Sous la houlette du roi, les ouvriers s’acharnent. Peu à peu, Richard voit s’élever le cadenas de sa province. Du haut du promontoire, c’est la Seine qui se trouve dominée, en même temps que les terres qui se trouvent en aval. Et si la terre n’est plus sainte, elle est en revanche sacrée pour celui qui la détient.
Voici deux ans que les pierres commencent à dessiner les contours de la sécurité. C’est la Normandie, l’enjeu de la bataille. Philippe et Richard, alliés contre le Sarrasin, s’empoignent vaille que vaille. L’aridité perdue leur fait retrouver le goût de la ferraille ; pour les vertes plaines l’on se battra, car convoitise est fille d’abondance.
Le paysage bucolique et charmant sera-t-il le champ des ouvrages sanglants ? C’est là l’intérêt de la forteresse : favoriser la convergence des forces divergentes. Aux pieds de la menace immaculée, le village des Andelys semble ne même pas trembler. C’est que le fracas, aussi terrible soit-il, laissera bientôt place à la quiétude quotidienne.
En attendant l’ost, Richard est mort. Jean lui a succédé, et c’est lui qui voit arriver aux abords de son castel les beffrois et les lanciers. Dans le donjon rond l’on s’affole ; les augustes oriflammes semblent sonner l’heure du roi d’Angleterre, qui bientôt sera privé de terres. Mais ce sont les bouches inutiles qui sont bientôt privées des nourritures essentielles. L’hiver passe. Le symbole trépasse.
Les semaines se suivent, mais le temps a arrêté sa course. Le duché lui est déjà promis, mais Philippe préfère soumettre le gaillard château, dont la garnison s’est isolée loin des traits déloyaux. Les épées au fourreau, c’est davantage la faim qui contraint. Le roi s’est entouré d’un Gallois qui connaît les combines. C’est lui qui percera le secret de la citadelle et la livrera à la rapine.
A la fin de l’hiver, les assiégés se rendent. Par la chapelle ou les latrines, les assiégeants ont pénétré, forçant l’Anglais à livrer les clés. La Seine se fait voie royale jusqu’à la mer et, si de l’autre côté de la Manche on ne désespère, c’est que l’île demeure encore inviolée. Le royaume s’agrandit ; quant au château Gaillard, il est menacé, presque détruit.
Aujourd’hui en ruines, la clé de la Normandie, vestige du génie militaire d’un combat oublié, impose encore à ses visiteurs la puissance de sa situation. La Seine en contrebas fait mine de courber l’échine ; les murailles ont encore, et largement, leur pouvoir d’inspiration. Les hommes morts ont, un instant, revécu. Les siècles n’y peuvent rien, ces moments ne sont pas perdus.