A l’angle du cours Belsunce et de la Canebière, deux cacous barjaquent. Entre collègues, ils se vantent et se narguent, évoquent les filles qui ont hanté leur dernière nuit. Chacun conte ses exploits, parfois réels, souvent imaginés, et chacun veut surpasser l’autre dans son récit, inventant de nouvelles façons de plaire. Les vieux ricanent sur leur banc. Ils se disent : écoute les faire le James, ils n’en ont pas fait la moitié … Que veux-tu ? C’est le cagnard qui leur cogne sur la tête.
Les deux jeunes hommes tracent leur route, ignorant les deux aïeux qui ont l’âge d’avoir accompagné Marius à son bateau. Marchant tranquillement mais avec assurance, ils passent devant les grands magasins et les petites épiceries où se pressent les familles, impatientes d’acheter le goûter ou bien le lait pour le caganis et l’aîné. Plutôt que d’aller au pégal, ils vont chercher là leur société et leur régal.
Sur la Canebière, les deux compères croisent aussi des boumians, l’air égaré et l’habit misérable, tendant la main pour cueillir la pièce. Autour d’eux, la rue pétarade de klaxons aussi inutiles que rageurs et de crépitements de moteurs. Les scooters zigzaguent, débouchent des rues sans crier gare, s’engagent dans des passages pourtant interdits. Plus ils vont, et plus le Vieux Port se découvre.
Le Vieux Port : le rendez-vous des fadas et des cagoles, pas forcément mélangés d’ailleurs, un oaï pas possible de gens en tous genres, photographiés par des touristes qui sont à dache et en recherche d’une bonne table où déguster une bouillabaisse. Les navettes maritimes pleines partent pour les îles du large ou pour le large lui-même, terrasse attractive qui tangue et qui donne sur les origines de la cité.
Assis à la terrasse, nos deux garçons partagent un café. Autour, quelques pastagas sont servis, une dose pour sept, eau fraîche, car l’heure de l’apéritif a, pour certains, déjà sonné. L’un des deux arrête de jacter, sort son téléphone, appelle un troisième larron. Celui-ci répond qu’il ne peut pas venir, coincé qu’il est dans son appartement du cours Julien, sa pitchoune est malade, c’est la scoumoune en ce moment. L’autre raccroche, et rigole : eux ne se sont pas faits estampés par le piège de la paternité.
Quel monde encore, en ce beau jour baigné de soleil, comme à l’habitude, une après-midi à faire le pénéquet dans un parc ou chez soi, et ça défile, ça défile, devant l’hôtel de ville et l’église des Augustins. C’est un spectacle en soi que de voir ces foules se presser ici, auprès des eaux bleues où flottent les pointus et les sacs en plastique, les habitués et les nouveaux arrivés issant de la bouche du métro.
Ils continuent de parler, ces deux complices, loin des pêcheurs qui exposent tous les trésors de leur mer attrapés par les palengres : la rascasse, le saint-pierre, la vive, le grondin, le congre et le merlan. Le gabian veille. Les papets viennent y faire leurs emplettes tandis que les chourmos de gamins, qui craignent dégun, se bouchent le nez. Les petits maillots bleu ciel et blanc vont leur chemin sous l’œil de la Bonne Mère, éblouis par les scintillements de la belle mer.