C’est une étiquette poussiéreuse, sur laquelle il faut passer la main afin de pouvoir lire les lettres capitales. Une année, et les souvenirs qui l’accompagnent, et un lieu - Chablis -, et les promesses d’un régal. L’opercule est déjà retiré, et le cep s’enfonce dans le bouchon. La force physique fait le reste : le vin est libéré.
Bientôt il se répand dans le verre, se love contre la paroi qui, par les reflets, rend à merveille ce jaune pâle doré. C’est le labeur des années qui exhale son parfum et exalte celui ou celle qui y trempera ses lèvres. On le lève et on l’observe, à travers la lumière d’un jour d’été. Léger et frais, le vin rend hommage à son créateur : bientôt il enchante et enivre qui le boit sur l’heure.
Tout avait commencé en hiver. La vigne orpheline pleurait les fruits disparus. La branche allégée mais la racine lourde, la voici coupée et débarrassée de ses bras inutiles. Les menus travaux et l’attente durant les mois gelés faisaient penser à un monde stérile. Un sommeil de quelques mois tandis qu’en ville, on juge, cave à l’appui, la récolte juvénile.
Vint alors avril. Les bourgeons qui poussent, le recommencement qui éclot. La rivière sous le pont semble plus vive, les tuiles sous la chaleur se ravivent. Seul le gel brandit son spectre, tel un incorruptible fléau. L’homme a encore à faire : il sélectionne, pareil à un scientifique, le fruit qui donne et le grain parasite. Enfin seules, les grappes choisies peuvent croître sur le chemin du fût béni.
Bien vite, juin revient. Les verres, de nouveau, s’emplissent du vin jeune qui détient, certes du raisin, mais aussi de l’agrume et des fleurs. Les caves reçoivent les amateurs, le nectar quitte les rives du Serein. La floraison gagne les ponts et les rebords de fenêtre, ainsi que les allées de vignes, comme le sucre gagne alors les grains.
Tandis que la ville est désertée, le calme ne revient que dans les lieux habités. L’automne arrive, et il faut désormais cueillir. Les sécateurs s’activent, les paniers se chargent. Des femmes et des hommes arrivent, prêts à récolter. Dans ce travail ancestral, les gestes changent peu. L’œil s’aiguise, répétant les savoir-faire des aïeux.
Tandis qu’octobre tire à sa fin, l’agitation disparaît. Les ceps allégés retrouvent leur tranquillité. La ville elle-même s’assoupit, sous la garde des deux tours qui surveillent l’entrée. Dans les cuves, le liquide s’affermit ; anonyme, c’est sa force qui le caractérisera. En attendant sa future libération, on peut parcourir les rues automnales : Chablis a encore l’avantage d’être originale.