Célébrer la victoire. Se plier au devoir de mémoire. Voir l’histoire. Pas de sentimentalisme : ici sont tombés des hommes, ici ont sifflé les balles, ici ont plu les obus. Il y a 71 ans, près de 150 000 hommes ont débarqué sur les côtes normandes, bravant des éléments peu coopérants et des ennemis déterminés.
En trois étapes, aussi courtes qu’équivoques, un voyage dans le temps nous attend. De ports en pointes, de la mer aux plages, du bruit de la guerre à la paix du recueillement. Au bout d’un centre-ville obstrué de voitures et de restaurants, Port-en-Bessin est la première étape.
Le port, d’apparence calme, se cache pourtant dans un décor déformé, crevassé, assassiné. Les falaises désormais affaissées ne sont plus. Les herbes ont reconquis les murailles de calcaire qui prolongent maintenant la mer au lieu de la briser. Le temps est loin où plusieurs tonnes de matériels transitaient par cette porte de la liberté. Les blocs de béton montent encore la garde mais les bateaux de pêche présents ne sont plus une menace que pour les poissons peuplant ces eaux. La quiétude a chassé la fureur.
En longeant la Manche, Omaha Beach se découvre. Le cimetière américain de Colleville-sur-Mer est là, profitant sereinement des embruns salés qui le caressent. Tant de noms sont inscrits. Une jeunesse fauchée, les pieds dans l’eau, les mains dans la boue, les yeux dans le brouillard des armes. Les croix se suivent. Infinies et rangées, leur manifeste est silencieux. Ce témoignage immaculé est foulé, jour après jour, par descendants et anonymes. La flore domestiquée est le seul signe de vie dans cet espace qui surplombe ce qui fut, pour nombre de ces tranquilles résidents, le champ de leurs derniers pas.
Encore quelques kilomètres. Au rythme de notre allure volent grains de sables et cailloux. Déjà, la terre est marquée. La pointe du Hoc est une plaine ravagée. Les pluies qui tombent ici ont peine à consoler ce sol martyr. Les bunkers eux-mêmes témoignent de la violence de l’assaut qui décima, sans distinction, flore et faune, hommes et bétons.
Des tiges métalliques s’ébattent sous le vent, encore rigides de douleur. Champ lunaire face à la mer, la pointe du Hoc dévoile ses cratères comme des plaies à jamais ouvertes. Même la mer se fait discrète, osant à peine lécher ce pic presque séparé de la terre ferme.
Trois lieux et trois témoignages puissants de cette vague sans pareille qui dévasta les terres et les jeunesses sur lesquelles elle s’était abattue. Les cicatrices restent vives et saignent encore d’un souvenir qu’il faut entretenir et honorer.