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30 mars 2022 3 30 /03 /mars /2022 18:00

La porte est restée entrouverte. La main gauche achève le mouvement tandis que la droite cherche la dague. La peur, sans doute, la fait trembler : les écus d’or, dans la bourse, tintent alors bruyamment. Pascual ne bouge plus. Son cœur bat à sortir de sa poitrine. Lentement, sa main droite glisse sur le manche gainé de cuir. À tout moment, Pascual s’attend à voir surgir l’un de ces hommes qui, lorsqu’il en croise un au hasard, menace de l’étriper sous peu. Mais tout ce que rencontre Pascual, c’est le silence.

Les oreilles qui bourdonnent, Pascual avance dans sa propre masure. Dans l’âtre, les braises crépitent encore. Abandonnées, elles noircissent et meurent, peu à peu. Encore un pas, et Pascual peut comprendre les raisons de ce silence. Accrochée au faîte, deux cordes pendent ; à leurs extrémités, la femme et l’enfant balancent. Pascual se précipite à leurs pieds, mais il est trop tard. Les langues tirées et bleuies témoignent de leurs trépas. Autour de lui, Pascual voit les ultimes vexations qu’ont eu à subir la femme et l’enfant : la couche retournée, la vaisselle de terre cuite répandue à terre et brisée. Même la vache n’est plus dans son étable.

Son âme au diable
Son âme au diable

À peine reste-t-il une miche de pain et un morceau de lard, que Pascual enfouit dans sa veste. Les pillards ont tout pris dans cette maison, et les vies qui y étaient, et les menues richesses qu’ils ont pu y trouver. Maintenant il lui faut partir. Ils reviendront, c’est certain, car c’est pour Pascual qu’ils sont venus jusqu’ici. Celui-ci n’a pas le temps de réfléchir, mais il sait que les remords ne tarderont pas à l’assaillir. Il sait que, bientôt, ses nuits seront hantées de questions sans réponses et de malédictions qu’il prononcera contre lui-même pour n’avoir pas décidé de fuir avant.

Son âme au diable
Son âme au diable

Le moment auquel il aurait encore pu sauver sa famille, il ne le connaît pas. Était-ce lorsqu’il a appris l’assassinat de Chambenas, le chef des routiers ? Son corps outragé, percé aux flancs et au dos de mille entailles, bleui sur les membres à la suite des coups portés, et le visage boursouflé, méconnaissable même pour ceux qui l’auront accueilli dans l’autre monde, ont donné le signal à ceux de la région qui avaient des comptes à régler. Mais cette mort aurait pu avoir lieu beaucoup plus tôt. Pascual s’est étonné bien des fois que les braves gens ne se révoltent pas. Non, il aurait fallu fuir bien avant.

Son âme au diable

Pascual s’enfonce dans les bois encore verts. Pour le moment, les chênes le cachent, mais cela ne durera pas. L’automne et l’hiver le découvriront, et le froid le harcèlera bien mieux que quelques paysans faméliques. L’hiver : c’est peut-être pendant cette période que Pascual aurait dû chercher un autre endroit où vivre avec sa femme, son enfant et sa bourse aux écus d’or. L’avant-dernier a été extrêmement rude, gelant les ruisseaux, tuant les bêtes jusque dans leurs abris. Pendant ce temps, les routiers rançonnaient encore le pays jusqu’à la moindre piécette.

Son âme au diable
Son âme au diable

Oui, les hivers rudes et la présence de ces hommes rustres, violents contre tout ce qui vit, envieux du plus misérable acquis d’autrui, tout cela a précipité la mort de Chambenas et la vengeance contre ceux qui l’ont aidé. Pascual descend au fond de la vallée où coule, avec une grande parcimonie, un ruisseau. C’est son refuge. Avec quelques pierres, des branchages et de l’argile, il a fabriqué une cabane sommaire où il a dormi, des nuits durant, lorsque les rumeurs se faisaient trop menaçantes. Pascual en franchit le seuil. Il songe que jamais il n’aurait pu sauver la femme et l’enfant.

Son âme au diable
Son âme au diable

Des chiens aboient, et des hommes crient au loin. Pascual se raidit, serre dans sa main la bourse où tiennent encore tant d’écus d'or. Ils sont sa récompense et son outrage. Ils sont le prix de la trahison, que Pascual a reçu pour avoir ouvert les portes du château d’Arlempdes aux routiers de Chambenas. C’est ce choix qui a valu la corde à la femme et à l’enfant. Les chiens et les hommes se rapprochent. Le cœur de Pascual se glace plus encore, car si la femme et l’enfant étaient innocents, il sait que ce n’est pas son cas. Pascual ferme les yeux. Contre la poitrine, il tient son or. Charon pourrait le lui réclamer.

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18 septembre 2021 6 18 /09 /septembre /2021 18:00

Mille peurs traversèrent mon corps. J’avais pourtant pris ma décision après mûre réflexion, et ce que je m’apprêtais à faire me semblait, parmi toutes les possibilités, la seule vraiment sensée. Il me regarda d’abord avec mépris mais, quand il comprit enfin l’objet de ma requête, il me sourit et ses yeux me révélèrent tout. Ses yeux me disaient que je n’aurais aucun mal à parvenir à mes fins ; ils me disaient aussi que ma victoire causerait sans doute ma perte. Cela me convenait, si j’étais la seule à me damner.

Lorsque je la vis se présenter à moi, dans son ample robe noire, le visage dissimulé par un voile de douleur, deux idées me vinrent. La première, c’est que cette femme était d’une grande beauté, et je plaignis son mari d’être mort avant que d’en avoir joui. La deuxième, c’était que, du fait de cette beauté, je devais me méfier de cette femme, qui était dame de Tournoël, et habituée donc à être exaucée. Elle dit qu’elle acceptait mon jugement. Elle consentait à ce que son beau-frère vécût au château et qu’elle n’y fût plus la maîtresse. Pourtant, elle me supplia de la protéger. Je fus surpris, et lui demandai ce que je pouvais faire. Baissant la tête, elle s’approcha et me prit les mains.

Tel épris
Tel épris

Le bailli tint sa promesse. Il vint au château trois jours plus tard. Mon beau-frère lui fit fête, mais la tristesse des convives fit fuir le bailli jusque dans l’une des chambres. Il avait prétexté des maux de ventre, et je lui fis croire que je lui portai de l’eau fraîche pour qu’il m’ouvrît la porte. Sans rien dire, nous nous embrassâmes et, lorsqu’il désira davantage, je tournai mes yeux épouvantés vers la cour où l’on festoyait encore. Il se passa trois jours, puis mon beau-frère partit. Du haut des remparts, nous le vîmes s’éloigner, ma fille, le bailli et moi.

Tel épris
Tel épris

Je chevauchai le jour en songeant à la chaleur de la couche qui m’attendait. D’aucuns me félicitaient, car ils connaissaient la nouvelle, et disaient que j’étais sur ces terres comme Dieu : à la fois le plus proche seigneur et l’ultime suzerain. La douce dame m’accueillait le soir, et elle fut maintes fois étonnée d’une vigueur qu’elle ne soupçonnait point. J’en étais heureux : je me croyais automne et je me découvrais printemps. Un soir je la poursuivis ; elle refusa. Elle argua d’abord que le souvenir de son mari n’était pas éteint. Comme je ne reculai pas, elle souffla que nous ne nous montrions pas dignes. Je lui demandai alors sa main.

Tel épris

Prise de court, je ne sus que répondre. Il avait dû proposer cela dans un moment d’excitation, mais je soupçonnai bientôt qu’il avait comprit l’avantage qu’un tel événement lui procurait. Quant à moi, je me trouvai piégée. Nos amours étaient connues, et les doigts moqueurs et lâches me désignaient déjà comme la putain du bailli. Nous nous mariâmes et il n’y eut guère que mon vieillard de mari et ses gens pour s’en réjouir. Cependant je voulus raviver ma cour, inviter peintres et musiciens et poètes. Il ne me le permit pas et, comme leçon, il renvoya deux de mes dames qui lui déplaisaient.

Tel épris
Tel épris

Les deux insolentes avaient confié à leurs amants d’un soir, qui étaient de ma troupe, qu’elles me trouvaient goujat et vicieux. Pour ne pas les contredire, je les sommai de partir sans rien emporter d’autre que leurs hardes et leur vilenie. Ma nouvelle épouse protesta à peine ; sans doute s’égayait-elle déjà du futur mariage de nos enfants, que j’avais décidé pour garantir que le château restât dans la famille. En outre, je faisais en sorte que la dame de Tournoël me fût obéissante et, lorsqu’elle ne l’était pas, qu’elle me tenait tête devant mes gens, je l’enfermai telle une mauvaise enfant.

Tel épris
Tel épris

J’étais aux cuisines lorsque l’on m’annonçât que mon mari s’était effondré. J’accourus, comme doit le faire une bonne épouse. Je pleurai lorsque je compris qu’il était mort, et il me plut qu’on attribuât mes larmes à une peine immense. La semaine suivante, je rompis les fiançailles de ma fille qui retrouvait la liberté de trouver meilleur parti qu’un fils de bailli. Quant à moi, je retrouvai mes peintres, mes poètes, mes musiciens. Ils déclamèrent, chantèrent et dansèrent pour me divertir et, bien que je ne pusse encore sourire, il me sembla enfin goûter à la vie à laquelle j’aspirais.

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9 mars 2021 2 09 /03 /mars /2021 19:00

Levés haut, les fusils paradent. La troupe défile, les rudes semelles impriment sur le pavé le rythme lancinant de la libération. L’uniforme vert clair a ce je-ne-sais-quoi d’enivrant, quand le noir inquiétait et faisait se terrer chez eux les honnêtes gens. Aux côtés de Suzanne, Joseph lance des vivats et des hourras. Ses deux mains s’agitent pour saluer la délivrance. Pour un peu, Joseph irait bien embrasser tous ces jeunes guerriers.

Suzanne vient de glisser les mains autour de sa taille. C’est qu’il y a foule pour accueillir les forces françaises de l’intérieur, et elle ne voudrait pas être séparée de Joseph. Un an qu’ils se fréquentent, à la faveur de courts rendez-vous après le service de Joseph au casino. Ils vont bientôt se marier, et dans un pays libre et en paix, qui plus est. Joseph dépose un baiser sur le front de Suzanne avant, d’une seule main et d’une voix forte, de manifester sa joie.

Petits et grand
Petits et grand

La veille encore, les Allemands patrouillaient dans leur ville. A quelques mètres à gauche, sur le trottoir d’en face, Joseph aperçoit l’homme responsable de leur départ. C’est un gigantesque Suisse, qui dresse sa haute stature montagnarde au-dessus même des fusils silencieux. Joseph voudrait aller lui parler, le remercier pour son action, s’approcher un peu de ce sommet que lui, dans sa modestie, ne saurait jamais atteindre.

Petits et grand
Petits et grand

Les bons services de ce monsieur Stucki, Joseph les a appris au casino, dans le secret des tables éminentes qu’il servait. A Suzanne, il explique, la voix couverte par celles multiples de la foule, que sitôt le maréchal expulsé de la ville, le grand Suisse a été trouver les résistants pour leur demander de ne pas investir les lieux. Il a fait de même avec l’occupant, afin d’éviter de sanglants combats dans lesquels, probablement, de nombreux Vichyssois auraient trouvé la mort.

Petits et grand
Petits et grand

Au fur et à mesure qu’il parle à sa fiancée, Joseph tâche de fendre la foule. Son corps fin et sec est habitué à éviter les hôtes du casino, qui se lèvent brusquement de leur table pour aller fumer ou se rafraîchir. Suzanne, elle, peine à le suivre. Levant les yeux au-dessus des têtes échevelées et des bérets balancés de droite à gauche, Joseph ne quitte pas des yeux son phare, ce géant à qui, aujourd’hui, la cité doit sa liesse.

Petits et grand
Petits et grand

Au matin encore, l’ambassadeur Stucki a opposé sa volonté et ses arguments au passage d’une colonne ennemie, et c’est sa voix puissante qui a appelé les forces de la Résistance pour qu’elles entrent dans Vichy. Ses mots, littéralement, détournent les balles et préservent de la mort. Ils rendent les armes inutiles et les défilés symboliques. Joseph songe que la parole est plus forte que l’acier effilé ou perforant. Cette pensée le console. C’est parce que lui-même n’a pas les mots qu’il n’a pas élevé la voix.

Petits et grand
Petits et grand

Les derniers hommes de la troupe tournent à l’angle du boulevard. Autour du Suisse se pressent toutes autorités, qui le récompensent en poignées de main et en sourires émus. Joseph, suivi de loin par Suzanne, n’a plus qu’à traverser le trottoir pour faire partie de ces laudateurs éplorés. A ce moment, Suzanne le rattrape. Sa précipitation dit sa panique. Les Allemands reviennent, dit la rumeur. De l’autre côté de la rue, le grand homme est tranquille. Joseph veut croire qu’il a ses raisons.

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2 septembre 2020 3 02 /09 /septembre /2020 18:00

Le gamin s’active et elle demande : n’est-il pas vrai que j’ai toujours été élégante, mais elle ne le regarde pas, elle se parle à elle-même. Le gamin, porteur de son état, ou plutôt fils du porteur officiel de la compagnie de Madame Marguerite, a levé les yeux quelques secondes avant de voir que ses lumières n’intéressaient personne. Il soulève la malle, petite mais terriblement lourde et se traîne, lui, au lieu de traîner le précieux objet, jusqu’à la charrette qui attend dehors. Par chance, il fait beau.

Les chevaux attendent. On charge les malles pleines de robes, les commodes de bois sculpté, le cabinet en bois laqué et les crédences finement ouvragées. Le petit porteur vient taper l’encolure d’un équidé comme une manière de l’inciter à la patience et de lui donner du courage. Il reste tant à descendre. Le château sera vide de meubles et d’âmes, de chuchotements, d’éclats de rire et de tristesse déguisée. La Reine part, s’en va trouver son vert galant qui, pour elle, ne l’est plus depuis longtemps. Paris, Paris, elle trépigne d’excitation de quitter cette place si mauvaise appelée Usson.

Hors la cage
Hors la cage

Un gentilhomme survient dans sa chambre. Aussitôt elle se plante devant lui avec ces yeux qu’on dit de braise et qui ne sont pas loin de l’être vraiment, et elle se lamente que toutes ces heures, ces longues heures, s’achèvent enfin, et que de ce lieu maudit elle s’extirpe, que la grâce qu’on lui fait est une justice bien tardive mais bienvenue. Elle lui dit qu’il lui semble que ces dix-neuf hivers ont passé sans qu’elle s’en rende compte, et que cela, elle le doit à lui, et aux gentilles dames qui l’ont accompagnée dans sa peine et dans son exil.

 

Hors la cage
Hors la cage

Le gentilhomme a l’une de ces réponses que son état exige. Courtois, il s’excuse presque d’avoir dérangé Madame la Reine dans sa retraite sombre. Il espère que les jeux et les galanteries – elle le fixe cruellement lorsqu’il prononce ce mot – bien innocentes, s’empresse-t-il d’ajouter, ont aidé Madame à oublier les vilenies qu’elle a vues et subies. Ce furent dix-neuf étés pour eux toux, y compris pour les petites gens qui travaillent pour leur bon plaisir. Elle le sait obséquieux, mais elle lui pardonne ; aujourd’hui est un jour de fête.

 

Hors la cage

Laissée de nouveau seule, Marguerite s’inquiète. Paris, soudain, la terrifie, cette ville doit avoir changé, pense-t-elle, et les amis que j’y avais oseront-ils entrer chez moi, mais ses noires pensées cessent alors qu’elle se tient à la fenêtre. Le paysage la glace : cette forteresse parle de guerre, ces hauts murs épais évoquent la prison. Et ce pays d’Auvergne, tout bosselé, comme un monstre difforme qui la dissuade de le parcourir. Rester un jour de plus ici, ce serait mourir.

 

Hors la cage
Hors la cage

Dans la cour, elle voit les trois charrettes remplies maintenant d’objets divers dont la pauvre quantité ne suffirait pas à emplir un hôtel digne de son nom et de son rang. Reine, elle est restée, sans l’inconvénient de sentir contre elle la peau du roi. Libre sinon riche, bien que le roi, pour s’en débarrasser, l’ait récemment mieux dotée, elle rit maintenant des remous que son retour provoquera sûrement. Elle a toujours des dettes, naturellement, mais qui n’en a pas, et au moment où elle pose cette question à haute voix, avec une inflexion aiguë et presque outrée, l’une de ses dames de compagnie entre.

 

Hors la cage
Hors la cage

Il est l’heure, souffle cette femme qui est si sûre d’elle lors des jeux vespéraux, et qui paraît craintive à cet instant. Une longue route nous attend, murmure-t-elle encore, comme si cette raison allait l’emporter sur toutes les autres, sur l’isolement forcé, sur la crainte quotidienne de l’empoisonnement, sur la rusticité d’une vie marquée par la nécessité, sur des amours secrets et inavouables avec de jeunes bouviers des environs. Madame Marguerite cesse de sourire, son visage se ferme, la liberté est chose sérieuse. L’oiseau sort de sa cage.

 

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17 février 2020 1 17 /02 /février /2020 19:00

A tous ceux qui avaient bien voulu l’écouter, Pascal, qui se faisait appeler depuis peu Egalité, avait assuré que, d’ici le coucher du soleil, on se saoulerait de vin de messe. Son prêche sur la place de Lavaudieu avait convaincu quelques hommes mal dégrossis qui allèrent ainsi, gaillards et orgueilleux, réclamer à l’abbaye ce qui leur était dû. La mère supérieure les accueillit, froide comme un jour d’hiver.

A vrai dire, ils ne firent guère attention à elle. Ils pénétrèrent dans l’enceinte sacrée, faisant claquer leurs sabots jusque dans l’église. Ils se rendirent au cellier et, au fur et à mesure, leur excitation grandissant, ils poussaient des cris de joie et des rires de rustres. De la cave, ils remontèrent plusieurs fûts qu’ils firent rouler jusqu’au cloître. Là, Pascal-Egalité, sortant du lot, entreprit, à l’aide d’une hachette dont il se servait d’ordinaire pour tailler le petit bois qui brûlait bien dans l’âtre, d’ébrécher l’un des tonneaux.

Les vaches d’abord
Les vaches d’abord

Les religieuses, elles, avaient formé cercle autour de l’assemblée des hommes, fort inconvenante en ce lieu. Certaines d’entre elles se signaient quand d’autres pâlissaient sérieusement à l’idée que ces brutes, bientôt, boiraient le sang divin. La mère supérieure, quoique fort éprouvée par cette virile intrusion, mit fin aux inquiétudes frémissantes en ordonnant brutalement aux bavardes de se taire. Dérangé par ce bruit, Pascal-Egalité leva la tête, les lèvres rougies, et scruta la mère supérieure. De là, son regard fut happé par l’aspect du cloître.

Les vaches d’abord
Les vaches d’abord

C’était un fort bel exemple d’architecture romane ; un saint, autrefois, l’avait fait bâtir. Mais pour Pascal-Egalité, le cloître ressemblait à une étable. En vérité, pensait-il, quelques planches bien assemblées, ou un joli travail de maçonnerie séparerait à merveille les bêtes, tandis que le centre du cloître fournirait l’herbe et le foin. Aussitôt née, sa pensée s’échappa, et Pascal-Egalité en fit part à ses compagnons abreuvés. Ils l’approuvèrent. L’époque était au renouveau, à l’innovation, à la révolution. Deux hommes abandonnèrent le fût vide et s’en allèrent chercher leurs vaches.

Les vaches d’abord
Les vaches d’abord

Au premier beuglement, les religieuses protestèrent. Mais les bêtes entraient, aiguillonnées par leurs maîtres, et elles vinrent paître au centre de cet endroit jadis voué au silence. La mère supérieure, décidément outrée, vint trouver Pascal-Egalité qui, de tous ses compagnons, était encore l’un des rares à tenir debout. Lui ne vit aucune difficulté à ce que les vaches s’établissent ici. Et, vif d’esprit, il décréta que les religieuses devraient laisser la place libre aussi vite que possible. Le décret était la nouvelle norme à Paris et, à l’évidence, elle se montrait fort utile.

Les vaches d’abord
Les vaches d’abord

Pendant ce temps, la nouvelle qu’on tirait gratuitement le vin de messe à l’abbaye avait parcouru la campagne environnante. Des dizaines d’hommes arrivaient, joyeux, presque déjà grisés, impatients de communier sans avoir à écouter le sermon. Pascal-Egalité vit dans cette troupe le bras armé de son pouvoir exécutoire. Il ordonna qu’on expulsât sur le champ les religieuses ; à cette condition seulement, la soif serait tarie. Il fut obéi. Et les pauvres femmes se lamentèrent de cette épreuve que le Très Haut, las de leurs prières, leur envoyait.

Les vaches d’abord
Les vaches d’abord

Egalité – il fulminait désormais lorsqu’on l’appelait Pascal – n’était pas encore satisfait. Pour que l’esprit de la Révolution triomphât pleinement, il fallait, éructa-t-il, raccourcir le clocher qui, par sa taille honteusement élevée, remettait en cause les principes de la concorde et de la fraternité. Autour de lui, plusieurs hommes ronflaient déjà ; quant aux autres, ils le regardèrent, yeux vitreux et bouches béantes, ivres probablement de leur statut nouveau de citoyen et de la liberté absolue dont ils usaient. Egalité accorda que l’on commencerait les travaux le lendemain ; le jour de repos était une trop bonne chose pour qu’on la sacrifiât.

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15 août 2019 4 15 /08 /août /2019 18:00

En vérité, ce vacarme ne le gênait plus. Il y faisait face depuis une dizaine de jours et, à vrai dire, cela ne le changeait guère de ce qu’il connaissait des palais romains ou siciliens. Les Français avaient la réputation de gueulards ; il eut été étonnant que les bergers différassent du troupeau. Le concile que le pape tenait présentement à Clermont touchait maintenant à sa fin. Les affaires courantes avaient été réglées. Il s’agissait maintenant d’en appeler à la guerre.

Harassés et excités par les dix jours de palabres, les évêques n’écoutaient plus rien. Certains, arrivant en retard, saluaient sans vergogne telle connaissance qu’ils semblaient n’avoir plus vue depuis des lustres. Dans les jours qui avaient précédé, d’autres en étaient même venus aux mains pour des histoires futiles, et il avait fallu toute l’autorité d’Urbain pour mettre fin à ces peccadilles. Le pape attendait donc que l’assemble daignât l’écouter et le silence, au bout d’un certain temps, parvint enfin à s’installer.

Revue des troupes
Revue des troupes

Avant d’en venir à son ultime proposition, le pape rappela les engagements que les évêques avaient pris. Il voulait désormais s’assurer de l’acceptation de ces mesures par tous, puisqu’elles avaient été, presque sans exception, âprement discutées et disputées. Urbain voulait mettre de l’ordre dans la maison de Dieu et il revenait aux serviteurs de montrer l’exemple. Ainsi avait-il voulu protéger l’accès à l’épiscopat pour que ceux qui se tenaient devant lui ne se sentissent pas menacés par la volonté d’un homme important ; c’est à ce prix qu’ils se tiendraient au service exclusif du Tout-Puissant.

 

Revue des troupes
Revue des troupes

L’époque était à la violence et au chaos. La guerre occupait les hommes une grande partie de l’année et l’ami d’un jour pouvait facilement devenir l’ennemi du lendemain. Les hommes d’Église eux-mêmes admettaient ces comportements et les facilitaient par leurs attitudes éhontées. Par conséquent, Urbain avait exhorté son public à la repentance et à la digne conduite pour que, miroirs vivants, les brebis puissent trouver dans leur contemplation les exemples de la vertu. La concorde entre les frères de religion devait prévaloir : la guerre en serait le moyen.

Revue des troupes
Revue des troupes

Les évêques ne s’émurent pas de l’antinomie évidente de cette proposition. La guerre, soutenaient certains, pouvait être juste et les conditions d’icelle avaient été déjà établies lors des précédents conciles. Urbain en vint alors au fait. Là-bas, geignait-il, en Orient, les Turcs étaient les nouveaux maîtres du tombeau du Seigneur. Là-bas, se plaignait-il, sur les rivages du Levant, les pèlerins étaient chassés des lieux sacrés. Là-bas, pleurait-il, sur les bords du Jourdain, les fidèles étaient massacrés. La paix universelle passerait par la réparation de cette infamie.

 

Revue des troupes
Revue des troupes

Dans un moment d’une dignité et d’une tension extrêmes, Urbain tonnait désormais que les évêques devraient exhorter leurs brebis à délivrer la Terre Sainte. Que les hordes qui s’étripaient et s’entre-tuaient sur les terres saines de l’Occident se donnassent fraternellement la main et frappassent mutuellement de l’épée ceux qui empêchaient d’adorer Dieu. Urbain ne condamnait pas la guerre ; il l’utilisait comme un outil : dangereux mais parfois utile, et hélas nécessaire. Les chevaliers sauvages et fougueux s’en iraient du même coup. On ne mettrait pas fin à la guerre : on s’en débarrasserait.

Revue des troupes
Revue des troupes

Tout homme devait porter sa croix. Ainsi le révélaient les Écritures. Les chevaliers en chemin vers l’Orient la porteraient sur eux, peinte sur leurs tuniques. Au jour du Jugement Dernier, le Seigneur reconnaîtra leurs mérites et les absoudra. Urbain termina son prêche par cette promesse. Il était épuisé. Alors les évêques, unis par un seul cœur, se levèrent et acclamèrent le pape. Enfin, la paix de Dieu régnerait ici-bas.

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7 février 2019 4 07 /02 /février /2019 19:00

D’aussi loin qu’il se souvienne, Gauthier avait toujours été la cible de quolibets. Des difficultés d’élocution, apparues dès sa tendre enfance, et qui, faute de médecin compétent ou compréhensif, ne furent jamais corrigées, donnaient l’impression à ses interlocuteurs que ceux-ci avaient affaire à un arriéré. Ce n’était pourtant pas le cas. Si l’on prenait le temps de l’écouter, ce qui était rarement le cas, on découvrait un jeune homme sensible et curieux et qui savait nommer avec précision les choses qui le passionnaient.

Pourtant, au village, sa réputation le trahissait souvent. Si, au départ, les insultes étaient le fait d’enfants de son âge, au fur et à mesure, les parents de ces enfants avaient fini par admettre que Gauthier pouvait aussi faire les frais de leur propre bêtise. C’était, à l’occasion, une remarque dite à haute voix, autant pour plaisanter que pour humilier, parfois même des rudoiements plus sévères lorsque, comme tout un chacun, Gauthier commettait quelque erreur sans gravité.

La fin du bredin
La fin du bredin

La rumeur est insidieuse. Pareille à une épidémie mortelle, celle qui concernait Gauthier s’était bientôt répandue dans les villages voisins, à la faveur de fêtes ou de foires où l’on médisait, l’air goguenard, à propos de ce dégingandé même pas capable d’aligner deux mots d’affilée. Ce virus n’épargnait personne, et il gagna même les personnes les plus proches de Gauthier, ou celles qui se devaient de le protéger. C’est ainsi que sa famille en vint à le considérer comme une honte qui les frappait.

La fin du bredin
La fin du bredin

Et ainsi ils le rabrouaient régulièrement. Le père, comme la mère, lui reprochaient son défaut apparent, refusant de voir la vérité des mots et la logique de la pensée. Gauthier, bien qu’habitué aux injures, souffrait énormément de voir le dernier bastion de sa tranquillité céder au siège de l’imbécillité. Il en vint à concevoir pour ce monde, ces villageois, sa famille et pour lui-même, une haine tenace, quotidienne, insurmontable. Le mutisme fut pour lui un ultime refuge. Les autres considérèrent cela comme la preuve majeure de sa déraison.

La fin du bredin

S’il cédait parfois à la facilité de ce triste conformisme, le jeune curé du village n’en concevait pas moins d’amitié, voire d’affection, pour Gauthier. Ce fut bientôt avec lui seul que le jeune homme s’ouvrait et à lui seul qu’il confiait ses tourments. Comme il voulait aider d’une quelconque manière, mais de façon urgente, le jeune curé vint un soir converser avec les parents de Gauthier. Il leur parla du débredinoire, machine merveilleuse et pourtant simpliste que l’on trouvait dans une église du Bourbonnais, au sud, et qui avait le pouvoir d’ôter la bêtise à ceux qui en étaient affligés.

La fin du bredin
La fin du bredin

Les parents furent d’abord incrédules. Le reste d’amour qui leur restait au fond du cœur les poussa à accepter le pèlerinage. En vérité, l’égoïsme les portait aussi de se voir débarrasser, à peu de frais, d’un fardeau aussi lourd. Ils firent donc le voyage. Lorsqu’ils arrivèrent à Saint-Menoux, ils se précipitèrent dans l’église, traînant derrière Gauthier qui redoutait une terrible déconvenue. Là, ils virent le débredinoire : c’était le tombeau de pierre d’un saint. La légende racontait la guérison d’un fol qui avait passé son temps près dudit sarcophage dans lequel résidait son maître pour l’éternité.

La fin du bredin
La fin du bredin

Heureux d’avoir enfin trouvé la solution à leurs maux, impatients de mettre fin à leur calvaire, ils ordonnèrent à Gauthier de passer la tête dans l’un des trous. Devant l’apathie de leur fils, qui devait se comprendre comme de l’incrédulité, ils se saisirent de lui. Mus par la colère, ils heurtèrent, à plusieurs reprises, la pierre avec la tête de leur progéniture. Puis ils le maintinrent, par le cou et par la poitrine, à l’intérieur du repos du saint. Leurs efforts furent récompensés. Lorsqu’ils retirèrent Gauthier du débredinoire, la folie avait quitté son corps. Et la vie aussi.

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10 août 2018 5 10 /08 /août /2018 18:00

Couché sur le dos, il avait le visage dans la pénombre. Etienne respirait doucement pour ne pas réveiller Jeanne, sa femme, et Baptiste, son fils, âgé de quelques mois seulement. Dans la nuit, c’était un concert de respirations douces, apaisées, régulières, qui marquait le temps comme une horloge qui, dans un souffle, dit le temps qui s’égrène lentement. Etienne, lui, ne dormait pas. Cela faisait trois semaines qu’il ne dormait plus. Et chaque matin, pourtant, il lui fallait se lever.

La douleur, lancinante, lui montait depuis les mollets jusque dans la nuque et les épaules, en prenant soin de ne pas éviter son dos et, surtout, de s’attaquer à ses reins. Tout à la fois, la douleur le paralysait et lui donnait l’envie de bondir hors du lit et de marcher, de longues heures, en espérant qu’elle disparaisse. Pour ne pas réveiller sa femme et son fils, Etienne ne bougeait pas. Il ne savait pas si cela était pire que de se mouvoir ou non.

A plat ventre
A plat ventre

La veille encore, Etienne et Jeanne en avaient parlé. Elle lui avait conseillé de changer de métier. Et pour faire quoi ?, lui avait-il demandé. Son métier, c’était émouleur. Il ne savait faire que ça. Il avait appris le métier avec son père, qui lui-même l’avait appris de son père. Jamais il ne s’était demandé s’il pouvait et, plus encore, s’il voulait faire autre chose. En son esprit, les choses avaient toujours été claires. Cette nuit, le dos perclus de déchirements, il se posait la question.

A plat ventre
A plat ventre

Les émouleurs étaient demandés à Thiers. Et pour cause. Les industries de la ville produisaient de grandes quantités de couteaux qui étaient expédiées partout en France et en Europe. Ça faisait parfois rire les camarades d'Etienne quand ils pensaient qu’un bourgeois d’Allemagne ou qu’un comte de Russie découpait peut-être sa viande avec leurs lames. Etienne, lui, ça le faisait rêver. C’était ce qui lui avait plu, tout de suite, dans ce métier : fabriquer et laisser vivre l’objet. Lui, le créateur, le démiurge, restait à demeure.

A plat ventre
A plat ventre

Lorsqu’il y pensait, Etienne savait qu’il ne pouvait se plaindre. La paie était correcte par rapport aux autres corps de métier. Elément non négligeable, les émouleurs travaillaient à l’abri, le plus souvent en groupe, et même avec leurs chiens. Le rémouleur, lui, pouvait bien travailler avec son chien à ses côtés ; mais il était souvent seul et, parfois, il déambulait dans les rues à la recherche de clients. Les rémouleurs avaient leur utilité, pour sûr. Mais les émouleurs, eux, tiraient orgueil de ce qu’ils détenaient le privilège de la primauté.

A plat ventre
A plat ventre

Le chien tenait chaud aux jambes. C’est que les émouleurs travaillaient allongés. A plat ventre. Ils avaient ainsi plus de force dans les bras et les épaules pour contraindre leurs lames. Pour faire ce tranchant qui fait du couteau aussi bien un outil qu’une arme de défense. A ses débuts, comme le font parfois les jeunes, Etienne avait refusé de s’allonger. Il souhaitait travailler assis à une table. Bien vite, des courbatures terrifiantes lui avaient ravagé le dos. Dans la pénombre, Etienne soupirait : quoiqu’il pût faire, c’est son dos qui le tourmentait.

A plat ventre
A plat ventre

L’aube pointait. La ville, déjà, se réveillait et les rues s’emplissaient des bruits des pas des hommes et des femmes mal réveillés. Etienne se leva discrètement pour se découper une large tranche de pain et faire chauffer le café de la veille. Son dos était sillonné de chemins invisibles où le mal, partout, se répandait à son aise. Le chien vint à ses pieds. Lui avait probablement hâte de passer une nouvelle journée sur les jambes de son maître. Ce dernier grimaçait déjà. La journée promettait d’être trop longue.

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1 mars 2018 4 01 /03 /mars /2018 19:00

La tension était palpable. Comme un linge humide qui colle à la peau et dont on se déferait avec peine, la lourde ambiance gênait jusque dans les mouvements de la cinquantaine de personnes présentes ce jour-ci. Nul, dans la grande salle, n’osait à présent ouvrir la bouche. On respirait en silence, aspirant quelques goulées d’air pour survivre à l’angoisse et on expirait doucement en gardant les yeux bien ouverts, de crainte de manquer quoi que ce soit.

Au centre de la grande pièce lambrissée, deux hommes se faisaient face. Leurs visages tendus exprimaient tout l’irrespect qu’ils avaient l’un pour l’autre, malgré les mots d’amitié qu’ils avaient échangés quelques heures plus tôt. Entre eux se tenait le roi. Son visage doux, presque enfantin, passait de l’un à l’autre tandis que, de ses deux mains blanches, il s’agrippait aux épaules, comme un bambin s’accroche à son père. Personne ne parlait. Coligny et Guise ne se lâchaient pas du regard.

Le faux baiser
Le faux baiser

Derrière le roi, sa mère se tenait immobile, elle aussi. Vêtue d’une grande robe de velours noir, elle scrutait la scène avec une attention particulière, et quelque observateur avisé aurait constaté qu’un rictus déformait légèrement ses lèvres. Elle savourait sa manipulation, son sens des affaires politiques, ses talents de persuasion et son indéniable autorité. Elle, descendante de banquiers italiens et de podestats tout-puissants, avait réuni là les deux meilleurs ennemis du royaume.

Le faux baiser
Le faux baiser

L’époque, alors, était à la guerre. On discutait de théologie à coups de canons, on refusait l’autorité d’un pape en jouant de l’épée. Depuis un demi-siècle, depuis qu’un moine allemand avait placardé sur les portes d’une église les reproches qu’il faisait à une autorité quasi divine, on bataillait et on s’entretuait entre les tenants de la vieille religion et ceux de la nouvelle, réformée. La guerre, certes, ruinait le royaume ; mais tant qu’elle ne ruinait pas le camp adverse, on ne voyait pas de raisons de l’arrêter.

Le faux baiser
Le faux baiser

Certaines morts, cependant, importaient davantage. Ainsi en allait-il du père de Guise, tué par le feu et par lâcheté, et peut-être aussi par l’entremise d’un homme qui se tenait présentement dans la grande salle de l’hôtel du roi, et à qui faisait face le fils du duc de Guise, duc lui-même. La guerre, disait-on, n’avait que trop duré et le royaume réclamait ses forces vives pour se relever, tel un vieil homme qui a besoin de béquilles ; mais celles-ci, depuis une dizaine d’années, ne cessaient de se dérober.

Le faux baiser
Le faux baiser

La noble foule attendait désormais un geste du roi. Ce dernier paraissait serein et, de façon étonnante, aucune fatigue ne se lisait sur le visage du jeune homme qui, depuis deux ans, parcourait son royaume du sud au nord et de l’est à l’ouest. Arrivé à Moulins un mois plus tôt, il alliait les plaisirs de la cour à une curiosité grandissante pour le droit et les ordonnances, respectant toutefois la rigoureuse morale que sa mère tenait à maintenir dans son entourage. Scrutant les deux hommes qui étaient devant lui, bientôt il leur ordonna de s’embrasser.

Le faux baiser
Le faux baiser

Sans ces paroles, jamais les lèvres de ces fiers chefs de guerre ne se seraient effleurées. Mais, contraints et se sachant observés, ils eurent le même mouvement, en même temps, et se surprirent l’un l’autre à trouver si vite la bouche honnie. A ce spectacle, la salle applaudit. On proclamait la paix entre les hommes et entre les religions. Le roi, lui, se déclara satisfait et, jetant un œil vers sa mère derrière lui, vit qu’elle approuvait aussi. Guise et Coligny s’inclinèrent mais, se fixant un instant tandis qu’ils étaient courbés, se jurèrent que la paix ne se ferait pas avant des années.

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14 septembre 2017 4 14 /09 /septembre /2017 18:00

Dans le chemin boueux, détrempé de pluie et labouré par les passages successifs du tout venant, les charrettes avançaient péniblement. Parfois, l'un des membres de l'équipage descendait, quittant son confort relatif, pour pousser et aider la bête suante et hennissante. Au loin, les cheminées fumantes indiquaient l'existence d'un village. Parmi la troupe, les plus jeunes espéraient que ce fut enfin le bon.

 

Au lieu du son des trompes que leur cortège devait susciter, on n'entendit que le cri des porcs et ceux des poulaillers. Les premiers regards qui leur furent jetés étaient tout à la fois habités de curiosité et de méfiance. Parmi les interpellations qu'on leur lançait, certaines relevaient même de l'insolence. Mais ils avaient l'habitude, eux qui avaient traversé nombre de pays, d'entendre louanges et violences avant de parvenir ici.

Le sacre du porcher
Le sacre du porcher

Par un miracle bienvenu, la pluie avait cessé. Dix hommes mirent pied à terre de leurs charrettes crottées et les chevaux, épuisés, furent menés à l'écurie. Là, on les soignerait bien en espérant que cela suffirait pour rentrer. Sur la place du village, tandis que le clocher ajoutait à ce jour une ombre bien inutile, une demi-douzaine d'hommes élégamment vêtus patientaient. Les édiles signifiaient, par leur présence et leur tenue, l'importance de ces hommes dont on honorait la venue.

Le sacre du porcher
Le sacre du porcher

D'abord on se perdit en politesses et en simagrées puis l'un des édiles fit remarquer que ces hôtes venus de loin avaient, c'était même sûr, peut-être faim. Une fois repus, on les invita dans la salle communale où on les fit asseoir sur des sièges rembourrés : parmi les plus jeunes, c'était une invitation à se reposer. Les plus expérimentés surent, en revanche, que c'était là manière de les attendrir : aussitôt ils attaquèrent et dévoilèrent leurs dispositions.

Le sacre du porcher
Le sacre du porcher

Dans leur bourse dormait un joli tas d'écu d'or. C'était un jeu à trois dans lequel les caisses du roi perdraient tout : il s'agissait maintenant de savoir quelle part en aurait chacune des deux autres parties. Au centre de la table, on avait placé plusieurs verres : symboles de générosité, synonymes de ruse. Car les plus jeunes de la troupe, aussitôt, se précipitèrent sur les calices et alors ne resta plus en état de négocier que les plus anciens et leurs hôtes, habiles mais attentionnés.

Le sacre du porcher
Le sacre du porcher

Comme des atouts que l'on abat dans un jeu de cartes, on fit valoir ses arguments. Le vin, disait-on, était la seule richesse du pays de Saint-Pourçain. De plus, on peut dire sans se vanter qu'il ravit les palais les plus fins. Le vin est excellent : ne discutons pas là-dessus. Mais le prix demandé est trop élevé : on en trouve de qualité identique dans des pays plus exotiques. C'est que vous n'en prenez pas assez : dix barriques à peine pour un grand banquet. Pensez donc un banquet ! Le mariage du roi !

Le sacre du porcher
Le sacre du porcher

C'est juste ! Le roi peut bien payer. Le roi, d'où émane toute justice, ne paie que le prix juste.  Songez : c'est la cour qui boira votre nectar. Si d'aventure il s'y trouvait des amateurs, c'est votre fortune qui est faite ainsi que votre gloire. Là-dessus, on évoqua les prix : timidement d'abord, puis avec entrain, avec force et rage enfin pour retenir l'or. Un accord fut conclu. On vit alors partir, en hâte et sans un bruit, le vin et ses gardiens. La pluie recommençait à tomber.

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  • : Récits de voyage, fictionnels ou poétiques : le voyage comme explorateur de la géographie et de l'histoire.
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