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5 avril 2017 3 05 /04 /avril /2017 18:00

Sa démarche est hésitante, il chute à deux reprises : il est ivre. Aux fenêtres des maisons, les vieilles femmes et les bons pères de famille rient de lui. Dans le quartier, on le connaît bien. Il vient certains soirs faire la noce et boire aux tables, même s’il n’est pas invité, le rhum brûlant péché. Comme nombre de ses compères, il ne sait ni ne veut s’arrêter. La maréchaussée vient à point nommé et, sans ménagement, le conduit en de biens tristes appartements.

Au poste aussi, on le reconnaît. C’est Cyparis, pardi, notre fugitif. Les gendarmes s’exclament, se poussent du coude, désignent du menton celui qui s’est maintenant écroulé sur le béton. T’as pas voulu faire un mois seulement, t’en feras deux ou trois pour la leçon, qu’ils lui lancent. L’autre dort déjà. La belle soirée de mai est largement entamée. Au moins ceux du poste auront-ils quelque chose à raconter.

Quatre murs
Quatre murs

Un bruit d’orage a éclaté. C’est étrange car le ciel est clair, limpide comme l’est la mer, et la matinée ne saurait être gâchée par quelque mauvais air. Le marché est installé, les étals sont plein de couleur et de senteurs, Saint-Pierre bruit déjà de son affairement quotidien. D’un coup d’un seul il n’y a plus rien. La divine Pelée a tout emporté, tout brûlé, tout empoisonné. Des nuées suivent la coulée, ravageant ce qui aurait pu survivre. Rien, il n’y a plus rien.

Quatre murs
Quatre murs

Anéanties, les belles maisons saint-pierraises d’où sortaient les belles dames aux jambes si enviées. Eteintes, les lumières du port accueillant les navires de métropole et saluant le départ du sucre roi. Disparus, le théâtre, les beaux monuments, les rues propres où coule l’eau fraîche, morts absolument morts les marins en escale, les vendeurs de journaux, les médecins, les épiciers, les rémouleurs, les aubergistes, les nourrices.

Quatre murs
Quatre murs

Au fond de son cachot, ledit Cyparis suffoque. Un air brûlant emplit ses poumons, et de petits démons ardents se déposent sur sa peau, mordant ses chairs de mille dents terribles. Entre ses quatre murs, dans un air noirci comme aux jours de l’apocalypse, l’ancien bon vivant danse contre la mort, sautillant sur ce sol de feu où agonisent les charbons incandescents, ne pouvant pas même hurler car il risque d’avaler ce trépas enflammé qui harcèle son ultime victime.

Quatre murs
Quatre murs

Lorsqu’il se réveille, il ne sait si c’est le jour ou la nuit. Les murs sont noircis, un silence absolu emplit le réduit. Cyparis veut appeler mais sa gorge le met au supplice. Il persévère, ne sachant vraiment s’il est en vie ou bien s’il se trouve aux portes de l’enfer ou du paradis. De cela il doute, n’ayant, de sa vie, jamais été homme sans reproche. Ses cris, où affleurent les larmes qui ne peuvent couler de ses yeux, attirent les secours. On déblaie, on le retrouve, le corps supplicié, le regard apeuré, implorant en silence qu’on le soulage.

Quatre murs
Quatre murs

C’était un prodige accompli par le diable en personne. Quiconque serait venu aurait vu une baie certes ravagée mais vierge, comme si Saint-Pierre n’avait jamais existé. Seul Cyparis et un autre marchand miraculé en témoigneraient désormais, mémoires survivantes d’une cité à la réputation de perle, merveille caraïbe engloutie en de sombres nuages et en des tempêtes de flammes. Au loin se pressent reporters et hommes d’affaires, flairant l’argent dans les débris, comptant sur Cyparis pour leur conter la ruine de ce pays.

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