Jean, Aimé, Marc, Marcel, Selim, Imanol, Olivier, Edmond, Moncef, Sékou, Ousmane, Manfred, Frédéric, Richard, Arthur, Rémy, Michel, Elie, Lilian, Anselme, Mamadou, David, Désiré, Raymond, Honoré, Renaud, Octavien, Imbert, Bertrand, André, Emile, Hilaire, Hervé, Vien, Enrick, Christophe, Firmin, Innocent.
Mille mains, mille torses, mille hommes, mille vies, mille familles, mille espoirs. Tout cela est couvert de boue, d’urine, de sang, de sueur, de torpeur, de stupeur, d’effroi, d’animalité, d’instincts, de mort. Tous les visages humains sont couverts d’une couche noirâtre qui colle à la peau et ne s’en détachera jamais. Mille corps, mille rires, mille envies.
La tranchée est le long boyau qui les digère. La tranchée est le long et terrible chemin qui les conduit de la vie à la mort, aussi sûrement qu’un obus tombera sur la terre déjà martyre dans les trois prochaines minutes. La tranchée est le refuge et le palais de merde qui les accueille et les enfouit quand, du ciel, vient la mort qui siffle.
La tranchée est le temps qui ricane de les voir, tous, eux et leurs langues qui ne se comprennent pas, se préparer à percer l’affreux corps, l’immonde corps, l’ennemi, d’une baïonnette aiguisée et trop de fois sanglante. La tranchée est le temps qui les console, qui les laisse écrire à leurs femmes et à leurs enfants, à leurs vieux parents aussi, car qui sait que son fils va sûrement mourir ne peut rester jeune et insouciant.
Les côtes sont les objectifs. Elles ont leur numéro, qui ne veut rien dire, mais son existence sur la carte signifie que les enfants d’antan, qui rampaient sourire béat sur les terres battues de leurs chaumières, crieront et hurleront, déchireront et ensanglanteront la terre de leur propre sang ou de celui du Boche, qui a la même vie torturée, et qui pense aussi, les soirs où le sommeil l’abandonne, à son petit pays qu’il a quitté.
La nuit est le chiffon qui efface du tableau noir les noms et le nombre des morts. Soudain, une plainte retentit : c’est un camarade qui est resté sur le champ, les barbelés sont entrés dans ses chairs, il a un éclat de fer dans les entrailles, sa jambe est à dix mètres de lui ou enterrée déjà, elle le précède seulement, dans la boue retournée. Son chant n’a pas de langue : c’est l’ultime soupir de celui qui n’a vécu que vingt ans.
La terre est la mère qui se couvre de cicatrices au fur et à mesure que les hommes la maltraitent, la brûlent et l’incisent, pareils à des fous de mort. Voilà l’homme. Le pire des animaux. L’ange déchu, qui souffle son haleine fétide sur ceux qui restent encore debout. Voilà l’homme. Il a une carte sous les yeux, un nom au centre : Verdun. Et des lignes de couleur alors qu’il n’y a plus que le brun, le gris et le noir. Et le doigt qui pointe quelque chose : ici, les hommes mourront.