Les portes se sont refermées. Nul bruit. Nos souffles seuls rythment le temps qui, de toute évidence, n’existe plus. La fraîcheur encore hivernale provoque des volutes fantomatiques, qui prouvent que nous, nous existons encore. Elles s’évaporent vite, ces respirations éthérées. En attendant, quoi ? Qui ? Le silence demeure. La ligne absolue de la quiétude.
Le regard commence à s’habituer à la blanche clarté qui émane des murs nus. Chaque pierre se dessine par rapport à sa voisine. Au sol, des carrés immaculés leur répondent. Tout semble égal, uni, ressemblant. Et pourtant, au fond, une lumière. Une pureté vive, presque étrange, car elle semble se distinguer de l’ensemble.
Si l’on prend la peine, ou que l’on trouve la force, de marcher, l’équilibre délicat se rompt. Le pied qui s’écrase sur la dalle, les bras qui reprennent leur mouvement, les yeux qui se croisent et s’interrogent. Ce n’est point un chahut, mais ce n’est plus le silence. En passant, les vivants côtoient les morts. Richard et Aliénor. Monuments à double titre, dans la vie et le trépas. Désormais, et pour l’éternité, dans le repos des succombés.
Là est la source de la lumière. Mais elle a perdu de sa vigueur. Tranquillement, nous sortons, vers le centre du monastère. Lieu des débats, dans l’écoulement des heures. Une structure étonnante attend, tel un serpent serein qui aiderait les visiteurs à prendre de la hauteur. Le cloître est intact. Aujourd’hui désert, autrefois terrain de contacts.
Les lieux conventuels ont gardé leur tradition. Puisque la parole était rare, elle était précieuse. La langue gardait une place assignée, qui était celle de l’humilité. Un seul recevait les humaines promesses, puisque celles-ci ne pouvaient être négligées. A Fontevraud vivaient hommes et femmes, unis chastement dans la peine dans le souvenir de Robert d’Arbrissel.
Une nouvelle échappatoire s’offre. Certes, le vent bruisse et la terre grouille de ce microcosme éternel et laborieux. Néanmoins la tranquillité s’est aussi emparée de ces agréables jardins. L’herbe et la lande flottent également dans le souvenir de ces moines sérieux. Et les arbustes, et la vigne continuent de saluer, après la nuit, les paisibles matins.
Que ne sert-il de prier, quand la fin est la même ? Que ne sert-il d’implorer ce que l’on dit suprême ? A l’ombre des vents, des tentations et des énergies, une communauté avait espéré quand d’autres désespéraient. A l’écart des vivants, le cours avait suivi une pareille destinée. Il n’en reste pas moins cette abbaye, ancrée dans le monde, symbole de courage, de refus et d’humilité. Abbaye des louanges et des tourments, et de la paix.