L’air iodé fuit sur les routes depuis les marais alentours. Un air sain et frais, un air de la mer qui fouette les visages : les prémices de la côte. Les eaux paraissent dormir entre les herbes sauvages et les bords craquelés des œillets. Les voies désertes offrent aux rares paludiers présents un silence bienheureux.
Quelques toits jaunis, au loin, assurent d’une présence humaine dans les environs. Et quand les marais disparaissent, la forêt prend le relais, comme inaccessible dans le paysage, mur vert qui interdit tout horizon. L’eau s’agite soudain, frémit sous l’action du vent, lâchant quelques particules iodées que les narines accueillent comme une promesse future.
La mer approche. Les oiseaux la chantent, là haut. Quelques kilomètres encore de marais, et Guérande surgira. En arrivant par les faubourgs, le suspense monte. Les murailles sont cachées, les montagnes de sel demeurent introuvables. Mais enfin les remparts se dressent, tous créneaux dehors, précédés d’un fossé sombre. La porte, encadrée par deux tours rondes aux diamètres menaçants, pourrait encore subir le choc d’une troupe.
Au centre de la modeste cité, la collégiale Saint-Aubin élève ses pinacles gothiques et son clocher acéré. L’entrée dans le sanctuaire se fait par le portail sud. La pierre grise offre un écrin bien sombre aux vitraux de lumière. Celle-ci jaillit par tous les personnages vitrifiés. Les scènes bibliques s’illuminent mais peinent à éclairer l’entièreté de la maison divine.
Aux pieds de l’église s’échinent des paludiers immobiles, perchés sur des échasses ferreuses. Par leurs las et leurs lousses, tous indiquent ces maisons anciennes qui composent la vieille cité médiévale. L’une d’elles, à pans de bois bleu, veille sur la chapelle Notre-Dame-la-Blanche tandis que, de l’autre côté des pavés usés, une devanture d’améthyste réveille la rue de sa torpeur hivernale.
Enserrée dans ses fortes clôtures ouvragées, Guérande a la chance de ne pas être tout à fait envahie par les commerces intempestifs. Au gré des rues et des venelles se suivent les hautes maisons et les folles végétations. Et les murailles quittées à l’entrée de la cité reparaissent à la fin de la promenade, telle une épanadiplose itinérante.
La cité du sel n’en a pas les murs blancs pour autant. Au milieu des marais, l’ancienne cité médiévale élève sa belle stature sur les parcelles aquatiques qui portent en elles cet or clair. Guérande et ses hauts murs calque son rythme de vie sur celui de son précieux sel. Si les saisons chaudes battent leur plein, les froides, elles, patientent sagement ; comme le sel qui remonte lentement à la surface des marais, la foule saura bientôt revenir. Profiter des moments de quiétude, c’est alors assister à l’énième gestation de tout un pays.