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22 février 2017 3 22 /02 /février /2017 19:00

LA VERITE TUE. LA LIBERTE, C’EST LE RENONCEMENT. Comme tous les soirs, Sam L. passait sous le panneau gigantesque sur lequel les lettres de néon brillaient jusqu’aux premières heures de la soirée afin de regagner son logement. Celui-ci était situé dans le bloc 4, bâtiment D, au quarantième étage, appartement E433, et était doté de tout le confort honnêtement souhaitable. Sam L. ne connaissait pas ses voisins et, à vrai dire, peu lui importait : l’émission « Le grand bonheur » commençait très bientôt.

De toutes les cités de la surface terrestre, Abraxcity était la plus étendue, la plus droite, la plus haute ; en un mot : la plus belle. Son béton rosé si caractéristique, qui faisait et la fierté et la renommée de la cité, s’étendait sur des kilomètres et, malgré les moyens technologiques les plus avancés dus aux progrès incessants, nul n’avait réussi à en faire jamais le tour en un seul jour. Sam L., comme tous les habitants de la cité, croyait les échevins sur parole à ce sujet.

Abraxcity
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Si Sam L. avait hâte de rentrer, c’est aussi parce c’était le Jour de l’Individu. Une fois par mois, chacun pouvait se consacrer à ses activités personnelles, après avoir dûment rempli ses obligations professionnelles envers l’Etat et ses concitoyens et non sans avoir présenté ses louanges au temple du Plus Humble. Ainsi Sam L. se cala-t-il dans son fauteuil à mémoire de forme, allumant ses écrans muraux multiples aux webcams intégrées qui enregistraient en permanence et ce, pour des raisons évidentes de sécurité.

Abraxcity
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Sur les écrans, le présentateur annonça de nouveaux gains de productivité. Il fustigea ensuite l’extrême minorité, d’une irresponsabilité absolue, qui s’était permis de tenir tête aux forces de l’ordre venues mettre fin aux réclamations honteuses de nourriture. Soudain, on frappa à la porte. Alerté, Sam L. se leva et, absolument certain de son irréprochabilité, alla ouvrir. On lui demanda son matricule et sa profession. Matricule E433-1, Informateur de seconde classe au Ministère de la Vérité.

Abraxcity
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C’était une enquête de voisinage, lui indiqua un homme à la mine sombre, vêtu d’un pardessus noir et d’un chapeau de métal fin qui protégeait des pluies acides qui tombaient régulièrement. L’homme était accompagné de trois gaillards, armés de pied en cap, qui restèrent muets. On demanda à Sam L. s’il était absolument convaincu de la respectabilité de E-445-2, c’est-à-dire de sa voisine d’en face, ce à quoi il répondit, en toute honnêteté, non. Il ne l’avait jamais croisée, et bien sûr ne lui avait jamais parlé. Il ne pouvait donc savoir quelles étaient ses relations.

Abraxcity
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On lui demanda ensuite si, à son avis, des activités illégales, mettant à mal l’autorité de l’Etat et des Echevins, pouvaient possiblement être pratiquées dans l’appartement E-445. C’est possible, répondit-il, à nouveau en toute honnêteté, car il ne faisait que sortir et rentrer chez soi pour aller travailler, et qu’en conséquence, des activités illégales pouvaient très bien être pratiquées non seulement dans l’appartement sus cité, mais aussi dans tout le bâtiment. L’enquêteur parut satisfait. Il salua et partit.

Abraxcity
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Ce n’est qu’après avoir fermé la porte que Sam L. se rendit compte que son cou et son front étaient couverts de sueur. Il retourna s’asseoir, ses mains tremblantes, et il ferma les yeux. Il entendit alors un vacarme terrible dans le couloir : c’était E-445-2 qu’on traînait par les vêtements et les cheveux pour la soumettre à un entretien. Les cris cessèrent bientôt et Sam L. retrouva son calme. Il alla alors à la fenêtre, sans trop savoir pourquoi. Dehors les mots clignotaient : LA LIBERTE, C’EST LE RENONCEMENT. LA VERITE TUE.

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