Un coin de verdure au bord d’une longue route droite. Bien protégée par une forêt, un fossé d’eau et des pavillons de briques et d’ardoises, l’abbaye royale de Chaalis dresse encore, malgré le temps, ses ruines graciles. Le ciel, tantôt bleu, tantôt gris, joue aux incertains capricieux avec lesquels il est impossible de traiter.
La pluie passagère détrempe le sol. Elle gonfle à peine l’onde tranquille qui dort aux pieds des grilles. Tout juste parvient-elle à retarder l’éblouissement qui émane de l’antique abbatiale. Quand le soleil paraît enfin, l’herbe reverdit et les ogives se voûtent pour de bon.
Evitant la rencontre directe avec le fier édifice, la promenade s’invite dans des jardins peuplés de créatures mythiques. Des femmes aux corps de lion veillent jalousement sur un enfant éploré. Sur les canaux se languit une belle nappe de jade qui se confond avec les champs et les arbres voisins.
En se retournant, la puissance des bâtiments monastiques étreint la sérénité du lieu. Le rythme classique de la façade contraste avec les perles d’or disséminées sur le tapis vert. De l’autre côté, l’opposition est encore plus marquée par la nudité absolue du paysage. Une nudité qu’habille seulement un gracieux voile de pierre gothique.
La fille de Cîteaux témoigne de son prestige passé. L’imagination seconde les vestiges et élève murs et piliers qui ont disparu dans le tourbillon des siècles. Dans le prolongement du noble vestige, la chapelle Saint-Michel est demeurée dans sa pureté originelle. Les fresques du Primatice figurent la voûte céleste et ses divins résidents avec une poésie picturale rare. Sur le mur de façade, l’Annonciation transporte les spectateurs dans un temple antique où une merveilleuse symphonie volante tente d’attirer sur elle l’attention d’une femme en prière.
A la suite du Primatice, c’est Serlio qui laisse son empreinte au site. Son mur, quoique sobre, délimite pourtant un petit paradis où éclosent, année après année, d’éphémères enchantements qui se parent de robes jaunes et aurore, orange et carmin, roses et mauve. Leurs fragrances sont précaires ou bien exaltantes, et elles emplissent alors l’air de leurs facéties olfactives.
L’abbaye de Chaalis est toute en contraste. Entre le gothique et le classique, le Primatice se glisse délicieusement ; entre les jardins ordonnés et les prés ras où jaillissent pâquerettes et boutons d’or, une roseraie envoûtante. Tout comme les roses au fil des saisons, l’abbaye a fané au fil des époques. Cependant ses couleurs ont gardé un éclat empreint de mélancolie et, dans le parc, aux parfums floraux se mêlent ceux de l’histoire.