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21 août 2019 3 21 /08 /août /2019 18:00

Les rois eux-mêmes se trompent parfois. Sur la route qui le ramène chez lui, l’ami maugrée et bouillonne, il tempête contre le choix insensé qu’a fait Louis. La route est mauvaise, comme cette décision d’aller outre mer pour y guerroyer contre un roitelet. L’ami chevauche plusieurs heures par jour, infatigable cavalier, et ses pas l’emmènent toujours plus loin de celui qu’il devrait accompagner. Les jours passent, ternes et gris.

Jean est à cheval quand Louis s’apprête à monter sur un bateau. Jean parcourt des arpents de terre tandis que Louis sera bientôt sur les flots. Et, dans quelques semaines, Jean taillera du couteau les chairs cuites des bêtes chassées ; Louis usera de son épée pour trancher les bras et les têtes des ennemis accourus pour le repousser. C’est l’instant où se fragmente leur amitié. Dans les auberges où il s’arrête, Jean est toujours beaucoup entouré ; mais où qu’il tourne son regard, il ne voit que des étrangers.

L’ami abandonné
L’ami abandonné

Jean arrive bientôt en vue de son château. De la butte que celui-ci coiffe, on domine tous les pays alentours, comme la tête qui, voyant le corps sous elle, par cet effet le commande mieux. Joinville est une bourgade active, au plus proche de la frontière orientale du royaume, surveillant les Évêchés et l’Empire. Joinville se tenait aussi auprès du roi, murmurant à son oreille et se glissant dans son ombre. Comme la cité dont il portait le nom, il était aux aguets, prêt à annoncer le danger et à l’affronter le premier pour le bien de son maître.

L’ami abandonné
L’ami abandonné

En fait de maître, c’est un ami. Un homme auquel on se confie et pour lequel on reçoit des peines et des joies, et pour lequel on se tient droit. Les joies, on les partage, et ce d’autant plus facilement qu’alors, le cœur déborde. Pour peu que l’on tende les mains, on reçoit sa part heureuse, comme une coupe que le vin libéré de son tonneau emplit. La tristesse, elle, chasse les âmes. De peur qu’elle contamine le cœur, par crainte aussi de ne la pouvoir comprendre, on s’en éloigne prestement. Le maître est un ami et, pour cela, Joinville pense qu’il n’aurait pas du l’abandonner.

L’ami abandonné

Dans les salles hautes et froides de son château, Joinville songe au brûlant désert d’Egypte. Seul désormais avec ses serviteurs et quelques familiers, il se rappelle les armées immenses qui s’affrontaient à la Mansourah. A l’aise aujourd’hui dans ses habits de samit vermeille, il entend au loin le cliquetis des armures, chauffées à blanc par le soleil, teintes par le sang des amis et des ennemis. Lors des repas frugaux qu’il prend, il pense à son ami, le roi, qui fait présentement voile vers Tunis.

L’ami abandonné
L’ami abandonné

L’amitié que se portent les deux hommes ne fait aucun doute. Quatre ans durant, ils ont enduré l’exil. Ils ont aussi enduré les maladies, la famine, et les nouvelles terribles qui, venues du royaume, assombrissaient les pensées du roi. Joinville a enduré ces souffrances avec honneur et loyauté. Aujourd’hui, le roi est reparti, sans lui, vers les rivages maudits. La loyauté impose-t-elle l’aveuglement ? Le véritable ami est-il celui qui, en toutes circonstances, apporte son soutien constant ?

L’ami abandonné
L’ami abandonné

Aux marches du royaume, Joinville a une autre conviction. Sa présence ici en témoigne. Le véritable ami n’est-il pas plutôt celui qui sait dire non ? La loyauté n’impose pas le renoncement, ni à soi-même, ni à la raison. Du corps sacré ou du corps physique du roi, lequel aurait-il fallu abandonner ? Joinville ne sait plus à quel saint se vouer. Car la vie n’offre pas de réponses. Car c’est à chacun, en son cœur, de méditer et d’accepter les conséquences d’un engagement.

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