C’est une symphonie dont le chef d’orchestre est mystérieux, les musiciens invisibles et dont la mélodie ne s’arrête jamais. C’est une musique qui envoûte et qui emmène son auditeur dans un monde précis. Un monde de chaleur où le soleil est implacable. Un monde irradié et brûlé, et asséché et miraculé.
Cette musique n’hésite jamais. Si elle perd tantôt de la vigueur, c’est pour mieux la retrouver au plus fort de la journée. Si on la croit absente, c’est que l’esprit l’a toute entière absorbée, jusqu’à en faire un rythme naturel qui accompagne tous les mouvements. Même le bruit de l’asphalte ardent ne la recouvre pas. Même les cris de surprise ne l’oublient pas.
Le criquet s’est-il tu, ou bien a-t-on, pour un instant, délaissé le chant lancinant de ces loquaces sauterelles ? La découverte laisse sans voix. Les yeux grands ouverts. La bouche l’imite. Le corps tarde. A réagir. Il essaie. Se reprend enfin, et les mots essaient d’exprimer cela, ce village, cette conquête sur le vide, ce clocher qui dépasse.
Malgré les nuages menaçants, une pâle lumière dorée l’illumine. Le bleu sombre du ciel, qui appelle l’orage, contraste puissamment avec les toits orangés. Les tuiles, on le sent, restitue la chaleur de la journée. Ou bien de l’été entier. La pluie se retient. Une goutte est-elle tombée ? Non pas, et le village s’éclaire, mi-inquiet, mi-fier.
Prudemment, la menace se retire. Le soleil fait place nette et reprend son irréductible position. Au centre de Gordes, une fontaine, comme un secours déjà présent. Les arbres sont beaux et généreux. Le minéral et le végétal se retrouvent, à l’abri des regards, au bas du village. Le lavoir est un rendez-vous discret, où les uns font la cour en usant de leur ramage, quand la fine ondée clapote de plaisir.
La pierre fragile, l’équilibre instable et la force des années, associés aux verts cyprès. Il y a un parfum d’Italie dans ce Luberon provençal. Remonter vers le château par les chemins inégalement pavés. S’arrêter à chaque faux-plat pour contempler le site. Toucher du doigt, sans force aucune, les fleurs qui tombent sur les murs. S’étonner devant une porte Renaissance, ou classique, on ne sait plus.
La promenade ne s’arrêterait jamais. On croiserait un passage ombragé, où l’on s’arrêterait un moment. Le vent nous saluerait par sa fraîcheur bienvenue. On lèverait les yeux, on trouverait une blanche statuette, on se confondrait devant le campanile plus tôt aperçu. On reviendrait vers la source vive, en apercevant un crépi fuyant, un volet hésitant ou une porte vieille de cinq cents ans. On rêverait encore.