Route humide que la pluie vient de quitter. Les nuages sont encore bas et lourds, ils sont gris et menacent d’à nouveau déverser la tristesse des averses longues. Nul autre bruit que celui du vent dans les feuillages fournis du massif forestier, nulle autre mélodie que celle du chant des oiseaux reprenant voix après le déluge. Un calme rare, puissant et inquiétant, duquel on ne s’affranchit pas, qui nous prend et nous contrôle et nous dicte nos pas.
Arrêt forcé sur le bas-côté car un mirage est apparu. Besoin irrépressible de vérifier, de solidifier la réalité et de s’enfoncer dans cette verte atmosphère. Les cieux s’éclaircissent, les vapeurs d’eau s’échappent du goudron noir, une lumière nouvelle montre le chemin. Petit chemin de terre qui s’enfonce dans la forêt, caillasses éparses qui gênent le pied, descente délicate à contre-flanc de colline.
C’est bien un château, les yeux n’avaient pas trompé. Au premier regard, des ruines qui ne supportent le temps que par miracle, des bouts de murs branlants sur lesquels chaque oiseau qui se pose est une menace. La terre est encore humide ; elle exhale son odeur habituelle et rassurante pour qui a grandi à la campagne. Tout à coup, vent frais. Déboule des cimes, se réfugie au creux des pierres. Frisson.
A mesure, le château offre sa complexité. Tours incomplètes, portes solitaires, arc brisés, escaliers vers le néant. Exploration curieuse et néanmoins prudente ; la glissade pourrait être douloureuse. Quelques corbeaux sur les arêtes, l’œil torve, le corps dressé, croassent avant de s’envoler. Peut-être les esprits de corps anciens, animaux ou humains, hantant ces pans qu’ils connaissent si bien.
Dédale minéral, labyrinthe de cachettes séculaires. Crainte de voir quelque fantôme surgir, arbalétrier ou épéiste, ou peut-être un animal dont c’est le repaire et qui défendrait icelui contre quiconque voudrait l’en extraire. Sur la droite, un muret couvert d’herbes sauvages ; sur la gauche, un tour éventrée. Âtres sans feu, opes sans poutre, bancs sans dame qui y tissent et y parlent.
Tout autour, un océan vert. Le vent fait des vagues qui s’échouent sur d’invisibles plages. Ecume faite d’odeurs de sous-bois qui montent paisiblement aux murailles. Tranquille poliorcétique, envie de se joindre à l’assaillant. Quand même, on se réfugie derrière les barreaux usés d’une ancienne salle, on s’assoit sur un banc de pierre, froid et depuis longtemps solitaire. Un regard par l’ouverture : vertige séculaire.
Images qui viennent, surgissent, habitent les tours de Merle. Spectres hagards que le voisinage du bitume égare, que la marée vert clair du printemps afflige, que l’absence des échoppes et des masures perd. Forteresse vide que la brise parcourt, que la poésie occupe maintenant comme une maîtresse qui y a toujours été souveraine. Dernier regard en arrière. Ouverture automatique des portes. Démarrage en côte.