Le visage dans le miroir n’est pas le sien. Cet idiot tire la langue, tandis que lui reste sérieux dans ses habits de bouffon. Pour un peu, il secouerait la tête en signe de dénégation, et l’on entendrait ses grelots retentir. Se penchent au-dessus de cet homme trois autres, immenses car réels, eux, et non de papier et d’encre comme lui. Ils sont imprimeur, humaniste et graveur, et leurs noms sont connus dans une Europe qui n’est encore qu’un continent. Ils s’appellent Frobin, Erasme et Holbein, et ils rient de ce fou de papier.
L’imprimeur est le plus prompt à se réjouir. A n’en pas douter, ce livre trouvera son public et son succès. Au contraire, l’humaniste, qui en est l’auteur, se désole qu’il puisse plaire. Il voulait mordre, et voilà qu’il provoque de l’amusement, y compris chez ceux qu’il vise. Il est blessé d’être plaisant, à ce point surtout que c’en est confondant. Se tournant vers le graveur, il demande si la production de celui-ci ne pas va accentuer ce problème.
Holbein proteste. Lui ne veut ni charmer ni ravir, il ne cherche ni gloire ni renommée. Ce qu’il veut, c’est rendre hommage à l’essai de son comparse. Il l’a lu, et l’a aimé, car ces écrits l’ont révolté. Il dit encore que seuls les fous peuvent trouver réjouissante une œuvre qui les dénonce. Il insiste encore : ses gravures ne sont que des éloges. De la folie, on ne peut rire qu’à condition qu’elle ne nous touche.
Frobin prend la parole. Il assure que ces gravures aideront les pauvres esprits à comprendre les propos philosophiques. L’image supporte le texte, et non ne le surpasse, comme on le voit en les églises sur les vitraux ou sur les murs peints. A basse voix, il demande à Erasme si ce dernier a confiance en lui. Question sans objet, répond l’intéressé, car ce sont les impressions de grande qualité de Frobin qui l’ont fait venir à Bâle.
Frobin prend la parole. Il assure que ces gravures aideront les pauvres esprits à comprendre les propos philosophiques. L’image supporte le texte, et non ne le surpasse, comme on le voit en les églises sur les vitraux ou sur les murs peints. A basse voix, il demande à Erasme si ce dernier a confiance en lui. Question sans objet, répond l’intéressé, car ce sont les impressions de grande qualité de Frobin qui l’ont fait venir à Bâle.
A ce point de la conversation, un client entre dans la boutique. C’est un autre humaniste, qu’Érasme connaît pour l’avoir croisé à l’université. Il est versé en théologie et, cependant, il sait les autres sciences. Il a des travaux à faire exécuter à Frobin. Pendant que celui-ci prend note dans son livre, le théologien salue Holbein et Érasme. A ce dernier, il déclare avoir été enthousiasmé par la lecture de l’Éloge. Quelle habileté, proclame-t-il, de s’être dissimulé derrière un faux dieu pour faire entendre sa voix véritable. Érasme rétorque qu’il ne sait pas si Folie est si chimérique que cela.
Après que le théologien soit sorti, l’imprimeur, le graveur et l’humaniste reprennent leur conseil. Rapidement, ils se mettent d’accord sur la forme finale du livre. Frobin escompte un succès identique à celui de son collègue parisien, qui a imprimé ce même livre trois ans auparavant. Erasme, lui, espère des lecteurs plus attentifs, et davantage sensible à son message véritable : le monde va mal, car les fous qui se croient sages le tiennent en leurs mains.