchirent le ciel et il n’est pas jusque aux colonnes qui écrasent le sol. Arcs  de triomphe et monuments commémoratifs répètent les chants de la guerre, tantôt victorieux, tantôt déchirants.

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Le poids des morts ferait oublier la digne épopée de la ville drapière. La terrible pensée des corps humiliés maintient l’illusion d’une histoire trop récente. Les heures discrètes ressortent, à la fin du jour, au détour d’une rue excentrée. Les couleurs se raniment, l’oubli s’empare des douleurs passées et la curieuse indiscrétion se plait à s’étonner des surprises dévoilées.

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La ville a repris vie. Le choix se posait-il ? Quand le monde tourne, quand les hommes marchent et que le soleil s’obstine à poursuivre la lune, ce serait folie que de décréter l’arrêt des temps. Non, la vie reprend, et avec elle joies et peines, rigoureuses certitudes et habituelles inquiétudes. Et avec elles gentilles récréations et redoutables intentions.

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9 mars 2011 3 09 /03 /mars /2011 22:39

Quelle situation plus rocambolesque que celle de Bruxelles ? Proclamée centre d’une Europe à l’unité utopique et capitale depuis 1830 d’une Belgique délaissée aujourd’hui par sa classe politique, Bruxelles a choisi depuis longtemps la voie de la simplicité. Face aux relents nationalistes et supranationaux, Bruxelles, telle le roseau, courbe le dos mais ne baisse pas les yeux. Elle profite de sa liberté et offre à quiconque pénètre son territoire son ouverture d’esprit ô combien salvatrice.

En arrivant par la gare du sud, une première étape nous appelle. La vie, comme un tourbillon turbulent et imprévisible, a déposé sur la place du Jeu de Balle une part de sa folie quotidienne avec le marché des Marolles. Bibelots en tout genre se disputent les regards des visiteurs, obligés d’aller pliés, le regard rivé vers ce sol prometteur. Tous ont déjà oublié l’inquisition désormais timide de l’église Notre-Dame-Immaculée qui, malgré ses briques rouges, est devenue pour ces minutieux chercheurs parfaitement insignifiante.

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Comme un aimant, c’est par la Grand-Place que nous sommes attirés. La place rectangulaire et cossue a concentré quelques-uns des plus beaux atouts de la ville. Hôtels particuliers et palais princiers s’accordent les uns avec les autres et se rangent prudemment mais fièrement, bombant leurs parures variées et leurs dorures extravagantes.

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Les honneurs sont respectés. Face à face, l’hôtel de ville et la maison du Roi ont eu droit aux places centrales. Le style gothique prouve avec ces édifices qu’il n’est pas seulement question de religion quand est mentionné cet art médiéval. Les décors, répétés à l’envi, exécutent une excentrique symétrie. Une centaine de personnages choisie parmi l’élite urbaine historique assure la garde de l’édifice. De toute sa hauteur, le beffroi s’élève infiniment dans sa course céleste.

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Les hôtels particuliers ont, quant à eux, opté pour le baroque ou le classicisme. A vrai dire, les divers styles architecturaux s’imbriquent et se mêlent en une harmonie rare et appréciable. C’est dans la diversité que cette parfaite communion se réalise pleinement. Symbole d’un orgueil bruxellois qui se fait aujourd’hui discret, la Grand-Place est rayonnante et évoque les heures de gloire de la ville. En témoignent les ors disposés sans retenue, se plaquant sur les blasons, les chapiteaux, les statues enfin.

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Ce serait un truisme de dire que quitter la Grand-Place ne se fait qu’à regret. Mais la ponctualité à un rendez-vous est cruciale. Notre rencontre est perchée sur un piédestal voluptueux. Ce petit homme exerce une seule activité tout au long du jour ; son endurance est frappante et pourtant, malgré toute sa renommée, il n’est point de superbe que l’on puisse tirer d’une telle occupation. Loin de sa petite Jeanne, le Manneken Pis amuse une foule l’imaginant toujours plus haut qu’il ne l’est.

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En quelques pas, voilà le cœur de Bruxelles découvert. Fierté et ironie s’imbrique simplement dans une ville qui a laissé à ses consoeurs européennes le choix de la suffisance. Les merveilles, pour autant, ne sont pas absentes de la belle belge. Parmi elles, la Grand-Place qui a choisi pour se nommer le plus humble des dénominatifs. Comme une marque de l’humilité et de la bonté du zwanze bruxellois.

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