Chaleur étouffante, soleil pareil à un matador implacable, lançant ses banderilles lumineuses sur le voyageur hagard. Quelques gouttes de sueur s’échappent de leur hauteur capillaire pour s’écraser sur le sable qui s’élève en spectres habiles. Les yeux éblouis cherchent dans la grande clarté des repères tangibles. Un village infernal se fait prise inespérée.
Dans la végétation provençale, Roussillon apparaît comme un mirage enflammé. Les façades sont rouge ou bien orangées, ou encore d’un jaune qui irradie le panorama. Un chemin s’enfuit vers l’église, seul refuge de fraîcheur dans la torpeur harassante. Cependant l’ardeur du jour ne se tempère pas, et la pourpre des maisons emprisonne chaque rayon de l’astre diabolique.
Chaque pas s’alourdit d’une gravité, d’un poids qu’augmentent encore les pentes insoumises du bourg. Des formes végétales pendent aux murs alors que le village, au contraire, s’est hissé au-dessus de la terre. La verticalité s’échafaude en fiers édifices dont les tons s’attristent ou s’enorgueillissent des traces du temps. Jusqu’au clocher, rose à sa base, assombri à son faite, qui défie le ciel de sa croix gracile.
En prenant de la hauteur, le contraste s’accentue. De lointaines barrières bleutées ferment l’horizon et une verdure obscure a envahi la plaine. Au-delà du paysage, la silhouette fantomatique du mont chauve rajoute au mythe du site. De retour dans le cœur sanglant du village, le contraste disparaît. Les fleurs s’accommodent d’une égoïste rougeur et ajoutent à la luminosité ambiante.
Par-delà le village, enfin, un sentier de poudre de feu serpente en dénivelés arénacés. Les formes, cette fois, s’affranchissent des angles et poussent l’imagination au néologisme. Le spectacle des ocres se teint de déclinaisons formidables, aux délimitations à peine visible. Des larmes rosâtres coulent sur des fonds d’or et des caillasses empourprées apparaissent comme l’expression d’une colère naturelle.
Enfin les orangés prennent le relais, rappelant les fruits de la terre et les peintures ancestrales. D’immenses pitons font penser à Carroll ou à Verne, alors que les jeunes pousses de conifères révèlent l’exotisme de leur tempérament. Quand tout semble se mêler en un tourbillon de couleurs exaltantes, Roussillon reparaît alors, auréolé d’une nouvelle gloire.
On imagine alors le village sorti littéralement de terre. Et l’antre du Diable se fait antichambre du Paradis. Dans le feu et la fatigue, les couleurs se radoucissent. Cependant que le jour décline, le pays redevient humain. Le village, lui, demeure merveilleux.