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5 mai 2017 5 05 /05 /mai /2017 18:00

A l’angle du cours Belsunce et de la Canebière, deux cacous barjaquent. Entre collègues, ils se vantent et se narguent, évoquent les filles qui ont hanté leur dernière nuit. Chacun conte ses exploits, parfois réels, souvent imaginés, et chacun veut surpasser l’autre dans son récit, inventant de nouvelles façons de plaire. Les vieux ricanent sur leur banc. Ils se disent : écoute les faire le James, ils n’en ont pas fait la moitié … Que veux-tu ? C’est le cagnard qui leur cogne sur la tête.

Les deux jeunes hommes tracent leur route, ignorant les deux aïeux qui ont l’âge d’avoir accompagné Marius à son bateau. Marchant tranquillement mais avec assurance, ils passent devant les grands magasins et les petites épiceries où se pressent les familles, impatientes d’acheter le goûter ou bien le lait pour le caganis et l’aîné. Plutôt que d’aller au pégal, ils vont chercher là leur société et leur régal.

Clichés
Clichés

Sur la Canebière, les deux compères croisent aussi des boumians, l’air égaré et l’habit misérable, tendant la main pour cueillir la pièce. Autour d’eux, la rue pétarade de klaxons aussi inutiles que rageurs et de crépitements de moteurs. Les scooters zigzaguent, débouchent des rues sans crier gare, s’engagent dans des passages pourtant interdits. Plus ils vont, et plus le Vieux Port se découvre.

Clichés
Clichés

Le Vieux Port : le rendez-vous des fadas et des cagoles, pas forcément mélangés d’ailleurs, un oaï pas possible de gens en tous genres, photographiés par des touristes qui sont à dache et en recherche d’une bonne table où déguster une bouillabaisse. Les navettes maritimes pleines partent pour les îles du large ou pour le large lui-même, terrasse attractive qui tangue et qui donne sur les origines de la cité.

Clichés
Clichés

Assis à la terrasse, nos deux garçons partagent un café. Autour, quelques pastagas sont servis, une dose pour sept, eau fraîche, car l’heure de l’apéritif a, pour certains, déjà sonné. L’un des deux arrête de jacter, sort son téléphone, appelle un troisième larron. Celui-ci répond qu’il ne peut pas venir, coincé qu’il est dans son appartement du cours Julien, sa pitchoune est malade, c’est la scoumoune en ce moment. L’autre raccroche, et rigole : eux ne se sont pas faits estampés par le piège de la paternité.

Clichés
Clichés

Quel monde encore, en ce beau jour baigné de soleil, comme à l’habitude, une après-midi à faire le pénéquet dans un parc ou chez soi, et ça défile, ça défile, devant l’hôtel de ville et l’église des Augustins. C’est un spectacle en soi que de voir ces foules se presser ici, auprès des eaux bleues où flottent les pointus et les sacs en plastique, les habitués et les nouveaux arrivés issant de la bouche du métro.

Clichés
Clichés

Ils continuent de parler, ces deux complices, loin des pêcheurs qui exposent tous les trésors de leur mer attrapés par les palengres : la rascasse, le saint-pierre, la vive, le grondin, le congre et le merlan. Le gabian veille. Les papets viennent y faire leurs emplettes tandis que les chourmos de gamins, qui craignent dégun, se bouchent le nez. Les petits maillots bleu ciel et blanc vont leur chemin sous l’œil de la Bonne Mère, éblouis par les scintillements de la belle mer.

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26 novembre 2016 6 26 /11 /novembre /2016 19:00

Ils étaient à bout de souffle. Comme si une fatigue venue du fond des âges les avait irrémédiablement gagnés, les assiégeants, désormais spectateurs, regardaient défiler un à un les cent. Les visages étaient hâves et creusés. Dans l’air automnal de décembre, les respirations restaient en suspens comme l’était demeuré le temps sur ce bout de rocher de Provence.

Ainsi que le faisaient les assiégés, les souvenirs de la rude bataille s’enfuyaient à travers la porte grande ouverte de la ville. Cinq longues années avaient été nécessaires pour qu’enfin, les assaillants puissent prendre pied dans Ménerbes. Cinq furieuses années, tant l’outrage originel avait été puissant, et tant la colère s’était abattue sur ce qui était devenu, au fil des mois, guère plus qu’un amas de ruines.

Les cent glorieux
Les cent glorieux

L’hiver, en ce temps, approchait également et la cité, qui du pape était chérie, avait été surprise par une faible troupe de réformés. Nul n’avait vu venir ces cavaliers qui, sans coup férir ni sang versé, y avaient établi leurs quartiers. L’ire romaine, franchissant les Alpes, gagna rapidement ses fidèles qui bientôt apparurent, armés de pied en cap, sous les murailles hautaines.

Les cent glorieux
Les cent glorieux

Le temps fut d’abord perdu en palabres. Quand il ne fut plus question de discussions, que d’aucuns papistes jugeaient d’ailleurs inutiles, on régla la mire et on aiguisa les lames. Aux milliers de bannières et de cuirasses rutilantes s’opposaient une centaine de combattants, portés par l’orgueil et obligés par l’acculement. Mais c’est à la faim que fut laissé l’honneur de la victoire : la froide période débutait son règne aveugle.

Les cent glorieux

Cependant la famine resta à l’écart de l’affrontement, et alors les attaquants comprirent que leur sort se réglerait par le fer et la violence. Montant à l’assaut en vagues hurlantes, ils crurent d’abord à un succès facile tant leurs coups trouvaient des ouvertures et infligeaient des blessures terribles. Mais regardant leurs propres rangs, ils comprirent que l’ennemi était également féroce, et qu’il ôtait de leurs forces les hommes les plus aguerris.

Les cent glorieux

Comme souvent en pareil cas, on se lassa des combats et des corps à corps. Les anciens conquérants devenus des reclus firent montre de patience. Tandis qu’ils accueillaient dans le secret les intrépides venus les ravitailler, leurs adversaires songeaient à la tactique qui, à coup sûr, les emporterait. Les épées et les arbalètes ne servaient plus guère ; pour forcer la décision, on fit jaillir moult boulets de bombardes et de canons.

Les cent glorieux
Les cent glorieux

Et ce fut le déluge, comme un avant-goût de l’enfer. Un mois durant la fonte frappa la pierre, et cependant la colère ne les terrassait pas. A la fin, quand les hommes furent à bout et que seule la superbe les faisait tenir encore debout, on négocia. Ainsi à l’aube du cinquième hiver, les cent survivants quittèrent la place. Vaincus et splendide, ils défilèrent en armes et en drapeaux, saufs et fiers, partant vers les murs de quelque place plus sûre.

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10 mai 2016 2 10 /05 /mai /2016 18:07

 

16 mars 1865. Je l'ai décidé aujourd'hui. J'écrirai prochainement sur ma Provence natale, ma chère Provence que j'ai quittée depuis trop longtemps pour qu'elle me reconnaisse, et cependant j'en garde encore mentalement toutes les odeurs et toutes les images. Il me tarde de commencer et déjà plusieurs questions se posent. Écrirai-je un roman ? Des nouvelles ? De la poésie ? Mes amis disent que je n'ai pas le don de la poésie. 

27 mars 1865. Après avoir longuement réfléchi, j'ai opté pour le recueil de nouvelles. Plusieurs raisons m'ont poussé vers ce choix. La principale est que cette région est trop riche et trop complexe pour être contenue en un seul roman. Ce recueil sera comme une succession de tableaux, tel un musée littéraire, et le lecteur pourra, ainsi que l'amateur de peintures, promener son regard sur telle ou telle histoire.

Fidèle à la lettre

 

24 avril 1865. Il m'est difficile de retrouver l'esprit de ce pays si plein de chaleur. Je vis pourtant à Paris depuis quelques années, et jamais cela ne m'avait semblé si gris et si triste. Mes premiers essais sont catastrophiques : j'ai vu, à la gêne de mes amis, que tout était à jeter. Me relisant, j'ai soudain ouvert la fenêtre et offert au vent ces feuillets inutiles. La pluie a fini de me laver de cette honte en détrempant les manuscrits.

Fidèle à la lettre
Fidèle à la lettre

 

17 mai 1865. L'espoir renaît en même temps que le printemps. La coïncidence est hasardeuse mais c'est un signe que je ne néglige pas. J'ai écrit cinq nouvelles, particulièrement bonnes et, c'est le plus important, qui révèlent un peu de l'âme de ma Provence. Tandis que ma plume glissait sur le papier, je sentais la lavande, j'entendais la rumeur têtue des cigales et je me sentais accablé de ce soleil délicieux.

Fidèle à la lettre
Fidèle à la lettre

 

7 juin 1865. Rien ne va plus. Mon éditeur a refusé les dernières nouvelles que j'ai imaginées, arguant qu'elles étaient farfelues et relevaient d'une fantaisie que n'acceptaient pas les gens de sa trempe. Cette discussion pour le moins houleuse a eu lieu hier. J'erre depuis sur les boulevards et en mon esprit se dessinent les chères montagnes au front blanc, peuplées d'oliviers pareils à des êtres fantomatiques.

Fidèle à la lettre
Fidèle à la lettre

 

10 juin 1865. Je veux rentrer. Je me suis informé des horaires des trains mais un de mes amis m'a rattrapé sur le quai. Mes personnages sont caricaturaux et nul ne pourrait les prendre en sympathie. Ah, ma Provence, mes Provençaux, vous ai-je donc trahis ? N'étais-je pas, moi votre semblable, le meilleur pour vous peindre ? Il est plus que temps d'en finir avec ce projet, et de retourner à mes fades mondanités.

Fidèle à la lettre
Fidèle à la lettre

 

2 août 1865. J'ai eu de la peine en mettant le point final à la dernière nouvelle, mais tant de joie de savoir ce recueil bientôt publié. Je reçois les avis enthousiastes de mes amis, mon éditeur lui-même s'est réjoui ouvertement de ce qu'il appelle mon talent. Je l'appelle, quant à moi, fidélité. Fidélité à une terre qui ne m'a jamais quitté quand moi, pourtant, je l'ai délaissée. Fidélité d'une terre à elle-même que j'ai voulu, par humain orgueil, immortaliser.

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19 octobre 2015 1 19 /10 /octobre /2015 18:00

 

Une foule dense et nombreuse se presse aux portes du théâtre. Nombreux sont ceux qui arrivent du forum où ils ont passé les heures de l’après-midi à échanger des marchandises et évoquer les actions des grands hommes de la cité. Parmi eux pavane un descendant de vétéran de la légion gallique, qui considère Arausio comme sienne et héritage authentique.

L’heure n’est toutefois plus aux palabres. Elle est aux loisirs. Ainsi va le peuple, entre les arènes et le théâtre, entre les bras combattants et armés et les torses dansants et transformés. La foule est mixte encore, mélangeant en son mouvement continu les toges et les sandales, les parfums les plus fins et les odeurs rances des peaux usées par le soleil et la terre.

Le mythe et le masque
Le mythe et le masque

Il ne vient nullement à l’esprit de ces hommes et de ces femmes, latins ou tricastins, voconces mêmes, de se presser pour s’assurer les meilleures places. Nul ne saurait être à l’écart ou éloigné des siens, ou, pis encore, à un rang qui ne lui convient pas. L’installation n’est certes pas une chorégraphie sans failles, du moins chacun de ces citoyens fait selon l’habitude et s’assied bientôt sur un banc de pierre dominant la scène.

Le mythe et le masque
Le mythe et le masque

 

Le silence se fait dans l’immense hémicycle, gagnant les rangs et les conditions à mesure que le comédien, unique, marche jusqu’au centre du proscenium. Des yeux, des milliers d’yeux, le regardent maintenant, la bouche close, et il voit, lui le réceptacle de tous les personnages du pantomime, se précipiter à ses côtés le musicien qui attend ses premiers gestes. Derrière lui enfin, le décor et les statues, dont celle de l’empereur l’impressionne le plus, qui pointent sur lui seul leurs pupilles de marbre.

Le mythe et le masque
Le mythe et le masque

 

Un son aérien naît, aigu et chancelant, et s’affirme tout à fait en tombant vers des notes plus graves. Le danseur répond à cet appel, mimant le jour qui éclot, ou bien est-ce le monde, et ses pas et ses bras et son torse suivent le rythme de ce son qui percute le fond de la scène et se projette jusqu’aux plus élevés des gradins. Dans l’orchestra, les consuls devinent bientôt Jupiter sous le délicat masque de soie.

Le mythe et le masque
Le mythe et le masque

 

Les gestes sont précis, et rapides. De ses longs doigts graciles, le comédien change de masque, prend celui, plus neutre et donc plus humain, d’un illustre Grec chanté par les récits homériens. Le dos se plie, les muscles se contorsionnent, ce sont les dieux qui écrasent l’homme, suscitant du public un cri. Il est bref, et le silence revient. Les marchands et les artisans, plus hauts dans la cavea, attendent avidement la suite.

Le mythe et le masque
Le mythe et le masque

 

Les notes douces accompagnent cette danse et ce corps qui ne s’arrête plus de tourbillonner. Tout Si loin du drame, les esclaves. Ils aiment voir cet homme qui a trompé les dieux et la mort, précipitant son supplice. Voilà la fin du pantomime : épuisé, le danseur pousse sans relâche une pierre imaginaire qu’un dieu invisible repousse à chaque essai. Les notes s’éteignent. Quelques pleurs retentissent tandis que le corps, sur scène, s’effondre tout à fait.

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2 avril 2015 4 02 /04 /avril /2015 21:10

De blanches ombres galopent sur le rivage. Bientôt la cavalcade s’arrête, et les bottes plongent aussitôt à la rencontre du sable immergé. Une foule s’approche, les mains levées, vers ces seigneurs hennissant. Et les regards se croisent, la bête immaculée toisant et craignant cette horde géante, dont les yeux si nombreux brillent et dont les bouches babillent sans repos.

Sur la mer, le soleil se reflète sur les vaguelettes qui ondulent, et qui écument timidement. Les deux bleus, celui de l’onde et celui des cieux, se répondent mutuellement, chacun respectant de l’autre le territoire à la fois inaccessible et tant désiré. L’espace d’un instant, le sabot lourd tente de mêler, effort dérisoire, l’eau et l’air, le sel et la lumière.

Le règne de la dame en noir
Le règne de la dame en noir

Sur la plage, les cris ne cessent guère. On trépigne, on prie, on pense au pire en prévoyant la fin d’une telle attente. Au cœur des chants on ne la voit pas, cette belle dame au manteau d’azur, qui fend la foule en écoutant fredonner son nom. De toutes parts les bras se pressent et s’offrent en guise de trône. Elle, le regard fixe sur son teint d’ébène, n’a point d’égards pour ses adorateurs. Plutôt tomber de son piédestal que de se mêler à leurs pleurs.

Le règne de la dame en noir
Le règne de la dame en noir

La ville se fait monde à mesure que la foule grossit. De toutes parts les langues se mêlent, lingua franca du nécessaire, de la piété et de la fraternité. Les regards disent aussi beaucoup, et les mains et les bras également, quand les phrases se heurtent aux frontières de la compréhension. Les ah et les oh sont les rois des mots, surtout quand passe celle, qui, la main en l’air, bénit son troupeau.

Le règne de la dame en noir
Le règne de la dame en noir

Tandis que la statuette rentre en la cité parvient la clameur d’un souvenir sacré. Celui de femmes d’ailleurs, vagabondes aux refuges abondants comme les cœurs qui ont fait leur ces orientales croyances. Accueillies par la kali elles y moururent en paix sans savoir, probablement, que cela sacrerait cette terre pour tous ceux qui errent.

Le règne de la dame en noir
Le règne de la dame en noir

Depuis l’église fortifiée, les cloches sonnent. Elles couvrent alors le bruit des voix, et celui des instruments qui se confondent dans la liesse. Les portes restées ouvertes laissent échapper le sermon qui déambule, s’arrêtant à chaque oreille pour y demeurer longtemps. Dehors, déjà, le soleil offre en sacrifice ces adorateurs ambulants, prêts pourtant à repartir dès la fin du pèlerinage.

Le règne de la dame en noir
Le règne de la dame en noir

Le départ est un refrain annuel. Ses notes sont bien connues, et cependant il apporte toujours un peu de tristesse pour ceux qui restent. L’orbe chaleureuse elle-même se couche, penaude, sur les flots du soir, regrettant les couleurs zingaro. Les gardians récupèrent leurs taureaux tandis que sur la mer, les saintes Maries s’en partent quelques semaines de ce pied-à-terre. Ne restent que les murs blanchis par la chaux et le soleil, et des ruelles désertes où est abandonnée une guitare aux reflets vermeils.

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30 septembre 2014 2 30 /09 /septembre /2014 18:00

Début du mois de juillet, plus de trente degrés. Le chant strident des cigales, la musique imperceptible du Rhône. Le bruit du gravier qui crisse sous les chaussures. Les pas qui résonnent dans les ruelles ombragées. Les cris d’enfants. Les sourires des gens. La curiosité des visiteurs. Et le regard amusé des habitants, assis en terrasse ou accoudés à la fenêtre. Midi sonne, Arles s’éveille.

Les arènes ne s’enflamment plus pour les corps agonisants et ruisselants. Les arcades sont nues, minérales. Autour, les maisons ne redoutent plus ce temple de la cruauté, demeuré centre des attentions mais champ de bataille pacifié. Dans le ciel quelques oiseaux, autrefois augures, qui en sont de bons pour qui pénètre aujourd’hui sur le sable pur.

Arles 201

L’ambiance est formidablement estivale. Les crépis usés des restaurants peuvent cacher des tablées idéales, où le romarin accompagne la sauge et le thym. Derrière des façades parfois grises surgit un jardin aux milles couleurs où le regard n’a guère de prise. Le parfum monte des fleurs. Suit le charmé visiteur qui s’engage au détour de la ville et de ses secrets.

Arles 194Arles 206

Partout ces volets colorés. Entrouverts, ils laissent deviner la fraicheur des intérieurs. Parfois le bois résiste, et alors on le voit transparaitre de cette peinture datée ; parfois l’orgueil a fait redonner peau neuve à ces gardiens de l’intimité. Des rouges et des verts, se mêlant à l’or de la pierre. Et des bleus clairs aussi, bataillant avec des lampadaires par les efforts assombris.

Arles 189Arles 192

Au milieu de tant de lumières en vient une autre venue des airs. Saint Trophime, étrange patronyme, mélange tous les arts sublimes. Monument roman côtoyant l’esthétique classique, son entrée en impose avec sa cohorte de saints et son armée de prophètes. Ils ont l’air calme, et heureux, comme tout homme condamné à vivre en cette cité chaleureuse.

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Rue du forum, rue des arènes, tout converge vers l’immense lieu. Mais loin d’y parvenir, le marcheur se perd volontairement en des détours curieux. Car une rue qui s’ouvre, et c’est un monde qui se découvre, des histoires qui remontent jusqu’aux temps romains, et d’autres plus récentes, de jeux de minots et de gamins.

Arles 220Arles 218

Ville antique et ville culturelle, Arles a des atouts pour faire la belle. Mais elle se fait plutôt nonchalante, prenant le temps pour mieux en profiter, discutant avec le soleil et sa présence ardente. Et comme le sifflotait Bizet, les Arlésiens sont plutôt discrets, préférant le refuge de leur mas en y trouvant la torpeur des heures lasses. Ils laissent ainsi aux visiteurs, en plus des coups de soleil, le luxe d’une cité sans pareille.

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1 mai 2014 4 01 /05 /mai /2014 18:00

A bien y regarder, peut-être pourrait-on apercevoir sur le sol blanchâtre les traces de pas du seigneur des Baux dont le visage, fouetté par la pluie, regrettait amèrement le départ de sa belle. Mais à bien y regarder, on verrait que le spectre se serait évanoui et que les vers de la chanson nous auraient empreint l’esprit d’images hallucinées.

Soudainement, c’est le désert. La journée est brûlante. Pas un bruit, et même la brise qui est rare se fait silencieuse. Aux alentours, la roche nue attire par sa blancheur l’astre absolu. Sur ces versants effilés vivotent quelques touffes qui suffoquent de cette atmosphère effrayante. À leurs pieds, quelques oliviers, les branches touffues mais le fruit desséché, situent l’aventure près de la Méditerranée.

Les-Baux-de-Provence 109Les-Baux-de-Provence 110

L’asphalte transpirant trace la voie vers un éperon rocheux. Discrète, une pancarte indique sur la droite un chemin vertical, s’enfonçant dans de sombres anfractuosités. Dans l’immensité agreste, les quelques bâtisses sont comme un espoir d’échange. Mais l’espoir est déçu : passages et venelles renvoient sur les blocs lactés le choc du vide et le poids de l’écho.

Les-Baux-de-Provence 127

Après un rapide tour des lieux, leur état en est fait. Le village est une place forte, assailli par les Alpilles, garanti par les saints et les dieux qui y trouvent leur asile. Leur regard est partout, dans l’éclatant silence qui surgit à chaque rue nouvelle. Même sur le perron de l’église, les pas semblent s’étouffer dans cette fine poussière grise qui recouvre les marches comme un voile de mariée.

Les-Baux-de-Provence 136Les-Baux-de-Provence 141

L’absence étonne. La promenade prend des airs de conquête, et à chaque souffle de vent c’est un prétexte à s’arrêter : n’a-t-on pas entendu quelque murmure de ce côté-là ou bien ci-devant ? Alors les sens s’exacerbent, en même temps qu’ils se repaissent des trouvailles qu’ici et là on cueille. Le délassement vient, le stress n’est plus que souvenir ancien et on se plait à prendre possession des venelles et des placettes qui offrent, Provence oblige, parfois un banc pour s’y complaire.

Les-Baux-de-Provence 146Les-Baux-de-Provence 138

Seul l’on est, car même les cigales ne chantent guère, offrant le loisir d’un calme parfait. Entre deux façades rapprochées, le guet-apens n’est plus à craindre ; et à la fontaine pour s’y abreuver, point n’est besoin de s’y restreindre. Plusieurs fois les Baux sont ainsi parcourus, et le voile du mystère se lève peu à peu, jusqu’à rendre au nid d’aigle sa blancheur, sa force et sa fraicheur.

Les-Baux-de-Provence 151Les-Baux-de-Provence 128

A la fin du jour, le charme disparaît. La promenade enchantée est alors prise dans la cohue, et il faut de nouveau faire attention à son prochain qui, comme nous auparavant croit être isolé car il est ému. La rumeur enfle, c’est la vie des Baux qui reprend aux portes du château. Le feu, lui, demeure, même dans cette atmosphère bientôt vespérale qui bientôt basculera dans la nuit. Assis à une terrasse, il est aussitôt calmé par ce verre glacé qui délivre d’une soif décidément tenace.

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14 novembre 2013 4 14 /11 /novembre /2013 19:00

Le coq, solide et fier sur ses pattes, a chanté tôt ce matin. Son nom, célèbre dans tout l’empire, est le synonyme de luttes intenses, de batailles perdues ou gagnées, de soumissions et de pouvoir. Peu lui importe l’histoire ; c’est pour la gloire qu’il hurle, lui qui de ses plumes est fier et qui chaque matin, inlassablement, révèle le soleil aux endormis manants.

L’animal laissé à sa besogne ergote bruyamment. Mais l’attention est ailleurs, portée sur l’arc qui s’élève au milieu du sable. Porte solitaire, sans possessions ni frontières qu’elle peut délimiter. Porte sans cité, vestige qui triomphe des affres de l’oubli. Ses gardiens, blancs et à moitié effacés, souffrent doublement de l’absurde immobilité et de l’atroce cécité.

Glanum 053

Le mausolée voisin est pareillement nu sur cette aire délaissée. Telle une lanterne aux proportions formidables, il s’est élancé sans peine dans ces infinies années. Sur ses bas-reliefs, l’on devine les scènes de guerre, et de chasse, qui reviennent au même. C’est en l’honneur de la mort qu’il fut dressé, pour celle qui fauche et pourtant est exaltée.

Glanum 056Glanum 059

Glanum, désormais oubliée, fut urbaine prospérité. On y parla grec et puis latin, on y voyait les Alpes en sentant tout près les Apennins. Respecté de la nature, le site autorise ça et là de certains buissons les désinvoltures. Mais c’est la pierre qui règne ici, elle qui saigne en silence. Car le temps, aidé des hommes et du vent, a tôt fait de ravager les plus exquises créations, n’ayant de respect que pour lui-même et ses imprécations.

Glanum 101Glanum 065

Sur les colonnes orphelines, plus aucune tuile ne retient les visites impromptues. Sur les colonnes orphelines, les crénelures creusent jusqu’à leurs pieds les anciens symboles de la postérité. Sur les colonnes, l’on voit le ciel, qui aujourd’hui a tout loisir d’observer scènes privées et intérieurs délaissés. L’on pénètre sans égards dans les pénates et les boutiques, essayant de saisir les secrets de toute cette vie antique.

Glanum 081

Au fur et à mesure que l’on s’y enfonce, vers les confins où se dressent les collines, l’on passe les stèles où apparaissent les prières et les promesses destinées au héros aux douze travaux. Peu avant, les temples, désuets et décharnés, imposent par leur hauteur l’imagination de leur gloire passée. Ils font face à la source ancienne, gauloise, païenne parmi les païennes, guérisseuse des maux et origine du mot.

Glanum 096Glanum 097

Par un chemin de terre sèche et de pierre, le panorama se découvre. Les criquets, ces fervents Provençaux, rivalisent à nouveau de chant et d’endurance. En contrebas, les maisons, les termes, le forum, les étals, les atrium paisibles et les pavés battus par les roues de charrette, les prêtres et les notables, les légionnaires, les marchands, les enfants, les princes et les dieux, enfin, reviennent une dernière fois sur les ruines de l’empire.

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30 mai 2013 4 30 /05 /mai /2013 18:06

C’est une symphonie dont le chef d’orchestre est mystérieux, les musiciens invisibles et dont la mélodie ne s’arrête jamais. C’est une musique qui envoûte et qui emmène son auditeur dans un monde précis. Un monde de chaleur où le soleil est implacable. Un monde irradié et brûlé, et asséché et miraculé.

Cette musique n’hésite jamais. Si elle perd tantôt de la vigueur, c’est pour mieux la retrouver au plus fort de la journée. Si on la croit absente, c’est que l’esprit l’a toute entière absorbée, jusqu’à en faire un rythme naturel qui accompagne tous les mouvements. Même le bruit de l’asphalte ardent ne la recouvre pas. Même les cris de surprise ne l’oublient pas.

Gordes 905

Le criquet s’est-il tu, ou bien a-t-on, pour un instant, délaissé le chant lancinant de ces loquaces sauterelles ? La découverte laisse sans voix. Les yeux grands ouverts. La bouche l’imite. Le corps tarde. A réagir. Il essaie. Se reprend enfin, et les mots essaient d’exprimer cela, ce village, cette conquête sur le vide, ce clocher qui dépasse. Gordes 941

Malgré les nuages menaçants, une pâle lumière dorée l’illumine. Le bleu sombre du ciel, qui appelle l’orage, contraste puissamment avec les toits orangés. Les tuiles, on le sent, restitue la chaleur de la journée. Ou bien de l’été entier. La pluie se retient. Une goutte est-elle tombée ? Non pas, et le village s’éclaire, mi-inquiet, mi-fier. Gordes 908Gordes 937

Prudemment, la menace se retire. Le soleil fait place nette et reprend son irréductible position. Au centre de Gordes, une fontaine, comme un secours déjà présent. Les arbres sont beaux et généreux. Le minéral et le végétal se retrouvent, à l’abri des regards, au bas du village. Le lavoir est un rendez-vous discret, où les uns font la cour en usant de leur ramage, quand la fine ondée clapote de plaisir.

Gordes 928La pierre fragile, l’équilibre instable et la force des années, associés aux verts cyprès. Il y a un parfum d’Italie dans ce Luberon provençal. Remonter vers le château par les chemins inégalement pavés. S’arrêter à chaque faux-plat pour contempler le site. Toucher du doigt, sans force aucune, les fleurs qui tombent sur les murs. S’étonner devant une porte Renaissance, ou classique, on ne sait plus.

Gordes 923

La promenade ne s’arrêterait jamais. On croiserait un passage ombragé, où l’on s’arrêterait un moment. Le vent nous saluerait par sa fraîcheur bienvenue. On lèverait les yeux, on trouverait une blanche statuette, on se confondrait devant le campanile plus tôt aperçu. On reviendrait vers la source vive, en apercevant un crépi fuyant, un volet hésitant ou une porte vieille de cinq cents ans. On rêverait encore. Gordes 909

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19 octobre 2012 5 19 /10 /octobre /2012 17:35

Chaleur étouffante, soleil pareil à un matador implacable, lançant ses banderilles lumineuses sur le voyageur hagard. Quelques gouttes de sueur s’échappent de leur hauteur capillaire pour s’écraser sur le sable qui s’élève en spectres habiles. Les yeux éblouis cherchent dans la grande clarté des repères tangibles. Un village infernal se fait prise inespérée.

Dans la végétation provençale, Roussillon apparaît comme un mirage enflammé. Les façades sont rouge ou bien orangées, ou encore d’un jaune qui irradie le panorama. Un chemin s’enfuit vers l’église, seul refuge de fraîcheur dans la torpeur harassante. Cependant l’ardeur du jour ne se tempère pas, et la pourpre des maisons emprisonne chaque rayon de l’astre diabolique.

Roussillon 994

Chaque pas s’alourdit d’une gravité, d’un poids qu’augmentent encore les pentes insoumises du bourg. Des formes végétales pendent aux murs alors que le village, au contraire, s’est hissé au-dessus de la terre. La verticalité s’échafaude en fiers édifices dont les tons s’attristent ou s’enorgueillissent des traces du temps. Jusqu’au clocher, rose à sa base, assombri à son faite, qui défie le ciel de sa croix gracile.

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En prenant de la hauteur, le contraste s’accentue. De lointaines barrières bleutées ferment l’horizon et une verdure obscure a envahi la plaine. Au-delà du paysage, la silhouette fantomatique du mont chauve rajoute au mythe du site. De retour dans le cœur sanglant du village, le contraste disparaît. Les fleurs s’accommodent d’une égoïste rougeur et ajoutent à la luminosité ambiante.

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Par-delà le village, enfin, un sentier de poudre de feu serpente en dénivelés arénacés. Les formes, cette fois, s’affranchissent des angles et poussent l’imagination au néologisme. Le spectacle des ocres se teint de déclinaisons formidables, aux délimitations à peine visible. Des larmes rosâtres coulent sur des fonds d’or et des caillasses empourprées apparaissent comme l’expression d’une colère naturelle.

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Enfin les orangés prennent le relais, rappelant les fruits de la terre et les peintures ancestrales. D’immenses pitons font penser à Carroll ou à Verne, alors que les jeunes pousses de conifères révèlent l’exotisme de leur tempérament. Quand tout semble se mêler en un tourbillon de couleurs exaltantes, Roussillon reparaît alors, auréolé d’une nouvelle gloire.

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On imagine alors le village sorti littéralement de terre. Et l’antre du Diable se fait antichambre du Paradis. Dans le feu et la fatigue, les couleurs se radoucissent. Cependant que le jour décline, le pays redevient humain. Le village, lui, demeure merveilleux.

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