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2 octobre 2017 1 02 /10 /octobre /2017 18:00

Le bras était bloqué dans un repli de la chemise. D'un habile mouvement le vieil homme se dégagea et, enfin, sa main sortit du vêtement immaculé. Il boutonna sa chemise puis rentra celle-ci dans son pantalon, noir pour l'élégance, et maintenu par une ceinture de cuir, noire elle aussi, à la boucle aux reflets d'argent. Il mit sa veste - plus difficilement car elle était rigide - et se dirigea vers la salle de bain. Sur le lavabo, crèmes et lotions l'attendaient.

Il commença par ses cheveux. Malgré ses quatre-vingt trois printemps, il avait conservé une chevelure abondante dont la blancheur illuminait les costumes sombres. D'un geste sûr : ce geste qu'ont les minots quand ils se préparent à sortir, il plaqua sa tignasse en arrière puis, par retouches minutieuses successives, il corrigea les menus défauts. Il appliqua ensuite une crème sur son visage et veilla à ce qu'elle pénètre bien les pores, comme cela était indiqué sur le flocon.

Le vieux beau
Le vieux beau

Soigneusement, il ferma à clé derrière lui la porte de son trois pièces qu'il occupait depuis le décès de son épouse. Puis, dédaignant le service de l'ascenseur, il préféra les marches de l'escalier qu'il descendit en se tenant à la rambarde. Enfin dehors, il ajusta ses lunettes de soleil (il avait toujours eu une bonne vue) et commença à descendre la rue en direction du Vieux Port. Le soleil lui chauffait agréablement le dos et les mains qu'il veillait à ne pas glisser dans les poches.

Le vieux beau
Le vieux beau

C'était son plaisir au quotidien : constater que son panier natal était toujours bien garni. Passant devant les anciennes devantures, il saluait les propriétaires, connaissances de vingt ou de trente ans, dont il se souvenait parfois les avoir vus à peine sortis du berceau. Les nouveaux commerçants, Marseillais aussi mais d'autres quartiers, parfois compatriotes seulement, ayant découvert la plus belle ville du monde comme il aimait à le dire, qui installaient là leurs affaires, ils les visitaient selon son envie et ses besoins mais toujours avec un sourire et un mot pour se présenter.

Le vieux beau
Le vieux beau

Parvenu sur le port, il obliqua sur la droite : vers la mer, la grande bleue, la dame éternelle qui avait accompagné sa vie. Il se souvenait bien de ses jeunes années de mousse et de marin quand, levé aux aurores, il ramenait des filets de son patron des sardines et des rascasses. Il passait devant les vendeurs de savon devant lesquels s'attroupaient toujours, c'était surprenant, des touristes probablement en mal de propreté.

Le vieux beau
Le vieux beau

En passant sous la tour du roi René, un vent frais lui caressa le corps. Aux dames qui le regardaient et murmuraient un timide bonjour (leurs yeux, pourtant, disaient autre chose), le vieil homme répondait en dévoilant ses belles dents blanches et par un bonjour à la fois affirmé mais non pas brutal. Mais bien plus que la gent féminine, c'était ce fort qu'il venait voir. Saint-Jean avait été le phare de sa jeunesse, son repère de marin, son lieu de promenade d'homme mûr. Il le fréquentait comme un enfant : toujours étonné des possibilités qu'offrent les recoins et les alcôves cachés, à ceci près que ses cris de joie étaient intérieurs et qu'il n'osait plus courir dans les escaliers.

Le vieux beau
Le vieux beau

Quand il avait appris le chantier prévu, il avait ouvert de grands yeux. Aujourd'hui, il admirait ce que le petit - c'est le surnom qu'il avait donné à l'architecte - avait réalisé. Comme lui, le fort était un vieil homme. Comme lui, il se refusait à mourir (l'idée même était absurde). Alors, si de grands esprits et des petites mains pouvaient lui rendre son lustre, comme lui tous les matins prenait un soin particulier à sa mise, ça n'était pas du luxe. Sur eux la laideur n'avait pas de prise.

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commentaires

L
Merci pour votre commentaire ! Vous avez bien lu, effectivement, l'esprit de cet article, dont le but était aussi de rendre un hommage appuyé à la ville de Marseille. Cette ville a su, ces dernières années, garder son charme tout méditerranéen tout en rénovant de façon très moderne.<br /> A bientôt !
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B
L'ancien regarde la modification de ses repères avec bienveillance. S'appuyer sur le passé pour construire l'avenir, sans en faire table rase, mais ne pas s'enfermer dans la nostalgie.<br /> J'ai profité de mon passage pour lire (avec gourmandise) vos pensées distillées à chaque escapade.<br /> Merci
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  • : LM Voyager
  • : Récits de voyage, fictionnels ou poétiques : le voyage comme explorateur de la géographie et de l'histoire.
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