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1 décembre 2019 7 01 /12 /décembre /2019 19:00

Le concierge a raccroché le combiné. Maintenant, il les regarde fixement. Le garçon et la fille : le frère et la sœur : le mépris et la trahison. Il les regarde et il ne dit rien. Il ne peut rien dire. Ce qu’ils ont osé dépasse son entendement. Il les regarde, et soudain il parle. Nous avons le devoir de combattre, et il appuie ce dernier mot. Le devoir de combattre, répète-t-il, comme pour se justifier, et pas pour se convaincre, car lui est déjà convaincu, absorbé dans le grand corps de l’État.

Elle a les yeux tantôt fuyants, perdus, tantôt transperçant, terribles. Par moments, elle pose son regard franc sur cet homme qui les a arrêtés. Elle ne tourne pas la tête vers son frère. Elle et Hans savent que tout signe peut être interprété, que toute complicité, même celle, naturelle, qui unit un frère et une sœur, peut être méjugée. Hans, lui, scrute la porte, car bientôt elle s’ouvrira, et bientôt leurs actions seront découvertes. Bientôt, ils iront en prison et, bientôt, ils mourront.

Courage civil
Courage civil

Le concierge est un homme d’une cinquantaine d’années. Déjà plus de quinze ans qu’il parcourt les couloirs marmoréens de l’université de Munich. Peut-être doit-il son emploi à sa discrétion naturelle, à sa rigueur quant à la tenue des bâtiments, à la façon ferme qu’il a de rappeler à l’ordre les étudiants turbulents. Peut-être est-ce aussi parce qu’il est aussi membre du Parti, un membre ancien, pas l’un de ceux qui l’ont rallié lorsqu’ils ont senti le vent tourner : non, lui était là dès que le Guide a été élu Chancelier. Il demande à Hans et Sophie pourquoi ils s’amusent à cela.

Courage civil
Courage civil

Le concierge se plante devant eux. Il les a vus : avec leurs valises pleines de tracts, avec tous ces tracts qu’ils ont disposés aux étages de l’université, avec tous ces tracts qu’ils ont répandus, telle une vomissure, dans le hall où les étudiants se rassemblent habituellement. Il a récupéré une valise entière de ces mensonges imprimés. Il se retourne vers son modeste bureau, prend une feuille et, d’un air indigné, il se met à lire. Ni ses mains ni sa voix ne tremblent.

Courage civil

Les mots résonnent pourtant dans la petite pièce qu’éclairent à grand peine une ampoule fatiguée et la pâle lumière de ce dix-huit février. Prouvez par l’action que vous pensez autrement, est-il inscrit sur la feuille chiffonnée. Le concierge lit encore : il n’est pour nous qu’un impératif, lutter contre la dictature. Quittons les rangs de ce parti où l’on veut empêcher toute expression de notre pensée politique. Le concierge laisse échapper un rire étouffé. Soit le frère et la sœur sont des plaisantins, soit ce sont des fous.

Courage civil
Courage civil

L’arriération comme progrès, voilà le programme, s’étouffe le concierge. A lire ces allégations, on croirait que certains Allemands refusent encore le modèle de l’homme nouveau, lequel se confond et s’intègre parfaitement dans le grand corps social, uni et parfait, du Reich millénaire. Le concierge trépigne maintenant devant Sophie et Hans. Que ferait-on d’une humanité laissée à elle-même ? Que faire d’une liberté dispersée entre le plus grand nombre ?

Courage civil
Courage civil

Sophie et Hans ne répondent pas au monologue du concierge. Leur combat tient dans ces feuillets. Leur pensée, leurs amitiés, leur refus de ce qu’est devenu le pays, de ce que sont devenus leurs compatriotes vivent entre ces lignes. Eux-mêmes ont puisé au fond de leur humanité pour écrire la honte et provoquer le réveil. Soudain, on toque à la porte : la police d’État entre. Derrière elle, le procès attend, et le bourreau. Corps et idées se sépareront bientôt.

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