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17 janvier 2017 2 17 /01 /janvier /2017 19:00

Sous son heaume, incandescent à cause de l’été ardent, le seigneur scrutait attentivement la place haute. Trois tours cernées de murailles pour le moment infranchissables s’opposaient à l’avancée du baron dans le pays. Suant, étouffant et, pire encore, rageant en son for, l’homme espérait bien rendre tristement célèbre dans toutes les manses et dans toutes les âmes son nom de Montfort. Las, les assiégés résistaient. Il fallait désormais ruser.

Depuis de nombreux jours, déjà, la chaleur excédait les corps. Les récoltes se désespéraient dans les champs de rejoindre finalement les greniers. Tout cuisait, littéralement, sauf le pain dans les fours, sauf les bouillies sur les feux. Dans le village déserté, les assiégeants patientaient, jouant du couteau, taillant des flèches, mâchonnant des brindilles et bravant l’ennui en contant les affreux exploits passés.

Le malin triomphe
Le malin triomphe

Dans le donjon, les parfaits étaient réunis. Une chaleur terrible régnait au dehors, et elle semblait même les accabler au-dedans. Si l’un d’entre eux prenait la parole, celle-ci était aussitôt suivie d’un long silence qui pouvait aussi bien passer pour de la réflexion que pour de l’affliction. De l’extrémité du château parvenaient les râles des mutilés qu’avait envoyés le Franc depuis les cités voisines. Sans yeux, sans langues, ils affrontaient déjà la mort.

Le malin triomphe
Le malin triomphe

Parmi la soldatesque, deux camps s’étaient formés : les vaillants, désireux de frapper le double ennemi de l’épée du juste, et les prudents qui refusaient le trépas certain qu’offrait le combat. Les stropiats fournissaient l’argument : plutôt la mort que cela disaient les uns, le salut contre un château rendu préféraient les autres. Le seigneur et les capitaines, eux, débattaient de la même manière. Quant à leur illustre prisonnier, familier du maléfique suzerain, il promettait au nom de ce dernier une issue honorable à ses gardiens.

Le malin triomphe
Le malin triomphe

Les assaillants, n’en pouvant plus d’inaction, commençaient à préparer l’attaque finale. Montfort ordonnait, et son regard exprimait une folie redoutable, car on la devinait mue par une indicible et puissante volonté, telle une flamme que rien n’aurait su ruiner. Il répétait à l’envi, tant à l’attention de ses hommes que des parfaits détenus dans l’enceinte, qu’ils allaient ravager las tors. Si tous ses auditeurs s’inquiétaient de ses cris, du moins ses soldats savaient le massacre imminent permis. Cette perspective les rassurait.

Le malin triomphe
Le malin triomphe

Dans leur malheur, les Cathares voyaient la troupe esseulée, celle des hommes sans nez et sans oreilles, se recroqueviller dans la mort. Une épouvantable odeur de sang et de chair vive se répandait entre les murs. Devant la détresse, face à la certitude de l’hécatombe, le seigneur décida la reddition dans un murmure. Il se traîna au dehors, se mit à la courtine. Il héla son adversaire, qui ajoutait donc à la valeur guerrière la peur comme alliée dans ses victoires.

Le malin triomphe
Le malin triomphe

Ainsi fut le château rendu, ou plutôt donné, alors même que le Franc avait déjà ici échoué. C’était il y a plusieurs saisons, plusieurs étés terribles, où le fer frappait plus durement que le ciel et que l’on réservait à un dieu bienveillant le soin de reconnaître les siens. Les deux seigneurs, le vaincu et le vainqueur, se croisèrent. Derrière le vainqueur, on célébrait la conquête ; derrière le vaincu, une longue file cadavérique descendait dans la vallée, vivante et humiliée.

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