Les cuivres sonnent le départ. Quatre temps marquent une pause, avant que ne reprenne le cours de la valse. A moins que ce ne soit le fleuve, ce Danube aux rives d’abord germaniques puis slaves, qui ne soit contenu dans l’air entraînant. Le débit, ou bien le rythme, s’accélère, gagne en éloquence, se calme et reprend sa fougue. Jusqu’à son terme, delta fantastique et final féérique qui gagne le cœur et du voyageur et du mélomane.
Au milieu de la partition, il faudrait pourtant suspendre le temps. Arrêter sa barque, faire taire l’orchestre, n’écouter que l’eau qui bruisse et le vent qui souffle. Prendre de la hauteur. Dominer les collines boisées. Embrasser du regard la longue percée du roi Danube qui se perd en méandres. Penser à ce vieux continent traversé d’un bout à l’autre, à cette mer que l’on dit noire et à ces villes qui s’y égrènent.
Les ballons sont nombreux qui renferment leurs vallons. Nature sauvage et pourtant timide, dont l’hommage splendide s’arrête aux crénelures. Car le maître ancestral de ces monts verdoyants est le château de Visegrad, forteresse ruinée s’étalant tout au long d’une crête méritant escalade.
La rocaille du sol s’est constituée en muraille affligée par les hommes et la guerre, gardien du temps et des frontières. De la roche brute naît la citadelle et dans nos imaginations s’agitent bouffons et ménestrels. Ils chantent la guerre et les occupations, la résidence princière et le triste abandon.
Remontant le fleuve et le temps, l’on se heurte bientôt aux confins hongrois. Sur l’autre rive, un autre pays, une autre langue, une autre histoire, dont Presbourg, est la capitale. Défi ou affirmation, la basilique impose ses dimensions. Un temple antique et un dôme en forment le centre, accompagnés de campanile qui achève la puissance symbolique du sacré lieu.
Sous la coupole cuivrée, les saints et les vertus se livrent à une propagande exaltée. Tout attire regard, tout évoque l’heureux hasard, qui de la vie est censé être la fin. Le ciel est d’or, les fumigations voluptueuses enveloppent les corps éthérés qui voguent au son de la Renommée. L’œuvre est matérielle mais les richesses la dessinent spirituelle.
Doublement frontière, la basilique d’Esztergom est un poste à la splendide allure. Mais la force de ce lieu, comme celle du beau Danube bleu, n’est-elle pas de transcender les limites ? Un fleuve qui coule, des notes qui courent, des prières qui se couplent aux ors et aux chants. Face au monde, que ne sont les hommes, à la fois créateurs de seuil et pourfendeurs de ceux-ci.