Le ciel se charge de noirs nuages tandis que nous traversons l’espace autrefois sacré. Au cœur d’un pays marqué par les courts vallons et les étendues boisées, quelques hommes érigèrent là un refuge tant matériel que spirituel. Peu à peu, un village s’est blotti contre l’abbaye, créant un espace de vie quand tout n’était auparavant que vert désert.
Deux croix accueillent le visiteur égaré. Puissante et massive, la première répond à une seconde plus intime, petit bloc de granit fêté par les fleurs des champs. Une image anthropomorphique y est gravée. On ne distingue plus ses jambes et son visage semble avoir subi les outrages du temps ; deux yeux et une bouche pour seule identité.
L’abbatiale impressionne. Sa stature brute inspire un recueillement profond, presque solennel. Avec un donjon en guise de clocher, elle est un abri sûr pour les âmes perdues. On entre, sous la bénédiction mariale, dans un narthex pâle dont les murs laissent échapper, ça et là, quelques pierres apparentes. La charpente elle-même est immaculée, accentuant la dimension de pureté de l’édifice.
Le chœur est un parfait exemple de l’art roman. Sur trois étages s’ouvrent des baies en ogive. L’étroitesse accroît l’effet de grandeur. Tout confine cependant à la sobriété. Les chapiteaux ne sont décorés que de petites têtes énigmatiques, sauf quelques rares exemples qui exposent figures fantastiques et visions mythologiques.
Le mobilier est rare, tout comme les marques ostentatoires de richesse. Seuls, des autels où le détail devient profusion montrent quelque raffinement du goût. A l’inverse, des statues médiévales polychromées glorifient l’austérité en même temps que les saints qu’elles représentent.
Le ciel s’est libéré. A travers les herbes encore un peu humides, un chemin s’enfuit vers le chevet. Deux ou trois pommiers constituent les fidèles compagnons de l’abbatiale. Plus en contrebas, une onde fluette s’écoule au rythme d’un environnement largement paisible. Il n’en faut guère plus pour le repos de l’âme.
L’abbaye a porté sa puissance éponymique à son village de Lonlay. Dans la longue vallée, assailli par une nature aussi saine que menaçante, l’édifice sacré a porté la simplicité au rang de vertu. Son dépouillement, qui ne tolère que de singuliers écarts baroques, n’a d’égal que la rusticité de ses alentours. Comme un appel à la méditation, ou, tout du moins, une invitation à l’humilité.