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11 mai 2017 4 11 /05 /mai /2017 18:00

Les cales étaient pleines et les ventres étaient vides. Trop pleines, même, avaient prédit les mariniers lorsqu’ils avaient vu les deux compères charger leur embarcation de fûts qui débordaient presque. Du vinaigre. La cargaison en était constituée, en tonneaux que l’on avait empilés les uns sur les autres, plus ou moins heureusement. Mais les premiers pas, si l’on pouvait dire ainsi, sur la Loire orléanaise avaient rassuré quant à l’équilibre du navire.

Les premiers bancs étaient passés, les piles des rares ponts jetés comme les liens sacrés entre les deux rives n’avaient constitué aucune menace pour le chaland vinaigrier. Un vent agréable et léger soufflait depuis le début du voyage, gonflant la voile et assurant, grâce à l’apport du courant si susceptible du fleuve, une progression rapide qui avait donné l’espoir qu’en peu de temps on verrait Nantes.

Les eaux aigres
Les eaux aigres

En réalité, il eut fallu être bien fou pour se fier à tel fleuve. Dans la lumière sépulcrale, dans la rougeur tendre du soir, dans les rayons qui perçaient les feuillages des arbres sur les berges, filtrait une indicible menace, sournoise et pourtant bien réelle qui allait surprendre, au lendemain du deuxième jour, les deux mariniers, novices et, de ce fait, naïfs. Ils dinèrent cependant d’un poisson pris et aussitôt grillé, buvant un vin léger dont ils s’étaient constitué de menues réserves.

Les eaux aigres
Les eaux aigres

A l’aube funeste, les sternes hurlaient en chœur sur les bancs sableux et quelque héron cherchait, en vain pour le moment, sa pitance dans les eaux peu profondes. Le chaland se laissait bercer par les vaguelettes, cependant qu’un vent de nord-ouest commençait à se lever. C’est le galarne, murmura l’un des marins, ne sachant que, derrière ce mot, se cachaient les troubles obscurs et séculaires qui menaçaient, été après printemps, les embarcations marchandes.

Les eaux aigres
Les eaux aigres

Quand le vent se fit trop fort, il était trop tard. Les berges étaient trop éloignées, et les îlots que l’on longeait habituellement avaient, alors, disparu, immergés. A tout moment, le navire menaçait de chavirer ; c’est ce qu’il arriva. L’équilibre précaire de la cargaison ne tint plus, et dans leur effroi les hommes entendirent les fûts plonger et couler à pic, piégeant les vinaigres dans leur prison de bois et de fer et créant une nouvelle géographie sous-marine.

Les eaux aigres
Les eaux aigres

Malgré leur incroyance, les deux hommes, dans leur désespoir et leur peur de la mort soudaine, se mirent, secrètement et intimement, à prier. Prières bien égoïste, d’ailleurs, qui se souvenaient de la présence divine au moment le plus terrible et alors que rien, sinon un miracle, ne pouvait les sauver. Fût-ce la proximité de ce village, Béhuard, où l’on louait la protectrice des navigateurs ? La tempête se calma et si la marchandise était perdue, les vies, elles, étaient sauves.

Les eaux aigres
Les eaux aigres

Epuisés, trempés jusqu’aux os et, pis encore, effrayés par la fin qu’ils avaient cru si proche, les deux marins parvinrent à rejoindre le petit port où ils amarrèrent. Aussitôt on vint à leur secours, on les réconforta d’une parole et d’un verre de vin, on leur promit une nuit sèche et douce sur une paillasse fraîche. La nuit approchait et, avec elle, la faune invisible et hululante que les souvenirs attachent aux nuits d’été. Le chaland, lui, demeurait seul, délesté et orphelin, sombrant peu à peu dans l’obscurité éclairée seulement des étoiles.

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4 décembre 2016 7 04 /12 /décembre /2016 19:00

Enfin l'heure du départ avait sonné. Sur le quai de la gare, en partance pour Le Mans, ils étaient une dizaine à se saluer. Au centre du groupe, une femme s'assurait de ce que chacun était bien équipé et que rien n'allait manquer au chantier qui, depuis des mois, occupait leurs pensées. Sous sa conduite, la troupe à lunettes, à carnets et à pinceaux s'embarqua dans les wagons. L'aventure commençait.

Des semaines durant, ils avaient arpenté en silence les couloirs des bibliothèques. Grattant et griffonnant sur des feuilles volantes et des cahiers, ils avaient bâti, à force de patience, une œuvre savante qui, dans la campagne mancelle, allait les éclairer. Lire, supposer, retranscrire, argumenter, échafauder, décrire : tel avait été leur quotidien dont ils allaient pouvoir mesurer l'efficience au cours de cet été.

Fouilles à chaux
Fouilles à chaux

Attendus dans la grande ville de province, ils furent conduits aux bords de la Vègre. Là, ils furent logés puis présentés au village, où l'on n'avait pas vu autant d'étrangers depuis la Libération, neuf ans auparavant. Un sentiment bien naturel et mutuel de gêne mit fin à ce moment et tout le monde retourna alors à ses occupations. Une première visite s'imposait et le curé, d'ailleurs, se proposait. Tout près la rivière chantait.

Fouilles à chaux
Fouilles à chaux

Les premières semaines avaient vite passé et le badigeon agaçait toujours autant. Les directives étaient données à l'aube et les petites mains s'affairaient, toute la matinée, à découvrir les secrets des murs. Lorsque le bleu émergea, la première fois, de l'océan blanc où il avait été plongé durant des siècles, les travaux s'arrêtèrent. L'équipe se rassembla et, des yeux, toucha ce témoignage des lointains aïeux. La vérité demeurait encore largement cachée.

Fouilles à chaux
Fouilles à chaux

Les offices étaient célébrés, le dimanche, dans ce minutieux et poussiéreux chantier. Les archéologues en profitaient pour se promener dans les environs ou pour pique-niquer sur les bords de l'eau chantante. Le vin était frais et les idées restaient claires ; l'émotion de la découverte restait dans les cœurs. Cependant la chef s'éloignait parfois des discussions bon enfant et écrivait, dans la torpeur vespérale, des souvenirs qu'elle relirait au soir de ses jours, probablement.

Fouilles à chaux
Fouilles à chaux

Du fond du Moyen Âge, les peintures renaissaient. Les exclamations restaient désormais intérieures chaque fois qu'un nouveau pan se révélait et, pourtant, les regards trahissaient la fièvre qui, tous et toutes, les animait encore tandis que la fin août approchait. Rien n'est sûr mais peut-être que dans l'une de ces têtes pensantes et exaltées résonnaient les sabots des chevaux qui retrouvaient couleurs et liberté.

Fouilles à chaux
Fouilles à chaux

Au matin du dernier jour, il n'y eut aucune parole. On commençait de ranger les affaires ; seule la femme, qui d'ordinaire rassemblait et planifiait, restait debout au milieu de troupes par le calendrier abattues. Inlassablement, elle photographiait et multipliait les prises de vues. Les clercs, les chevaliers et les princes attendraient encore un an. Mais leur horizon était clair : c'est au jour qu'ils appartiendraient dorénavant.

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18 mai 2016 3 18 /05 /mai /2016 18:00

Des dizaines de chevaux soufflaient dans l’air encore chaud de cette soirée d’été. L’un d’eux hennissait régulièrement, trahissant une nervosité qui, dans certains cas, pouvait coûter quelques montures du fait des ruades. L’homme en cape descendit de la sienne, un bel hongre à la robe bai, et s’engagea, les rênes à la main droite, sous le porche de l’auberge. Aucune garantie, indiquait le linteau : ainsi sa bête n’aurait pas d’avoine, et peut-être même pas d’eau.

Dans l’auberge, on le servit, et prestement même, car il apparaissait aux hôtes que le visiteur nocturne avait une bourse bel et bien sonnante. Repu et désaltéré d’eau fraîche, il s’enquit de savoir où il pourrait passer la nuit. Ici, l’assura-t-on, et son cheval pourrait aussi être soigné de la meilleure des façons. L’homme accepta l’affaire, et paya. Au matin, on entendit ses bottes descendre les sombres escaliers.

La garantie d'un éclat

 

La clarté du jour faisait mieux voir son visage. Ses traits étaient durs, comme le sont les traits d’un homme qui a vu beaucoup de malheurs. Ses yeux étaient perçants et son regard semblait ausculter avec soin chacun des objets et chacune des personnes qui se trouvait dans la grande salle. Enfin il était grand, et décharné, et ses gestes étaient rapides quoiqu’un peu imprécis : il avait probablement quelque pénible tâche à effectuer, et nul alors en cet endroit ne songea à le questionner.

La garantie d'un éclat
La garantie d'un éclat

 

Durant le jour, d’aucuns affirmèrent l’avoir vu entrer au château puis au tribunal d’où, de façon certaine, il ne sortit qu’à la nuit venue, toujours dans sa grande cape noire qui impressionnait à chaque apparition. Il se coucha tôt et demanda qu’on lui montât un repas simple ainsi qu’un seul verre d’eau. Les hommes attablés commencèrent à chuchoter et à médire sur ce mystérieux cavalier : il n’avait cure de sa monture et était déjà invité chez les plus puissants de ce lieu.

La garantie d'un éclat
La garantie d'un éclat

 

Les aubes se succédaient et l’homme fit accroître contre lui les méfiances et les interrogations. D’ordinaire, il se taisait, n’ouvrant la bouche que pour demander, de sa voix grave et basse, le boire et le manger. A nouveau on le surprit, entrant chez le châtelain où se pressait également le juge. La rumeur grandissait : un complot se tramait car le seigneur, autrefois trahi, cherchait aujourd’hui à se venger.

La garantie d'un éclat
La garantie d'un éclat

 

Cependant, nul crime ne fut commis et l’homme demeurait à  Blaison, étranger à jamais sauf en les plus prestigieuses maisons. A l’auberge, il se promenait dorénavant comme chez lui. Personne, assurément, ne lui adressait plus la parole, craignant qu’un mot mal compris soit aussitôt répété à une oreille redoutable. Dès lors, l’homme gagnait en liberté ce qu’il perdait en sympathie.

La garantie d'un éclat
La garantie d'un éclat

 

Un soir, ses hôtes l’attendirent plusieurs heures. Étonnés puis contents, ils s’inquiétèrent ensuite ainsi que leur compagnie, redoutant devoir surgir un dragon ou, au moins, des soldats et leurs fusils. Mais personne ne franchit le pas de la porte et aucune nouvelle, dans les jours suivants, ne fut rapportée quant à cet homme qu’on ne voulait croire absent. A la saison suivante, quand l’oubli eut recouvert tous les esprits, un homme en cape descendit de son cheval et se présenta à l’auberge.

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27 octobre 2015 2 27 /10 /octobre /2015 19:00

 

Pour le père abbé, c’était une île. Le jeune frère, qui avait formulé ses vœux l’avant-veille, avait cru bon de ne pas rire à cette assertion. Pourtant, que le père abbé puisse affirmer que l’on se trouvait sur une île, alors qu’on n’apercevait point la mer et que tout n’était, autour d’eux, que champs dorés et verts prés, devait paraître ou amusant, ou tout à fait inquiétant.

Quelques jours plus tard, tandis qu’il marchait dans le cloître, le jeune frère avait posé la question au plus vénérable d’entre eux. Celui-ci lui affirma, de sa voix grave et d’un calme absolu, que le père abbé avait certes raison de dire qu’ils étaient sur une île. S’indignant de sa propre bêtise, le jeune frère se persuada qu’il y avait là quelque allégorie que son pauvre esprit ne comprenait pas. Pourtant, quand il posa de nouveau la question, le vénérable frère le regarda sans rien dire, d’un air désolé. Et, sembla-t-il au jeune frère, amusé.

Belle île en terre
Belle île en terre

 

Pressentant qu’il n’aurait pour toute réponse que ces mystères, le jeune frère profita des heures libres de travail et de prières pour se plonger dans les écritures. Il commença ainsi de compulser les annales et trouva, entre les mots, cette île dont tous l’avaient entretenu. Au commencement était un golfe, et sur ce golfe était une île. Les eaux s’en allèrent mais il demeura un marécage où les hommes, jusqu’aux genoux, s’enfonçaient : on y bâtit un sanctuaire.

Belle île en terre
Belle île en terre

 

Répondant à un appel, les priants accoururent et déjoignirent leurs mains pour rendre l’île à la culture et à la grande terre. Des semences plantées naquirent les arbres et les fruits et auprès du sanctuaire vinrent les oiseaux, les poissons et les autres animaux de la terre. Survinrent aussi les hommes, qui ne labouraient pas mais saccageaient et voulaient s’arroger des droits sur cette nouvelle contrée.

Belle île en terre
Belle île en terre

 

De cette découverte et des peines qu’il imaginait, le jeune frère ne dit rien. Toutefois, il suait plus volontiers et s’enjouait davantage à s’écorcher les mains sur les champs et les bois qu’il entretenait. Ses prières aussi semblaient venir de plus loin, remontant de temps de travaux infinis et d’audaces ensevelies. Il priait aussi pour ceux qui, avides et terriblement humains, n’avaient eu d’autre idée que de piller ce qu’avaient réalisé le courage et la patience.

Belle île en terre
Belle île en terre

 

Lui qui vivait aujourd’hui regrettait parfois de n’avoir rien connu de tout cela. Car la destinée semblait avoir favorisé ce lieu, et de pauvre et désolé il était arrivé à la tête de domaines et d’églises partout disséminés. Le jeune frère prolongea ses séjours et ses études à la bibliothèque, rêvant plus que ne lisant, surtout de la cathèdre qu’on avait placé en l’abbatiale, et qui demeurait encore quoiqu’il n’y eut prêté aucune attention lors de ses premières heures.

Belle île en terre

 

Un jour, tandis qu’il conversait avec le frère vénérable, lequel l’avait pris en affection, le jeune frère, qui vieillissait au rythme des oraisons, surprit le père abbé et un tonsuré nouveau. De l’autre côté du cloître, à travers deux colonnettes, il vit l’expression de surprise de l’adolescent alors que l’abbé, doctement, chuchotait. Le jeune frère, cette fois, ne s’étonna point : tout juste sourit-il quand il entendit le père abbé répéter au nouveau frère qu’il était sur une île, ici à Maillezais.

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10 avril 2015 5 10 /04 /avril /2015 18:00

Je suis née à Sainte-Suzanne il y a quatre-vingt-dix-sept ans. Certains pourraient dire que déjà je vous mens, car je suis née dans la maison familiale, à quelques lieues de là. Mon père possédait sa ferme et quelques arpents qu’il cultivait seul. Aujourd'hui, des citadins ont fait de ces pierres tendres la quiétude de leurs dimanches.

De ma jeunesse, laborieuse quoique douce, je ne peux me souvenir que des jours des travaux aux champs, où, avec mes jeunes frères, nous faisions de notre bonne volonté l’outil de supplice de nos parents. Quant à l’école, car l’été finissait forcément, je n’en revois que nos sorties agrémentées de cris, lesquelles nous attirait les foudres et les mots du curé et de ses ouailles peinées.

Survivances de je
Survivances de je

Je me souviens qu’alors, nous allions jouer aux abords du château. Les garçons désespéraient alors de ne pas nous voir nous contenter de camper les dames éprises et serviles. Il leur fallait alors se mesurer à des chevaliers d’un nouveau genre que, par décence, galanterie ou couardise, ils n’osaient réellement bousculer. Nous en profitions alors pour les attaquer franchement avant que, d’une œillade malicieuse, nous ne désamorcions l’hostilité qui s’annonçait.

Survivances de je
Survivances de je

Ainsi jeunesse passa, cependant que j’obtins mon certificat d’études primaires qui consacrait l’application que j’avais mise à la maîtrise du papier et de la plume. Cependant je revins quelques années plus tard auprès du maître d’école qui ne me regarda plus sévèrement comme autrefois : j’exerçai alors les talents que savent reconnaître les papilles, ce que je fis ma vie durant.

Survivances de je
Survivances de je

Que ma vie fut semblable à celle de tant de gens, je ne le nie pas. Ayant pris mari, je devins bientôt mère et l’ombre du château que jadis je défiais recouvrit bientôt ceux que j’appelais mes bambins. Mon ouvrier voulut prendre quartier dans le bourg, ce qui me permet de flâner, lors de mes heures de liberté, retrouver la forteresse et le logis où toujours je me croyais chez moi.

Survivances de je
Survivances de je

Les enfants grandirent, partirent, revinrent quand leur père mourut. Je gardai notre petite maison à la vigne envahissante et aux pierres grises, à laquelle je fis repeindre les volets. Tous les matins, en allant m’occuper des fleurs, je demeurai sous la surveillance de la tour d’angle, telle une mystérieuse et muette protection que les lieux semblent parfois accorder.

Survivances de je
Survivances de je

Les rires des enfants, les mariages heureux, les satisfactions quotidiennes n’ont certes pas disparu de mon village. Mais derrière mes volets, j’ai vu les forces vives partir et s’exiler à l’ouest et à l’est. D’autres ont pris leur place, dont les enfants rient et imaginent toujours quelque chevalier héroïque errant dans les ruines. Lorsque je surprends leurs regards, ils s’arrêtent, surpris : car derrière ma peau ridée et mon sourire incomplet, peut-être me voient-ils comme eux, sans qu’un siècle presqu’entier ne sépare nos jeux.

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8 octobre 2014 3 08 /10 /octobre /2014 18:00

La pluie fine se disperse. Les nuages disparaissent. Quelques blancs, là haut, y restent, rassurants. La route sèche vite mais bientôt le chemin s’arrête. Sur le panneau, des horaires affichés. Impossible de ne pas s’en préoccuper. Le prochain passage est pour bientôt. Une petite heure à attendre, et l’odeur du vent qui nous parvient jusqu’aux narines. Une heure, et une tentation marine.

Peu de monde dans ce sens. Sitôt la portière refermée, l’envie de l’ouvrir à nouveau, embrasser ce monde sage et sain qui attend la prochaine montée des eaux. Une flaque d’eau salée sur le bas-côté, et déjà les premières bottes piétinent le sable miraculeux. En quittant ce monde on en saisit toute la fragilité, qui n’est pas sans nous épargner. Cela, des tourelles nous le rappellent.

Noirmoutier 647Noirmoutier 696

Le gois est derrière nous. Il s’empêtre dans un camaïeu de gris. De l’autre côté, encore dix minutes à le regarder. A scruter cet horizon simple, rien qu’une route sur un peu de mer. Cette île au loin, qui pour l’instant n’en est plus une. Mais l’horloge s’alarme soudain, et il faut repartir. Car le chant des vagues est pareil à celui des sirènes ; à trop s’y complaire, forcément on s’y perd.Noirmoutier 689

Noirmoutier 688

Le corps part mais l’âme demeure. Des images de port et de plage surgissent. Des barques de pêcheurs sur l’onde calme. Le sable blanc comme les murs des maisons. Un soir printanier, où tous les éléments se raisonnent pour ne pas briser l’instant. La mer bleue, qui a laissé ses traces sur le fond des bateaux et sur les portes et les volets. Et sur l’âme aussi, qui doit tout quitter.

Noirmoutier 684Noirmoutier 682

Reviennent aussi les souvenirs des chemins étroits. Des portes qui donnent sur des jardinets, des murets par les lierres envahis, des tuiles qui rougissent et soudain refroidissent sous la protection des pins. Plus loin un peu de béton, sur lesquelles les pieds allés dans l’eau déposent d’éphémères empreintes. Et à l’air les petons, tandis que sous le parasol, l’on profite d’une glace ou bien d’une boisson.

Noirmoutier 681

Remembrance de ciels blancs et de châteaux bleus, de tours fortes et de donjons massifs émergeant de ces forêts délicieuses où il est impossible de se perdre. Les voix et les violons y ont depuis longtemps chassé les fracas des canons. Même les palmiers y poussent, bien loin de l’agitation des soldats et des mousses. D’énormes boulets y font fonction de siège quand jadis c’est devant les murs qu’on le mettait.

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Et puis la ville en l’île, ses murs et ses volets de toutes les couleurs, son clocher qu’on voit de loin puisque tout est plat, sauf les sensations et la saveur de nos pas. On a encore oublié ses balconnets ronds et fleuris, ses plantations qui s’accoudent aux murs tels des gamins impolis, ses promesses de large et son nom qui sonne clair et sombre : Noirmoutier.

Noirmoutier 665

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23 avril 2014 3 23 /04 /avril /2014 18:00

Puissant, rauque et long, un cri surgit de la bouche de barbus que d’aucuns disent barbares. Depuis leurs rivages âpres et nordiques, ils ont bravé les mers, conquis les vagues, longé les côtes pour s’engouffrer dans les estuaires. De ces drakkars effilés ils sont descendus, recherchant la richesse, profanant sans décence, se grisant dans la liesse et le sang.

Dans la quiétude d’une matinée neustrienne, des chants résonnent. Parmi les chanteurs, aucun ne raisonne : seule compte l’offrande de l’oraison. Les laudes se terminent, dans une certaine allégresse, alors que la journée commence. Des travaux restent à accomplir tandis que les cloches teintent l’aurore de notes d’harmonie.

Saint-Philbert-de-Grand-Lieu 709Saint-Philbert-de-Grand-Lieu 706

Fatalement, la collision qui se prépare ne peut déboucher sur une aimable collusion. Le saint qui repose au sein de l’abbaye doit être fermement défendu, quitte à être déplacé ou pire, condamné à ne jamais revenir. Déjà les hommes se sont rencontrés, et les tonsurés implorent les chevelus dans une langue de paix que ces derniers méprisent tout au plus.

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Les flammes dévorent l’abbatiale sous les yeux des hommes les uns exaltés, les autres perdus. Atteignant la nef, elles s’attaquent au chœur, pourchassent la sacrée châsse qui pourtant leur échappe. Saint Philibert compte patiemment sur son marais pour le sauver mais ce sont bien des mains humaines qui se chargent de l’emmurer. Ceci, bien sûr, pour le sauver.

Saint-Philbert-de-Grand-Lieu 719

Dans ce grand lieu, dans ce désert, l’incendie a cessé. Les murs noircis ainsi que la charpente disparue sont rebâtis, et le saint est libéré. Son âme erre-t-elle parmi les débris, parmi les jardins, parmi les essences qui soignent et parfument ? Son âme s’invite dans les allées, cueille fleurs et senteurs épicées, regrette déjà ces pierres perdues.

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Après le dernier silence des complies, d’un signe de tête ceux qui doivent partir se lèvent, silencieusement, et rejoignent la porterie. Les os attendent ; quelque oreille attentive les croira entendre claquer. Bientôt les lourds contreforts s’éloignent, et les pas de l’âne cahotant rythment la mélancolie de celui qui quitte Saint-Philbert.

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La châsse et le tombeau sont demeurés. Dans l’obscurité de la crypte, jadis recluse, l’inquiétude passée n’est plus sensible et seule flotte une calme plénitude. Jusque dans les jardins, l’habitude est au silence. L’attente a été longue, et peut-être sera-t-elle éternelle. Dans le chœur point de chants ni de mélodie mais dans l’air subsiste encore une ambiance indéfinie.

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6 novembre 2013 3 06 /11 /novembre /2013 19:00

Aujourd’hui, les portes sont grande ouverte et tout le monde peut entrer. Fut un temps où oser s’approcher était dangereux, où les traits menaçaient car Clisson était gardienne. La Bretagne, que d’aucuns ont limitée, jusqu’ici s’avançait, défiant le Poitou et la Vendée. Tout cela a disparu, le seigneur connétable n’est plus. Si Clisson est sage, c’est désormais une vertu.
A-t-on franchi quelque massif, a-t-on passé les plaines fertiles du Pô et les cités princières de l’Arno ? Non pas, pourtant la péninsule apparait. Le campanile de l’église se dresse, au-dessus des toits de tuiles, rouges pour un éternel été. A ses côtés, les halles, à l’échelle immense et aux multiples essences. Et les parfums des pins qui ajoutent à ce voyage très italien.
Clisson 734Fortissimo : c’est le grand et puissant château. Sa carcasse martyrisée est héritée de la fureur des hommes, quand son puits résonne des pleurs des femmes. Les bouches à feu, les hallebardes, les piques, sous les murs ont défilé. Les sabres, les bombardes, les arcs ont fait les murs trembler.
Clisson 735Clisson 740 Castel haut ou castel bas, la forteresse se déploie. Dans le fond, les baraquements offrent repas et fraîcheur au soldat et au visiteur. Par la cour et le pont-levis, l’on descend aux pieds des tours. La Sèvre lente s’écoule, comme le temps déroule, à l’ombre des industries attrayantes. Le rempart paraît d’abord écraser le paysage. Mais à y bien regarder, c’est plutôt un cadre qu’il donne, comme un sage qui enseignerait à des ouailles qui sans cesse s’étonnent.
Clisson 748Clisson 755Mezzo forte, la pente serpente sur un chemin de terre et de bois. Il débouche sur un parterre élégant, peuplé d’athlètes et de vases contenant, peut-être, les secrets de ce charme opérant. La colonnade, digne du Bernin, ouvre sur un palais latin qui dissimule dans ses recoins les plus austères les mystères des ensembles joyeux. La porte est entrouverte.
Clisson 778Clisson 775L’imbroglio se poursuit dans les couloirs et les pièces de ce domaine exquis. Les salles aux parquets obscurs et aux moulures anciennes s’éclairent d’un jour méridional. Des œuvres interrogent les formes qui déforment les pensées. La création prend des tours impromptus, quand les sons dérangent et que les vidéos arrangent les dessins désunis. Photographies et peintures sont réunies. Et deux pays paraissent l’être aussi.
Clisson 766Laricios et parasols à l’horizon, un temple antique comme ultime vision. Un château, un domaine, un nom. L’homme a posé le regard puis a reposé les pierres. Il a construit sa gloire en la redonnant à ceux qui l’avaient égarée. Et il a repensé l’histoire en ranimant les lieux aimés.

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22 mai 2013 3 22 /05 /mai /2013 18:00

Les portes se sont refermées. Nul bruit. Nos souffles seuls rythment le temps qui, de toute évidence, n’existe plus. La fraîcheur encore hivernale provoque des volutes fantomatiques, qui prouvent que nous, nous existons encore. Elles s’évaporent vite, ces  respirations éthérées. En attendant, quoi ? Qui ? Le silence demeure. La ligne absolue de la quiétude.

Le regard commence à s’habituer à la blanche clarté qui émane des murs nus. Chaque pierre se dessine par rapport à sa voisine. Au sol, des carrés immaculés leur répondent. Tout semble égal, uni, ressemblant. Et pourtant, au fond, une lumière. Une pureté vive, presque étrange, car elle semble se distinguer de l’ensemble.

Fontevraud 890

Si l’on prend la peine, ou que l’on trouve la force, de marcher, l’équilibre délicat se rompt. Le pied qui s’écrase sur la dalle, les bras qui reprennent leur mouvement, les yeux qui se croisent et s’interrogent. Ce n’est point un chahut, mais ce n’est plus le silence. En passant, les vivants côtoient les morts. Richard et Aliénor. Monuments à double titre, dans la vie et le trépas. Désormais, et pour l’éternité, dans le repos des succombés.

Fontevraud 901Fontevraud 906

Là est la source de la lumière. Mais elle a perdu de sa vigueur. Tranquillement, nous sortons, vers le centre du monastère. Lieu des débats, dans l’écoulement des heures. Une structure étonnante attend, tel un serpent serein qui aiderait les visiteurs à prendre de la hauteur. Le cloître est intact. Aujourd’hui désert, autrefois terrain de contacts.

Fontevraud 921

Les lieux conventuels ont gardé leur tradition. Puisque la parole était rare, elle était précieuse. La langue gardait une place assignée, qui était celle de l’humilité. Un seul recevait les humaines promesses, puisque celles-ci ne pouvaient être négligées. A Fontevraud vivaient hommes et femmes, unis chastement dans la peine dans le souvenir de Robert d’Arbrissel.

Fontevraud 926

Une nouvelle échappatoire s’offre. Certes, le vent bruisse et la terre grouille de ce microcosme éternel et laborieux. Néanmoins la tranquillité s’est aussi emparée de ces agréables jardins. L’herbe et la lande flottent également dans le souvenir de ces moines sérieux.  Et les arbustes, et la vigne continuent de saluer, après la nuit, les paisibles matins.

Fontevraud 959Fontevraud 951

Que ne sert-il de prier, quand la fin est la même ? Que ne sert-il d’implorer ce que l’on dit suprême ? A l’ombre des vents, des tentations et des énergies, une communauté avait espéré quand d’autres désespéraient. A l’écart des vivants, le cours avait suivi une pareille destinée. Il n’en reste pas moins cette abbaye, ancrée dans le monde, symbole de courage, de refus et d’humilité. Abbaye des louanges et des tourments, et de la paix.

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24 juin 2012 7 24 /06 /juin /2012 18:00

Dans une galerie sombre, un air froid surgit des murs. Peu à peu, les yeux s'adaptent à la pénombre, distinguant de mieux en mieux les couleurs sur les murs. Sur ceux-ci est braquée une vive lumière. Prudemment l'on avance, à la recherche de repères, à la recherche d'évidences. Elles apparaissent alors, ces tensions apocalyptiques, héritées de saint Jean, ce visionnaire biblique.

Les couleurs se succèdent : de gueule et d'azur, de sinople et d'argent. Pures, immortelles et ardentes. Création médiévale, la tapisserie de l'Apocalypse évoque la fin du monde. La longue lutte entre le Bien et le Mal s'achève lentement, non sans quelques questions et tourments.

Château d'Angers 348

Des anges et des saints affrontent la Mort et le Malin. Sous la colère de quelque Bête, des cités entières s'effondrent. Les innocents, par les flammes, périssent, tandis que les hommes, par leurs prières, agissent. Univers fantasmagorique aussi bien que biblique, la tapisserie évangélique nous parle d'un monde idéal qui n'a rien de hiératique.

Château d'Angers 349Château d'Angers 353

Quel travail, pense-t-on enfin, en imaginant ces mains et ces regards alliant le fil et le dessin. Quelle réussite que cet art intemporel, traversant les siècles comme ne le pourrait faire aucun labeur actuel. Au-delà des teintes et des dimensions, c'est un ancien monde qui nous parvient, sans altération ni faconde, un témoignage puissant des humaines et antiques représentations.

Château d'Angers 360

En sortant de ladite galerie, une lumière vive nous oppresse. C'est le tuffeau blanc qui la fait si belle, à peine contestée par la rigueur naturelle du schiste. Dans la forteresse royale d'Angers, plus de traces de la fureur guerrière. Elle a été remplacée par la vigueur altière de jardins bien soignés. Des vignes ont même été plantées : la marque d'une passion héritière des atouts de la région.

Château d'Angers 382Château d'Angers 378

Un dernier tour sur les remparts dans l'après-midi finissant. Un tumulte lointain rappelle la place centrale du château des Capétiens. Dix-sept tours, dûment fortifiées, se rappellent au souvenir d'affrontements passés. Autrefois verrou et aujourd'hui fierté, la muraille bicolore est un bijou du fleuve princier.

Château d'Angers 331Château d'Angers 329

D'ici à l'apocalypse, le temps se distord. Passé ou futur, il hésite, selon qu'elle soit art ou promesse. Au coeur d'Angers, dans un écrin noir et blanc, la prophétie se lit en couleur, et plutôt dans l'allégresse. Celle de voir et de comprendre, d'être sensible et d'étendre, sinon les connaissances, au moins la curiosité.

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  • : Récits de voyage, fictionnels ou poétiques : le voyage comme explorateur de la géographie et de l'histoire.
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