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11 mai 2020 1 11 /05 /mai /2020 19:00

Solomon a pris le taxi pour venir. De l’aéroport, une heure suffit pour s’extraire de la masse froide et cimentée des tentacules parisiens. Le paysage a changé, peu à peu, ondulant, verdissant, comme sous l’influence bénéfique des ondes projetées par le déplacement de la Peugeot 405 sur les routes départementales. La voiture s’arrête devant un chemin en pente, gardé par une grille sans portes.

Solomon n’a qu’une seule valise pour le moment. Le reste arrivera dans les heures ou les jours qui suivent, selon l’efficacité des agents aéroportuaires. Le reste, c’est d’ailleurs ce qui compte vraiment. Pour le moment, Solomon a l’air d’un voyageur égaré. Par instinct, par absence de choix aussi, Solomon se met en chemin, peinant un peu et se maudissant de n’avoir su trier dans ses affaires le nécessaire et le superflu. Au bout de l’effort, il y a le château médiéval et ses hauts murs. Ce sera son bureau de travail.

Du sol aux murs
Du sol aux murs

Dans sa jeunesse, Solomon a beaucoup lu sur la chevalerie et l’époque féodale. Outre les combats à cheval et à l’épée, ce qui l’intéressait, c’était les bouffons et les troubadours. Les artistes de leur temps, en somme. Ils allaient, de contrée en contrée, quémander le gîte et le couvert en échange d’une narration bien articulée. Devant la tablée du seigneur, ils passaient des messages à travers le temps et l’espace. Ils chantaient les exploits et les épopées. Ils colportaient les rumeurs et les nouvelles avérées.

Du sol aux murs
Du sol aux murs

Juste avant de traverser le pont-levis, qui ne se lève probablement plus, Solomon ressent qu’il est comme l’un de ces trouvères d’autrefois. Il est seul, provient d’un pays lointain et vient ici pour travailler, c’est-à-dire pour assurer ses revenus, et sa survie. Lui aussi a des messages à faire passer, puisque c’est un artiste : des messages qui traverseront le temps et des messages qui doivent relier les espaces.

Du sol aux murs
Du sol aux murs

Solomon voit venir les propriétaires du donjon de Vez à sa rencontre. Ce sont eux, les seigneurs du château. Comme ils ont l’air intimidés, pourtant. Ils se tiennent les mains, lui sourient, lui indiquent où se trouve sa chambre et s’excusent que celle-ci soit modeste. Ils l’invitent à le suivre et le précèdent dans un bâtiment d’un étage, ancien lui aussi, où l’on trouve tout le confort moderne. De travail, il n’est pas question. Ils dîneront à vingt heures, si cela convient à Solomon. Ils le laissent se reposer.

Du sol aux murs
Du sol aux murs

Durant le repas, ils le questionnent sur ses activités artistiques. Ils le félicitent pour des rétrospectives qui ont eu lieu dans des musées prestigieux, et lui confient pour laquelle de ses œuvres ils ont un faible. N’est-il déjà plus le trouvère des livres de sa jeunesse ? Tant de bonnes attentions le désarçonnent. Il devrait parler, il devrait les divertir. Il ne parvient même pas à évoquer le projet pour lequel il est venu ici, et ils ne semblent même pas lui en tenir rigueur.

Du sol aux murs
Du sol aux murs

Malgré la nuit, malgré la fatigue, Solomon ne parvient pas à trouver le sommeil. L’inversion manifeste des rôles le trouble. Il se croyait trouvère, et il est le seigneur. Il se dit que le lendemain, il peindra les murs du donjon, et que c’est cela qui lui vaut les honneurs de la maison. Il faudrait maintenant que son matériel arrive pour qu’il se mette à l’œuvre. Si son statut a changé, les conditions matérielles de son travail, elles, sont restées les mêmes. Solomon dort désormais. Dans ses rêves, il est un trouvère : il amuse et étonne les seigneurs du château.

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