Demain je serai mariée. Plus cet événement se rapproche et plus le trouble qui m’habite croît. Je me figure être sur un chemin entouré de brumes, et une lumière blafarde m’attire au loin. Cette lumière, c’est mon mariage, et pourtant elle ne parvient pas à disperser les doutes qui m’assaillent. Elle ne me rassure pas. Devant ma mère, devant la cour, je fais mine d’être réjouie. Je profite des rares moments de solitude pour regarder à la fenêtre la vie au-dehors. Je me surprends à vouloir le voir au milieu de la foule.
Nous nous sommes rencontrés avant-hier. Jusque-là, je n’avais qu’une gravure le représentant pour me l’imaginer. Il me plaît assez. Nous sommes nés à quelques jours d’intervalle et, pourtant, il dégage une force que je sais ne pas posséder. La rencontre a été fort officielle ; j’en ai été déçue. Lui qui, dans ses lettres, disait vouloir à tout prix être mon époux, m’a à peine signifié ses hommages qu’il s’est tourné vers son cardinal, un Italien qui me regardait en souriant étrangement. Ils ont parlé entre eux, en français. Je ne connais quasi rien de cette langue.
Je dors mal. J’en ai parlé à mon intendant, et j’ai eu tort, car il a eu la discourtoisie de le rapporter à nos hôtes qui, dans cette ville de Saint-Jean-de-Luz, sont des personnes respectables. Après le départ de l’intendant, je suis allée les voir pour les assurer que ni eux, ni leur doux foyer, n’était la cause de mon tourment. Leur maison est ravissante. C’est une forte bâtisse agrémentée de trois tours carrées, comme certains châteaux de mon pays. En réalité, je dors mal parce que je rêve.
Encore cette nuit, j’ai fait un rêve fort déplaisant. J’étais petite fille à la cour du roi, mon père, et ma mère et moi étions assises sur une banquette. De grands personnages se tenaient debout, devant nous, hiératiques et presque morts. Une chaleur étouffante nous faisait suffoquer et aucun bruit, aucune musique plaisante, aucun bon mot et aucun souffle ne venait adoucir notre inconfort. Ma mère, soudain, prit la parole. Elle me contait la cour de France, ses fêtes et ses enchantements, et elle m’assurait, parlant de plus en plus rapidement, que l’on y tolérait pas que la reine put s’ennuyer, ne fut-ce qu’un seul jour. Lorsque je me suis réveillée, j’étais émerveillée et terrifiée.
Nous y voilà, c’est le grand jour. Ce soir, je ne serai plus espagnole, mais française. Hier nous sommes allés prier, mon futur époux et moi, au couvent de l’autre côté du fleuve. De nouveau, il s’est montré distant. Il joue au prince, au roi même, mais qu’a-t-il de plus que mon père ? Je tâche de le représenter, lui le vieil homme à la tête du plus puissant royaume au monde, et pourtant je me sens impressionnée par l’orgueil de mon futur époux. Cet orgueil, il le tient de la manière dont il s’est tiré de ses misères. Il a l’air d’un lion prêt à fondre sur moi, et sur le monde. J’ai le sentiment que son règne sera brillant, et que je m’y tiendrai dans son ombre.
Je regrette ces pensées, car alors je ne suis qu’une Cassandre pour mon Espagne, et une Pythie bienfaitrice pour sa France. Nous sommes à la tête d’un cortège, et nous fendons une foule de gens et de maisons, tous sans visages, tous excessivement bruyants. Je me demande ce qu’ils ont tous à célébrer leur joie. Ce n’est pourtant pas leur mariage que l’on célèbre. Eux seraient probablement heureux d’être arrachés à leur pays, à leurs parents, à leurs rares amis. Voilà l’église. Mon cœur se serre douloureusement.
La messe a duré des heures. Je puis à peine tenir debout. Mon visage semble vivre sa vie propre, car il sourit à tous et à toutes tandis que je maudis intérieurement leur présence et méprise leur condescendance. Le cardinal vient à nous. Comme il se montre empressé envers mon nouvel époux ! Comme il me flatte faussement ! A ses yeux, je ne suis qu’une prise de guerre : une citadelle conquise, un champ de bataille victorieux. Mon corps ne m’appartient pas. Mon esprit y est enfermé. Que la fête commence !