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6 mars 2017 1 06 /03 /mars /2017 21:00

Route humide que la pluie vient de quitter. Les nuages sont encore bas et lourds, ils sont gris et menacent d’à nouveau déverser la tristesse des averses longues. Nul autre bruit que celui du vent dans les feuillages fournis du massif forestier, nulle autre mélodie que celle du chant des oiseaux reprenant voix après le déluge. Un calme rare, puissant et inquiétant, duquel on ne s’affranchit pas, qui nous prend et nous contrôle et nous dicte nos pas.

Arrêt forcé sur le bas-côté car un mirage est apparu. Besoin irrépressible de vérifier, de solidifier la réalité et de s’enfoncer dans cette verte atmosphère. Les cieux s’éclaircissent, les vapeurs d’eau s’échappent du goudron noir, une lumière nouvelle montre le chemin. Petit chemin de terre qui s’enfonce dans la forêt, caillasses éparses qui gênent le pied, descente délicate à contre-flanc de colline.

Juste pour dire
Juste pour dire

C’est bien un château, les yeux n’avaient pas trompé. Au premier regard, des ruines qui ne supportent le temps que par miracle, des bouts de murs branlants sur lesquels chaque oiseau qui se pose est une menace. La terre est encore humide ; elle exhale son odeur habituelle et rassurante pour qui a grandi à la campagne. Tout à coup, vent frais. Déboule des cimes, se réfugie au creux des pierres. Frisson.

Juste pour dire
Juste pour dire

A mesure, le château offre sa complexité. Tours incomplètes, portes solitaires, arc brisés, escaliers vers le néant. Exploration curieuse et néanmoins prudente ; la glissade pourrait être douloureuse. Quelques corbeaux sur les arêtes, l’œil torve, le corps dressé, croassent avant de s’envoler. Peut-être les esprits de corps anciens, animaux ou humains, hantant ces pans qu’ils connaissent si bien.

Juste pour dire
Juste pour dire

Dédale minéral, labyrinthe de cachettes séculaires. Crainte de voir quelque fantôme surgir, arbalétrier ou épéiste, ou peut-être un animal dont c’est le repaire et qui défendrait icelui contre quiconque voudrait l’en extraire. Sur la droite, un muret couvert d’herbes sauvages ; sur la gauche, un tour éventrée. Âtres sans feu, opes sans poutre, bancs sans dame qui y tissent et y parlent.

Juste pour dire
Juste pour dire

Tout autour, un océan vert. Le vent fait des vagues qui s’échouent sur d’invisibles plages. Ecume faite d’odeurs de sous-bois qui montent paisiblement aux murailles. Tranquille poliorcétique, envie de se joindre à l’assaillant. Quand même, on se réfugie derrière les barreaux usés d’une ancienne salle, on s’assoit sur un banc de pierre, froid et depuis longtemps solitaire. Un regard par l’ouverture : vertige séculaire.

Juste pour dire
Juste pour dire

Images qui viennent, surgissent, habitent les tours de Merle. Spectres hagards que le voisinage du bitume égare, que la marée vert clair du printemps afflige, que l’absence des échoppes et des masures perd. Forteresse vide que la brise parcourt, que la poésie occupe maintenant comme une maîtresse qui y a toujours été souveraine. Dernier regard en arrière. Ouverture automatique des portes. Démarrage en côte.

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7 septembre 2016 3 07 /09 /septembre /2016 18:00

 

Qu’est-ce que le gant pour vous ? « Je viens d’une famille d’éleveur, et j’ai repris la ferme de mes parents. Petit, je voyais les agneaux comme des compagnons qui, les uns après les autres, s’en allaient mystérieusement sans revenir jamais. Lorsque j’appris le sort qui leur était réservé, je fus pris d’un sentiment d’horreur sans pareil, et aujourd’hui, quand j’y repense, je songe que je suis devenu le bourreau que je honnissais jadis.

De ces bêtes qui bêlent, je tire le lait et je prends leurs petits. A chaque départ, un pincement m’étreint le cœur. Pourtant, la reconnaissance de mon travail tient dans ces rendez-vous mensuels, lorsque mes bergeries se vident d’êtres qui y étaient nés. C’est là la part sombre d’un labeur riche, fait de soins constants, de joies quotidiennes et indicibles. Le gant est la perspective naturelle de mes actions : dans le tableau de mes journées tout y converge comme dans une lente procession. »

Entretien du savoir-faire

 

Qu’est-ce que le gant pour vous ? « Je suis arrivée à Saint-Junien voici trente ans, à la recherche d’un emploi. Je me suis présentée à la ganterie, douée d’une courte expérience dans de petits ateliers parisiens. Pourtant je fus là, au milieu d’ouvriers et d’ouvrières à leurs tâches concentrés, dans une atmosphère qui résonnait du cuir et de la soie examinés, découpés, taillés, ajustés, comme un nouveau-né qui découvre le monde.

Entretien du savoir-faire
Entretien du savoir-faire

 

Les jours, les semaines et les mois ont passé et j’ai appris. J’observai le contremaître étaler et étirer le cuir, et ses yeux plissés guettant le moindre accroc, le moindre défaut qui signifierait à coup sûr une pièce inutile. Je sentais l’odeur de la colle appliquée à la soie et j’entendais les aiguilles percer minutieusement le cuir, traçant des coutures, réunissant entre eux les patrons autrefois présentés à plat sur la table de bois.

Entretien du savoir-faire
Entretien du savoir-faire

 

Elève attentionnée, je devins passionnée, m’enivrant de ces effluves bruts, appréciant le silence et la précision qui animaient chacun dans l’atelier. Je sus tôt pratiquer la fente, et l’on m’enseigna les fantaisies. Mes mains en fabriquaient d’autres, qui étaient de peau elles aussi, et qui, au toucher, m’enseignaient la chaleur et la douceur. C’était des mains parfaites, sans tares ni torts, et c’est ainsi que je définirais le gant. Mais demandez, demandez aux gens de l’atelier : ils vous diront ce qu’est le gant pour eux. »

Entretien du savoir-faire
Entretien du savoir-faire

 

Qu’est-ce que le gant pour vous ? « Je dirai, le plus platement, qu’il est l’objet de mes ventes. A la caisse, je les glisse avec délicatesse dans un écrin puis l’écrin dans le sac, et les clients et les clientes s’en vont ravis. Ce me serait difficile de vendre une autre marchandise. Je connais le gant et je crois savoir en parler. Les clients veulent entendre parler d’hivers frustrés et de confort intérieur. Mais ils attendent aussi de l’esthétisme, de l’élégance, du savoir-faire.

Entretien du savoir-faire
Entretien du savoir-faire

 

J’évoque ces mains de cuir, les origines et les étapes de fabrication, et ce que c’est que de porter ce qui fait, ici à Saint-Junien, notre fierté. Je vante les couleurs et les liens qui se tissent entre le gant et leurs autres vêtements : une écharpe, un sac, un raglan. Toutefois, les mots sont peu de choses face aux sensations : alors, je laisse les chalands les essayer et, tandis que je tâche de les convaincre, je les vois qui ne m’écoutent plus, écoutent leur peau parler et décident soudain : je les prends, disent-ils. D’ailleurs, monsieur le journaliste, y aurait-il quelque chose qui vous plaise ici ? »

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20 février 2016 6 20 /02 /février /2016 19:00

Depuis ce matin, il parcourait les bois, cueillant et ramassant, pareil à un écureuil, ne laissant rien de ce qui paraissait pouvoir être mangé. C’était la sainte-Odile aujourd’hui, et l’hiver demeurait heureusement doux, car si tel n’avait pas été le cas, l’homme n’aurait pas pu déposer les quelques victuailles, quelques heures auparavant, auprès du foyer flambant de sa femme et de ses enfants.

Tous, à Gimel, font comme cet homme qui trébuche sur les souches et retourne chaque branche, piétine sur les champs en se penchant pour apercevoir un grain qui n’aurait pas été ramassé. Les hommes, les femmes et les enfants affrontent le froid doux et parfois mordant, car l’hiver aime à se rappeler au souvenir des êtres, tandis que le baron, dans son bas château, imagine des plans pour se sortir de la toile de ses poursuivants.

Troubles rumeurs
Troubles rumeurs

 

Notre homme passe son temps près de la rivière, une canne à la main, priant qui que ce soit pour qu’un poisson veuille bien se laisser prendre. A quelques pas de lui, un homme qu’il connaît bien pousse, de satisfaction, un cri : au moins sa famille, ce soir, sera repue, à moins que le seigneur ne prenne sur cela sa part qui est, même en temps de guerre, son dû.

Troubles rumeurs
Troubles rumeurs

 

Rien ne mord aujourd’hui, et l’homme quitte sa position dans laquelle il gèle pour revenir vers sa hutte. La nuit tombe vite : il faut se presser. La forêt s’assombrit, et avec elle grandit les peurs et les légendes qui l’habitent. Pressant le pas, l’homme plisse aussi les yeux. Il a entendu hier ses familiers parler de petits êtres malfaisants qui grognent et sont capables des pires tourments.

Troubles rumeurs
Troubles rumeurs

 

L’homme franchit le pont et remonte la longue route qui traverse le village. Dans les intérieurs flambent déjà les âtres ; au loin c’est la rumeur sourde des cascades. Il se souvient que l’été venu, c’est une douce musique que cette promesse d’eau fraiche ruisselant et éclaboussant les corps fatigués. Durant l’hiver, c’est un grondement terrifiant, pareil à une cavalcade féroce, avide de mal et de sang.

Troubles rumeurs
Troubles rumeurs

 

Ses songes sont interrompus par les cloches qui résonnent dans tout Gimel. Les ligueurs, qui sont là, veulent bien combattre mais point arrêter leurs prières. Les soldats se présentent sans armes, qu’ils ont laissées près du logis seigneurial ; le baron vient à leur suite mais son visage, loin de présenter l’heur de communier, trahit par ses rides ses observations et ses anxiétés.

Troubles rumeurs
Troubles rumeurs

 

Tandis que l’office se termine, la nuit, brusquement, tombe. L’homme, guère rassuré par les paroles bibliques, voit flamboyer dans la plaine le camp du roi. La menace est imminente, les heures sont critiques, le baron et ses gens d’armes attendent le choc et font fi de leur propre effroi. L’homme, pêcheur déçu et pécheur repenti, clôt sa porte. À cause du ventre vide et de l’espoir déjà perdu, qu’elle sera longue, la nuit.

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31 juillet 2015 5 31 /07 /juillet /2015 18:00

Avec son air désolé et ses manières gauches, le jeune mari continuait de remuer la petite cuillère dans le verre qui contenait le café. Le docteur venait d’expliquer à son épouse que, décidément, les efforts du couple ne donnaient rien, et qu’il était probable que l’un d’entre eux – là, il avait regardé pesamment la jeune femme avec un air de reproche – refusait – intérieurement sans doute – de réussir ce pour quoi chacun – et chacune, avait-il insisté – était fait dans la vie.

Le docteur était parti et on l’avait remercié malgré ses reproches à peine voilés. Elle savait qu’elle n’y pouvait rien et que la besogne – car c’en était une désormais – était faite régulièrement, et avec toute la bonne volonté qu’elle pouvait y mettre. Son mari, qu’elle aimait pourtant bien, était encore jeune et, il fallait le dire, redoutablement vigoureux. Mais elle le savait : elle n’y pouvait rien si son ventre ne grossissait pas.

En l'honneur du ventre
En l'honneur du ventre

L’homme était allé, comme tous les jours, aux champs tandis qu’elle se mit en devoir de laver la maison. Au moins, se dit-elle, on ne pourra pas me reprocher de mal entretenir mon intérieur. Sa belle-mère vint la visiter, juste avant midi, et s’enquit de la visite du bon docteur. La mine fermée de sa bru la renseigna amplement. Elle comprenait, la belle-mère, se désolait aussi, donna encore quelques conseils et, son verbe se perdant en bafouilles, sortit précipitamment.

En l'honneur du ventre
En l'honneur du ventre

Avant de partir, toutefois, elle avait eu le temps d’évoquer – elle n’en démord pas, pensa, amusée, la jeune femme – les miracles qu’à l’église de Saint-Léonard, le saint prodiguait. Tant de fois elle avait entendu cette histoire : il fallait passer la main sur la relique, et réciter deux – trois ? – prières, dire ce qu’on attendait du saint – mais ne le savait-il pas lui-même, ce tas d’os, avec toutes les requêtes semblables qui s’échouaient sur lui ? – pour être, dans la semaine ou dans le mois, exaucée.

En l'honneur du ventre
En l'honneur du ventre

L’idée fit son chemin. La soupe du midi avalée, ainsi que les quelques reproches car il avait encore tout crotté, la jeune femme se prépara à aller en ville. Cela lui faisait plaisir car elle mettait, un mercredi, l’habit du dimanche. Et puis elle en profiterait pour apporter ses robes à repriser. Mais avant, elle avait une mission dont il fallait avec grands soins s’acquitter.

En l'honneur du ventre
En l'honneur du ventre

L’idée fit son chemin. La soupe du midi avalée, ainsi que les quelques reproches car il avait encore tout crotté, la jeune femme se prépara à aller en ville. Cela lui faisait plaisir car elle mettait, un mercredi, l’habit du dimanche. Et puis elle en profiterait pour apporter ses robes à repriser. Mais avant, elle avait une mission dont il fallait avec grands soins s’acquitter.

En l'honneur du ventre
En l'honneur du ventre

La main tremblante, elle approcha de la relique. Elle pria, probablement trop car saint Léonard, du village des Noblat, n’émit aucune réponse. Elle formula sa demande, qui était qu’on lui donne un enfant, et de préférence – la préférence de monsieur, précisa-t-elle – sous les délais les plus rapides. Elle remercia, s’agenouilla trois fois puis sortit. Dehors le soleil brillait d’un éclat plus vif, ce qui était bon signe à son avis.

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5 février 2015 4 05 /02 /février /2015 20:30

Au bout de la ligne frétille un goujon. Son combat est désespéré : son avenir réside dans le panier du pêcheur plutôt que dans un hypothétique plongeon. L’hameçon aussitôt replonge, le vers en appât, attirant à lui le prochain repas du midi. L’homme au bout de la canne savoure déjà sa victoire, même s’il relâche, beau joueur, le fruit de ses efforts.

Un peu plus loin est un homme et son chien. L’épagneul promène sa robe rousse au travers des bois que le printemps a rendus vert. Son maître examine soigneusement les traces de quelque animal passé par là ; il siffle son compagnon avant de revenir sur ses pas. Ses bottes s’humidifient de la rosée matinale. L’aube nait encore, luisant sur la rivière, promettant une journée estivale.

Au bien nommé
Au bien nommé

Au même moment, on ouvre des volets pour découvrir à nouveau l’abbatiale clunisienne, aux allures conquiennes. De petits yeux encore ensommeillés, des rides qui marquent une vie déjà au passé, mais une lueur qui indique une irréductible vitalité. Le Patron tend les bras pour accueillir la future âme, et il devine, à l’œil moqueur, qu’il lui faudra patienter encore pour que la dame dépose les armes.

Au bien nommé
Au bien nommé

Le pain à la main, l’élégant salue celle qui, bien vite, ferme sa fenêtre. Lui aussi passe devant le portail sacré auquel il jette un regard mi roublard, mi inquiet. C’est que les diables et les dragons pourraient bien l’attendre, lui qui se vante qu’il n’est plus enfant de chœur. Rapidement, il passe le monument, évite de loin l’abside et file vers sa porte qui le rassure tant.

Au bien nommé
Au bien nommé

Plus tard dans la matinée, on se prépare à sortir. La haute maison protège encore son occupant, qui veut passer chez son boucher et le libraire, ses amis mais aussi des marchands. Pour le plaisir, il s’octroie un détour, longeant les bords de la Dordogne, souriant au pêcheur qui s’indigne de ne rien rapporter, glissant dans quelque ruelle, au hasard, en espérant bien se perdre sans jamais y arriver.

Au bien nommé
Au bien nommé

Au café on se retrouve, discutant des nouvelles du village et du pays, s’indignant ou s’esclaffant, riant bien qu’en ce Beaulieu, sur la Dordogne sis, on n’ait jamais à faire à aucune sorte d’évènement. Un homme agacé sort, surgit près d’une chapelle qui élance bien haut ses arcades, se calme en déchiffrant les inscriptions sur les frontons. Bien vite il rêve à des temps anciens, ignorant sans doute qu’alors aussi on s’emportait parfois pour un rien.

Au bien nommé
Au bien nommé

Son brin de ménage et de toilette fait, il s’échappe de sa maison qu’il voit parfois comme une prison. Il est déjà tard, et l’après-midi commence. A la margelle d’un puits, il s’arrête, contemplant la placette qui est toujours si calme et si jolie. Il n’y a personne dans les rues, et c’est là la tragédie dans ces villages qui facilement s’endorment, et puis s’oublient.

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5 août 2014 2 05 /08 /août /2014 18:00

Régulier, aigu, précis. Des coups sourds, dans la roche, puis l’aide d’une barre de fer pour faire tomber le tout. Là-bas, à une centaine de mètres, on extrait encore une roche blanche, calcaire, qui peut s’effriter si on la tourmente un peu trop. Mais là, sous nos pieds, le sol vomit du sang. Qu’on le perce, et alors les mains sont couvertes d’un rouge sombre.

Qu’on s’y jette, à pleine force et à pleins bras, et alors ce sont des blocs qui viennent, durs et écarlates. De fait une montagne inquiétante se dessine, mais elle devient, cette montagne, par l’intelligence, maison contre le vent, toit contre la pluie, chaleur contre l’hiver. Rien d’étonnant, en somme, si ce n’est cette teinte particulièrement, cette sueur du travail qui colore chaque bloc, chaque aspérité, chaque ride.

Collonges-la-Rouge 626

Ainsi sont faits les foyers, refuge des hommes avant la terre, avant d’autres refuges d’autres hommes. L’âtre fait assez bien son œuvre pour qu’on le laisse tranquille. Le barri grandit, se lie à d’autres, forme village, demande protection, l’obtient, grandit, perd privilèges, se recroqueville, menace de mourir. Des siècles ont passé.

Collonges-la-Rouge 617Collonges-la-Rouge 596

Puis l’ancienne ferme attire. Ce rouge n’est pas commun, et il est partout. De ce sang de la terre, on a bâti l’église, où l’on a réservé, pour la représentation du divin, le blanc de la pureté. On a érigé des tours, établi des contreforts, croisé des meneaux. Le grès s’est forgé une amitié avec la lauze, l’un supportant l’autre, l’autre coiffant l’un et se mariant en un sombre dessein.

Collonges-la-Rouge 609Collonges-la-Rouge 608

Rien de bingois à Collonges, tout y est droit. Mais la rudesse n’empêche pas la coquetterie. Le minéral n’empêche pas le végétal, et aucun ne peut arrêter ces branches aux verts ramages qui achèvent le tableau. Avec parcimonie ajoute-t-on, avec goût aussi, car rien ne dépasse ; les demeures se cachent, se dévoilent pudiquement, ignorent jusqu’aux œillades qui leur sont adressées discrètement.

Collonges-la-Rouge 606Collonges-la-Rouge 624

Ainsi fardée, la petite place est une invitation. A chaque pavé son détail, tout recoin cache une trouvaille. Telle pierre sculptée, telle entrée à l’ombre, tel cadran largement bronzé, telle sirène sortie des ondes. Ici le présent est le passé, car les siècles, partout, sur des plaques, sont désormais apposés.

Collonges-la-Rouge 603Collonges-la-Rouge 597

Personnifié ou pas, le hasard a pointé dans ses cartes cet étrange pays où la terre pleure des larmes pourpres. Indifférent aux guerres, au grand royaume voisin, moins aux plaies de la vigne mais porté par son atout du corps et du cœur, ainsi fut-il, ce pays des Collongeois. Et ainsi reste-t-il, baignant dans un jus occitan, aux saveurs douces et, toujours, le regard excitant.

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18 février 2014 2 18 /02 /février /2014 19:00

Il est quinze heures, et le soleil brûle la terre et nos corps dans le printemps finissant. Je viens de sortir de la maison, qui se situe à l’extrémité du bourg. Ma mère m’a demandé de faire ses commissions, et je profite de ces instants libres, où je suis maîtresse du temps, où chaque élément qui m’entoure devient jouet de mon imagination.

Les premières maisons sont calmes. Rien n’en sort. Ni bruit ni paroles. Les hommes arpentent la terre quand les femmes s’écorchent aux travaux invisibles et silencieux. Les champs d’alentour sont peuplés de ces mains âpres et calleuses, de ces corps suants et vaillants qui livrent le combat pour arracher quelques grains. Je les entends parfois s’interpeller, se réclamer, se rire les uns des autres.

Oradour 610Oradour 609

Jacques est au coin de la rue, attendant quelque complice pour s’enivrer des plaisirs enfantins. Il déguerpit à ma vue, craignant peut-être que son allure badine ne soit cause de mes dénonciations anodines. Je ne dirai rien. Après tout, sa mère n’en a que faire ; plutôt que de la gêner, en se libérant c’est elle qu’il libère.

Oradour 613

Je passe devant le garage. Une voiture y est garée, et deux hommes s’y affairent. Je reconnais Martin mais point l’autre, la tête cachée dans les complications mécaniques, les mains dévorées par la machine désormais silencieuse. Martin me voit ; il me salue, me sourit presque. C’est qu’il a des espoirs, que je ne veux ni décevoir, ni entretenir. Je rejette ma mèche de cheveux en arrière, glissant furtivement mes yeux vers les siens sans m’y attarder vraiment.

Oradour 602

Il sort et me suit du regard, puis retourne à l’atelier. Le bourg est plus animé, les femmes s’aèrent avant de reprendre le quotidien labeur. Le troquet, tenu par Marthe et Maurice, n’est animé que par les invectives sonores que s’envoient les jeunes époux. Leur mariage était beau ; paraît-il que l’affection qu’ils se portent se manifeste en colères qui, loin d’amuser les clients, les insupportent. Je passe mon chemin.

Oradour 604

La boulangerie est là. Un coup d’œil chez le boucher, qui attend que sa viande s’en aille, et j’entre dans la fraiche boutique. Les mains enfarinées, il est là le père nourricier, grignotant, pour tromper l’ennui, les fruits de son travail. Je compte les pièces, dépose la monnaie et file pain sous le bras vers la mère qui se demande sûrement ce que je fais.

Oradour 619Oradour 624

Mais j’arrive, j’arrive ma mère. Sommes-nous si pressés ? Nous ne sommes que le 9 juin, et l’été s’annonce beau. La guerre sera finie bientôt, et la vie continuera ici, à Oradour, comme tous les jours. Il y aura encore demain, et après-demain, et les autres jours pour se promener et s’inventer d’autres histoires. 

Oradour 595

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11 septembre 2013 3 11 /09 /septembre /2013 18:00

Les autos arrêtées n’osaient lever les yeux vers l’azurée cité. Pis, elles patientaient, pataudes, devant la beauté qui brûlait de l’autre côté. Alors, les délaissant, il fallut pousser l’avantage et se réduire à être happés par cette apparition bleutée. Alors, les oubliant, il suffit de traverser la frontière, mince bande toute grise, et tenter l’expédition désirée.

Les premières pierres rendent une autre lumière. Elle est douce et brille plus chaudement que ce qui fut d’abord aperçu. Les vieux angles polis gardent l’âpreté de ce qui a vécu. Car les premières pierres racontent aussi la terre sous les pas. D’ailleurs, elles en ont, pour certaines, préservé la couleur.

Turenne 537

La montée lente se fait légère, presque facile. La lauze et l’ardoise, discrètes, sont invisibles pour qui entame l’ascension. Mais elles reviennent bientôt à la vue, elles et leurs teintes qu’on peine à définir ; est-ce bleu, est-ce gris, est-ce heureux qu’elles s’en moquent et qu’elles s’allient ?

Turenne 507Turenne 519

Aux murs, l’habituelle végétation acrobate, qui parait bénigne mais se la joue aristocrate. Car ce ne sont plus des maisons, mais des palais, ces petits pénates aux pâles façades et qui luisent, un instant, à la faveur d’une douce et tendre fleur. Car l’habituelle végétation ne l’est jamais vraiment, et se pencher sur les détails qui la font originale peut prendre un bon moment.

Turenne 516Turenne 520

De ces résidences aux princes sans terres, il y en a une qui possède bien mieux : c’est la gloire. Le nom célèbre, tombé dans les plaines de Bade, resplendit ici sans que le nom ne s’y rende. Pourtant le château garde le souvenir, ou l’espoir, de batailles anciennes. Sa tour seule, comme à la proue d’un navire, regarde l’océan vert qui annonce le Périgord. Son autre tour, rude et carrée, surveille, elle, ses ouailles, comme si l’on eut pu les lui enlever.

Turenne 522

Quelques jardins en terrasse et des volets fermés, pour pouvoir se heurter. La promenade est un labyrinthe libre dont les seules issues sont d’autres obstacles qui ravissent l’œil mais perdent la raison. Même le clocher ne joue plus au rôle du salvateur ; tel une sirène, il convoque puis enferme qui aura cédé à son espoir.

Turenne 512

Retenus, mais pas perdus, il suffit de baisser les yeux pour éviter l’enchantement des pierres de Turenne. Le goudron devient guide et le charme, sans s’estomper, perd de sa terrible attractivité. Les autos arrêtées sont toujours sises où on les avait laissées. Le périple reprend.

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19 mars 2013 2 19 /03 /mars /2013 22:01

Le marteau frappe la pierre. Violemment. Exactement. A peine le burin a-t-il exécuté son mouvement que s’envolent les débris de rocaille. Le même bruit se reproduit, sous l’infatigable exercice du corps ployé, tendu, énervé. Silencieusement, les mêmes gestes se succèdent. Lancinant, le son de la roche qui éclate, qui s’ouvre et promet, à l’ouvrier encapuchonné, la fin d’un labeur depuis longtemps commencé.

Dans la large nef, tous sont là. Mains ouvertes, bouches fermées, tous attendant le signal. Un homme ose, par sa voix, troubler le silence : alors le chœur se lance. La polyphonie naît en aigus et en graves. Nous t’adorons, chantent-ils ; nous creuserons, promettent-ils. Puis tout se tait, le jour se termine.

Canal des moines 739

Retour à la source. L’infime étendue est statique. Blottie au fond d’une forêt dense, elle est le repère d’une étrange lumière extatique. Un rayon bleu vif traverse l’espace et se pose sur une feuille qui trempe dans l’eau. La libellule repart bientôt. Tout y est calme, tout y est beau.

Canal des moines 767

Prisonnière de sa condition, l’onde dévale l’imperceptible pente, tel un doux torrent. Le canal suit la voie la plus directe. Lui si mince, c’est à peine si l’on perçoit son bruissement. L’eau, incroyablement claire, laisse entrevoir le tapis de granit qu’elle survole.

Canal des moines 765Canal des moines 758

A flanc de colline, le minutieux ouvrage aime les acrobaties. Défiant le vide, la force vive fend la roche qui s’oppose. Les siècles ont couvert le choc : les deux anciens ennemis se sont depuis accommodés. Et rien ne semble changer hormis les couleurs qui jaillissent des reflets, tantôt d’or, tantôt de métal.

Canal des moines 755Canal des moines 754

Enfin apparait l’abbaye d’Aubazine. Son clocher émerge des arbres, mais de hauts murs la protègent. Pour l’onde pourtant, elle s’ouvre, comme une union définitive entre l’eau et la pierre. Fol espoir que de vouloir s’abreuver aux cimes ; mais l’espoir n’est-il pas aimable vertu ?

Canal des moines 749

Des notes pour le courage, des voix pour le travail, des éclats pour la soif. Pas à pas, l’eau s’est approchée de son but. Qui devinerait les heures ? Qui soupçonnerait la peine ? Qui évoquerait la volonté muette et le chœur chantant de ces hommes qui, de leurs mains, contraignirent la nature ?

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23 avril 2012 1 23 /04 /avril /2012 20:30

C’est un dimanche matin comme beaucoup d’autres. Le temps est calme et l’air est frais, malgré le soleil qui darde ses rayons sur la campagne alanguie. L’heure est précoce, c’est encore l’été, et des bois environnants montent de tendres essences. Sous les pieds le sable crisse, étrange caresse ; et, sortis de l’impasse, nous entrevoyons de la ville sa richesse.

La Vézère coule en contrebas, dessinant de sinueux méandres aux courbes de diva. L’onde ne s’ébruite guère, et depuis notre belvédère, nous voyons sur les collines son action féconde. Un théâtre vert, aux noms pluriels, immense parterre de chênes, d’hêtres et de tilleuls. A la place d’honneur trône Uzerche, havre de beauté, de sa situation étonné spectateur et formidable acteur.

Uzerche 553Uzerche 561

Approchant de la vieille ville, c’est un cortège de pierres antiques et de végétations mirifiques qui ceint le mince passage pavé. Deux bœufs et trois lys pour les armes pour une ville sans souillures ni vacarme. Sous la protection d’une vierge et d’un enfant, sous le porche l’on se glisse pour satisfaire l’impatience.

Uzerche 556Uzerche 558

Une côte surprend nos pas ; et quelques escaliers, ici et là, lancent des invitations à l’envi. La pierre blonde se fait pâle, laissant apparaître ses rigueurs et ses accumulations inégales. Sur une maison, vestiges et symboles rappellent les anciennes idoles d’une époque de prestige. La perle du Limousin n’a pas volé sa réputation et Arthur Young, qui le lui donna, connut sûrement les mêmes impressions.

Uzerche 559Uzerche 562

Les cloches sonnent à la volée et attirent les regards vers le haut clocher. L’abbatiale n’a plus de dépendances et le rayonnement de ses chapelles n’est qu’esthétique et local. Mais son histoire parle pour elle et sa gloire passée s’est en présente mémoire changée. Le plus intrigant réside dans ses cryptes, cachées sous le chevet ; plongées dans une sombre torpeur, elles sont le rendez-vous des insensés imaginaires et des profondes ferveurs.

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Peu à peu, la lumière reprend ses droits. Dans les venelles les plus étroites et sur les palais les plus anciens jaillit une jeunesse nouvelle. Partout, on la voit et on la confond, comme un refrain éternel, une délicate séduction. Uzerche respire une quiétude déjà méridionale qui se reflète sur les murs et les tourelles, dans les jardins et les ruelles.

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Doux réconfort que de se promener dans les rues blondes et chaudes d'Uzerche. Au matin forteresse qui sort des flots de brume, au soir refuge éclatant qui se fond dans le ciel ouaté. Et au plus fort de la journée, le soleil la réchauffe et l'éclaire ; un vent la berce, une onde la frôle avec tendresse et la cité se fait enchanteresse.

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