Au bout de la ligne frétille un goujon. Son combat est désespéré : son avenir réside dans le panier du pêcheur plutôt que dans un hypothétique plongeon. L’hameçon aussitôt replonge, le vers en appât, attirant à lui le prochain repas du midi. L’homme au bout de la canne savoure déjà sa victoire, même s’il relâche, beau joueur, le fruit de ses efforts.
Un peu plus loin est un homme et son chien. L’épagneul promène sa robe rousse au travers des bois que le printemps a rendus vert. Son maître examine soigneusement les traces de quelque animal passé par là ; il siffle son compagnon avant de revenir sur ses pas. Ses bottes s’humidifient de la rosée matinale. L’aube nait encore, luisant sur la rivière, promettant une journée estivale.
Au même moment, on ouvre des volets pour découvrir à nouveau l’abbatiale clunisienne, aux allures conquiennes. De petits yeux encore ensommeillés, des rides qui marquent une vie déjà au passé, mais une lueur qui indique une irréductible vitalité. Le Patron tend les bras pour accueillir la future âme, et il devine, à l’œil moqueur, qu’il lui faudra patienter encore pour que la dame dépose les armes.
Le pain à la main, l’élégant salue celle qui, bien vite, ferme sa fenêtre. Lui aussi passe devant le portail sacré auquel il jette un regard mi roublard, mi inquiet. C’est que les diables et les dragons pourraient bien l’attendre, lui qui se vante qu’il n’est plus enfant de chœur. Rapidement, il passe le monument, évite de loin l’abside et file vers sa porte qui le rassure tant.
Plus tard dans la matinée, on se prépare à sortir. La haute maison protège encore son occupant, qui veut passer chez son boucher et le libraire, ses amis mais aussi des marchands. Pour le plaisir, il s’octroie un détour, longeant les bords de la Dordogne, souriant au pêcheur qui s’indigne de ne rien rapporter, glissant dans quelque ruelle, au hasard, en espérant bien se perdre sans jamais y arriver.
Au café on se retrouve, discutant des nouvelles du village et du pays, s’indignant ou s’esclaffant, riant bien qu’en ce Beaulieu, sur la Dordogne sis, on n’ait jamais à faire à aucune sorte d’évènement. Un homme agacé sort, surgit près d’une chapelle qui élance bien haut ses arcades, se calme en déchiffrant les inscriptions sur les frontons. Bien vite il rêve à des temps anciens, ignorant sans doute qu’alors aussi on s’emportait parfois pour un rien.
Son brin de ménage et de toilette fait, il s’échappe de sa maison qu’il voit parfois comme une prison. Il est déjà tard, et l’après-midi commence. A la margelle d’un puits, il s’arrête, contemplant la placette qui est toujours si calme et si jolie. Il n’y a personne dans les rues, et c’est là la tragédie dans ces villages qui facilement s’endorment, et puis s’oublient.