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10 mai 2016 2 10 /05 /mai /2016 18:07

 

16 mars 1865. Je l'ai décidé aujourd'hui. J'écrirai prochainement sur ma Provence natale, ma chère Provence que j'ai quittée depuis trop longtemps pour qu'elle me reconnaisse, et cependant j'en garde encore mentalement toutes les odeurs et toutes les images. Il me tarde de commencer et déjà plusieurs questions se posent. Écrirai-je un roman ? Des nouvelles ? De la poésie ? Mes amis disent que je n'ai pas le don de la poésie. 

27 mars 1865. Après avoir longuement réfléchi, j'ai opté pour le recueil de nouvelles. Plusieurs raisons m'ont poussé vers ce choix. La principale est que cette région est trop riche et trop complexe pour être contenue en un seul roman. Ce recueil sera comme une succession de tableaux, tel un musée littéraire, et le lecteur pourra, ainsi que l'amateur de peintures, promener son regard sur telle ou telle histoire.

Fidèle à la lettre

 

24 avril 1865. Il m'est difficile de retrouver l'esprit de ce pays si plein de chaleur. Je vis pourtant à Paris depuis quelques années, et jamais cela ne m'avait semblé si gris et si triste. Mes premiers essais sont catastrophiques : j'ai vu, à la gêne de mes amis, que tout était à jeter. Me relisant, j'ai soudain ouvert la fenêtre et offert au vent ces feuillets inutiles. La pluie a fini de me laver de cette honte en détrempant les manuscrits.

Fidèle à la lettre
Fidèle à la lettre

 

17 mai 1865. L'espoir renaît en même temps que le printemps. La coïncidence est hasardeuse mais c'est un signe que je ne néglige pas. J'ai écrit cinq nouvelles, particulièrement bonnes et, c'est le plus important, qui révèlent un peu de l'âme de ma Provence. Tandis que ma plume glissait sur le papier, je sentais la lavande, j'entendais la rumeur têtue des cigales et je me sentais accablé de ce soleil délicieux.

Fidèle à la lettre
Fidèle à la lettre

 

7 juin 1865. Rien ne va plus. Mon éditeur a refusé les dernières nouvelles que j'ai imaginées, arguant qu'elles étaient farfelues et relevaient d'une fantaisie que n'acceptaient pas les gens de sa trempe. Cette discussion pour le moins houleuse a eu lieu hier. J'erre depuis sur les boulevards et en mon esprit se dessinent les chères montagnes au front blanc, peuplées d'oliviers pareils à des êtres fantomatiques.

Fidèle à la lettre
Fidèle à la lettre

 

10 juin 1865. Je veux rentrer. Je me suis informé des horaires des trains mais un de mes amis m'a rattrapé sur le quai. Mes personnages sont caricaturaux et nul ne pourrait les prendre en sympathie. Ah, ma Provence, mes Provençaux, vous ai-je donc trahis ? N'étais-je pas, moi votre semblable, le meilleur pour vous peindre ? Il est plus que temps d'en finir avec ce projet, et de retourner à mes fades mondanités.

Fidèle à la lettre
Fidèle à la lettre

 

2 août 1865. J'ai eu de la peine en mettant le point final à la dernière nouvelle, mais tant de joie de savoir ce recueil bientôt publié. Je reçois les avis enthousiastes de mes amis, mon éditeur lui-même s'est réjoui ouvertement de ce qu'il appelle mon talent. Je l'appelle, quant à moi, fidélité. Fidélité à une terre qui ne m'a jamais quitté quand moi, pourtant, je l'ai délaissée. Fidélité d'une terre à elle-même que j'ai voulu, par humain orgueil, immortaliser.

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commentaires

L
Il s'agit effectivement d'Alphonse Daudet, écrivant les Lettres de mon moulin depuis Paris. Pas de lieu précis évoqué dans cet article, hormis le moulin de Fontvieille que l'on voit en photo, mais plutôt un essai de capturer avec les photos, comme le fit Daudet dans son recueil, un bout de l'âme provençale.<br /> Je comprends que tout cela puisse vous manquer. C'est une région qu'il est très agréable de visiter ; j'imagine qu'y vivre doit l'être tout autant.<br /> A bientôt !
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E
Coucou, c'est encore moi. J'espère que cela ne te dérange pas. J'ai cru deviner qu'il s'agissait d'Alphonse Daudet dont tu parlais.C'est vrai qu'elle est belle cette Provence.J'ai eu la chance de l'habiter pendant mes premières années de ma vie et j'en garde des souvenirs qui continuent de me donner du baume au coeur. Toutes ces senteurs, ces paysages, les chênes lièges, les mimosas, les cigales et cette vue sur la mer parfois. Et cette chaleur écrasante aussi. Sourire. Bonne journée à toi !
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