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17 avril 2019 3 17 /04 /avril /2019 18:00

La bannière resplendit sous le soleil éclatant. Les mains agrippées à la hampe, le jeune page ne cille pas. Il a le regard fixe, comme tous ses compagnons qui se tiennent à ses côtés. Ils forment une armée de gens divers. Chacun est venu avec son arme qui provient qui de sa maison, qui de son atelier, qui de son champ. Seul le maître de la ville, Guillaume, a, et ses gens également, des armes dignes d’être appelées ainsi.

 

Derrière eux, il y a la ville, Aleth, et ses murailles antiques que personne, depuis longtemps, n’a songé à relever. Derrière eux, il y a aussi cette vieille femme, d’âge immémorial, qui a connu les temps fastueux de la cité. Aujourd’hui, elle est presque aveugle, mais elle leur murmure encore des mots d’encouragement. Bons hommes, beaux hommes, souffle-t-elle, combattez bravement, permettez-moi de retrouver, une fois encore, le temps de ma jeunesse.

Insolente jeunesse
Insolente jeunesse

L’olifant sonne haut et clair dans le camp adverse. Ceux d'Aleth n’ont même plus une flûte pour les accompagner au combat ; l’aède est orphelin. Seule la litanie plaintive de la vieille femme se fait entendre dans les rangs. Elle conte les jours merveilleux, les riches saisons, les âges où Aleth domptait l’océan aussi bien que ses lointains alentours. C’était le temps sacré des Romains et des premiers évêques. C’était il y a des siècles.

Insolente jeunesse
Insolente jeunesse

Tous ces faits de gloire donnent du courage à ces loqueteux à mesure qu’ils gagnent le champ de bataille. Leur chef, Guillaume, les harangue et célèbre leur sacrifice pour la patrie comme un prêtre antique qui s’apprête à offrir une libation sanglante. La voix de la vieille femme les accompagne toujours. Elle chante la renommée d'Aleth, celle qui gagnait toutes les cités du monde par-delà les mers et les montagnes. C’est de cela dont cette inoffensive assemblée est l’héritière.

Insolente jeunesse
Insolente jeunesse

L’adversaire est à portée d’arc ; les flèches pleuvent. Les Malouins, aidés de mercenaires du roi de France, sont l’expression de la vitalité de leur cité. Sur le rocher en face d'Aleth, là où un ermite s’installa dans l’endroit le plus hostile de la Gaule, s’élève maintenant une cité orgueilleuse et qui ne supporte pas la concurrence de son antique voisine. Les Malouins ont derrière eux une jeune femme dont la voix claire ne porte pas la complainte des exploits passés ; elle chante plutôt les promesses d’un opulent avenir.

Insolente jeunesse
Insolente jeunesse

La bataille s’engage enfin. Les lances et les piques embrochent toute une piétaille de séniles et d’infirmes, dépêchés là pour grossir les rangs. Puis le combat se fait plus honnête. On se découpe et on se tranche hargneusement avant d’être surpris par le déchirement de ses propres entrailles. Là-bas, derrière les murs d'Aleth, la vieille femme pleure. Elle prend à témoin le destin, lequel a privé la cité de ses richesses puis de ses bourgeois et enfin de son évêque. Cette bataille n’est que le sursaut d’une moribonde.

Insolente jeunesse
Insolente jeunesse

La bannière est encore immaculée et le soleil couchant lui donne des teintes safranées. Les mains toujours agrippées sur la hampe, le jeune page grelotte de froid, car le sang a quitté son corps. Lentement, il meurt au milieu de ses frères d’armes, frères d’infortune, agneaux de lait que le lion malouin vient de dévorer. Les vainqueurs s’en retournent vers la jeune femme qui rit de n’avoir plus d’odieuse rivale. Derrière les murs d'Aleth, la vieille femme ferme les yeux ; elle suit en cela le chemin de ses enfants morts.

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