Un enfant merveilleux et terrible vient de naître. On le baptise Tewdwr, ce qui se prononce à peu près Téoudour, et bientôt on ne l’appellera plus que Tudor. A la pointe de la péninsule dans laquelle il est né, il exige, à peine nourrisson, le lait du sein maternel. Aucune étrangeté ici, tous les enfants font cela. Mais l’enfant que l’on élève apprend peu à peu à maîtriser ses envies. Tudor, lui, ne s’y résout pas.
Ses parents se nomment Force et Ambition. Ils ont déjà eu de nombreux enfants dont Tudor ne sera même pas le dernier. Force veut conquérir ; Ambition sait réfléchir. Tudor, encore enfant, imite ses parents. Aux barreaux de son berceau, qui se nomme Pembroke, il se suspend et regarde à l’horizon le monde qui s’offre à lui. Il tend les mains mais n’attrape rien encore. Il trépigne. Ambition vient vers lui et lui murmure d’être patient.
A l’ombre des hauts murs de pierre du château de Pembroke, sous la menace constante d’un ciel gris, Tudor, lentement, grandit. Dans sa famille, quelques cousins rebelles ont tenté l’aventure de l’indépendance. Bataille après bataille, c’est avec le sang qu’ils espéraient arroser les fleurs de la liberté. Ils ont échoué, et leur exemple déplaît à Tudor. De son berceau de pierre, robuste et fier, de ce château accroché à la proue de Galles, Tudor regarde vers l’Angleterre.
A l'exemple d’illustres aïeux, Tudor drague du regard le puissant voisin. Page ou bailli : peu importe que l’on soit au service d’un seigneur, pourvu qu’on soit seigneur soi-même. Tudor attend son tour. A l’aide des femmes, à l’aide des armes, il s’élève. Dans l’arbre des honneurs, il atteint bientôt les plus hautes branches. Il n’est pas jusqu’à l’exil pour infléchir sa volonté. Et comme le hasard fait parfois bien les choses, une opportunité, un jour, lui est offerte. Une rose à la main, Tudor vient la prendre.
L’époque est à la guerre et l’heure est à la décision. Tudor, exilé plus d’une décade de l’autre côté de la Manche, décide de la traverser. Concentrant en lui seul les atouts de sa famille, il voit les mânes des princes gallois accourir devers lui, qui veut ceindre la couronne royale. Et tandis qu’il traverse ce pays de collines et de landes, il rassemble nombre soldats aux courtes épées et aux longues lances.
Dans un champ à la terre fatiguée, usée par des décennies de luttes cruelles, un beau jour d’août, des hommes de fer s’entrechoquent. C’est la dernière bataille, le dernier effort, le dernier souffle, aussi, pour nombre d’entre eux. Tudor affronte son rival. Au pied des cuirasses, abreuvées par le sang qui s’écoule, trois roses sont chahutées par le vent de la guerre. La rouge et la blanche meurent. La troisième, qui unit leurs deux couleurs, leur survit.
Qu’il est loin le temps des premiers babillages, et celui de l’enfance protégée, et celui de la jeunesse fougueuse. Depuis Londres, Pembroke ne paraît plus être qu’un castel isolé dont les tours et les murailles ne défendent plus qu’une maigre garnison de paysans indifférents. Tudor est trop grand pour revenir dans son berceau ; il est roi maintenant. La vieillesse le surprend, mais déjà il rajeunit. Ainsi passe-t-il de mort à vif. Tudor est roi pour longtemps.