Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
7 mars 2018 3 07 /03 /mars /2018 19:00

Jamais le señor Bouchard n’aurait cru Guillermo capable de pareille chose. Gisant dans son sang, il éprouvait une douleur terrible à l’abdomen. Y portant les mains, il sentit dans le creux de ses paumes et au bout de ses doigts une sorte de tube chaud et gélatineux, qu’il sut immédiatement être ses entrailles. Le señor Bouchard essaya d’appeler à l’aide mais du sang obstrua soudainement sa gorge et il commença à s’étouffer.

Avec peine, il gardait les yeux ouverts et, bientôt, il eut ses premières visions. Il revoyait la mer. Une mer bleue, et calme, et sur laquelle un soleil irradiant projetait des milliers d’éclats dorés, signaux superbes qui annonçaient pourtant le danger des flots. Cette mer, c’était chez lui. Il pensait : chez moi, et il pensait à l’Argentine. Puis il se souvint. Chez moi : en Provence. Chez mes parents, à Bormes.

En fin de course
En fin de course

Les souvenirs affluaient : la jeunesse sur les bateaux de pêche, les premiers rayons du soleil, à l’aube, qui réchauffaient les corps tandis que l’on essaie de deviner la position des bancs de poisson. Le señor Bouchard s’était ensuite engagé dans la Marine, avait bourlingué sur d’autres mers, avait connu intimement la Méditerranée, l’Atlantique et la Manche, et encore la mer des Caraïbes, et celle des Sargasses.

En fin de course
En fin de course

Il avait fait escale dans des ports où son accent intriguait. Aussi, il avait vu des mers grises comme le ciel. Il avait vu des îles merveilleuses dont la terre et les arbres donnaient des fruits délicieux. Dans d’autres ports, il parlait pour les autres une langue étrange et son accent, comme ses mots, ne voulaient plus rien dire. Naturellement, il avait aussi combattu.

En fin de course
En fin de course

D’abord le sang anglais puis le sang espagnol s’étaient mêlés à l’eau saline en même temps que le sien, français, avait épousé celui d’une Argentine. Il revoyait maintenant ses premières amies, fugaces amours, avec lesquelles il se cachait au creux des rues et des maisons colorées. En ce temps-là, il parcourait son tendre village, centre du monde, entre saint Trophyme et saint François, ne songeant à quitter ni ses ruelles escarpées, ni son vieux château ruiné, ni l’énorme massif forestier qui l’entourait.

En fin de course
En fin de course

D’une révolution à une autre, ses idéaux n’avaient pas changé. De sa première patrie, il n’avait gardé que le bleu et le blanc, délaissant le rouge dont son poitrail était présentement maculé. De la guerre à laquelle il avait consacré sa vie, il avait retiré gloire, honneur et fortune. Il avait espéré se retirer en paix dans sa sucrerie. Las, sa position de moribond témoignait de son échec et son assassinat par l’un de ses gens devenait une marque d’infamie.

En fin de course
En fin de course

Le señor Bouchard mourait. Loin de son pays, il se vidait de son sang. Une dernière fois, Bormes lui apparut. La même image, toujours, le hantait : de retour de la pêche avec son père, arrêtés tous deux à l’ombre de l’église et d’un vieil arbre, les deux hommes scrutaient les affaires qui se faisaient dans la rue. Le sang du señor continuait de couler. Il était trop tard pour les regrets.

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : LM Voyager
  • : Récits de voyage, fictionnels ou poétiques : le voyage comme explorateur de la géographie et de l'histoire.
  • Contact

Recherche

Archives

Liens